SG/SM/6300

LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL PRÉSENTE À L'UNIVERSITÉ D'UPPSALA, LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE L'ACTION POUR LE DÉVELOPPEMENT DANS UN CLIMAT ÉCONOMIQUE MONDIAL EN PLEINE ÉVOLUTION

19 août 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6300
DEV/2167


LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL PRÉSENTE À L'UNIVERSITÉ D'UPPSALA, LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE L'ACTION POUR LE DÉVELOPPEMENT DANS UN CLIMAT ÉCONOMIQUE MONDIAL EN PLEINE ÉVOLUTION

19970819 Il évoque le rôle des Nations Unies dans la collaboration entre secteurs privé et public et préconise de faciliter l'accès de la population des pays pauvres au crédit

Texte du discours prononcé le 11 août par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l'Université d'Uppsala (Suède) :

Je suis heureux de me trouver à nouveau aujourd'hui dans cette magnifique ville et cette célèbre université de renom. J'ai aussi l'impression de suivre en quelque sorte les traces d'un grand homme, l'ancien Secrétaire général, M. Dag Hammarskjöld. Son ouverture d'esprit l'a amené à s'intéresser à tous les aspects des travaux de l'Organisation. Mais c'est surtout dans le domaine de la coopération pour le développement — dont je me propose de parler aujourd'hui — que sa contribution a été décisive. Il a encouragé la mise en oeuvre de nombreuses initiatives dont ont pu bénéficier les pays en développement dans la difficile période qui a suivi l'ère coloniale. C'est pourquoi je tenais d'abord à rendre ici hommage à la mémoire de ce grand Suédois qui fut un fonctionnaire international remarquable.

Si j'ai choisi de vous parler du développement, c'est parce que je sais que ce thème tient à coeur à tous les Suédois. La Suède ne contribue pas seulement depuis des décennies à l'aide internationale au développement, mais joue un rôle moteur dans ce domaine. N'est-il pas extraordinaire qu'en 1995, la Suède, la Finlande, la Norvège et le Danemark aient financé à eux seuls 20 % du budget que le système des Nations Unies consacre aux activités opérationnelles de développement.

La télévision et la presse attirent souvent l'attention du public sur les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix mais non sur les actions menées dans le domaine du développement. Or, celles-ci ont des conséquences directes sur la vie quotidienne d'une population beaucoup plus nombreuse. Des gouvernements du monde entier se sont inspirés des travaux de réflexion de l'Organisation pour mettre en oeuvre leur propre politique de développement. Et pourtant, les actions que l'Organisation mène dans le domaine du développement font rarement la une des journaux. Il faudrait que cela change et j'espère y contribuer aujourd'hui.

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La situation politico-économique internationale a radicalement évolué au cours des 10 dernières années. L'économie est désormais entrée dans l'ère de la mondialisation. L'injection de capitaux privés dans le domaine du développement et l'intervention de la société civile dans les affaires politiques ont induit de profonds changements. Les inégalités s'accentuent à l'intérieur des frontières nationales et entre les pays. Au cours des 10 dernières années, elles se sont accrues entre les riches et les pauvres, entre ceux qui possèdent des qualifications et ceux qui n'en ont pas, entre les puissants et les faibles. Le dénuement n'a que trop souvent pour effet de plonger certains segments de la population dans le désespoir et la colère. Se sentant exclus de la société, ils sombrent parfois dans la criminalité ou d'autres formes de délinquance. La marginalisation, l'exclusion et l'aliénation sont les grands maux auxquels nous devons aujourd'hui trouver un remède.

Le plus urgent est de trouver une solution au sous-développement. Plus de 60 % de la population mondiale ne dispose au plus que de 2 dollars par jour pour vivre. On compte près d'un milliard d'analphabètes. Plus d'un milliard de personnes sont privées d'eau salubre. Chaque jour, quelques 840 millions de personnes ne mangent pas à leur faim ou sont menacées par la famine. Dans les pays les moins avancés, près d'un tiers de la population ne dépasse pas 40 ans.

Sans éducation et sans logement, les pauvres et les indigents sont condamnés au chômage. Dans de nombreux pays, le chômage des jeunes est devenu endémique. Lorsque des hommes et des femmes de 20 ou 30 ans ne peuvent pas trouver de travail, on peut craindre le pire. Chômeurs chroniques, certains deviennent inaptes au travail car ils n'ont pas l'occasion de mettre leurs compétences à profit et, à force de rester sans emploi, ils perdent l'habitude de travailler.

Même si les inégalités structurelles entre hommes et femmes se sont considérablement réduites au cours des 20 dernières années, elles sont loin d'avoir été éliminées. Le taux d'alphabétisation des femmes reste inférieur d'un tiers à celui des hommes. D'une façon générale, les femmes ont de ce fait moins de droits, moins de débouchés et moins de ressources que les hommes.

C'est à tous ces problèmes que nous devons trouver des solutions si nous voulons promouvoir le développement. Ils ne sont pas insurmontables. Comme le Programme des Nations Unies pour le développement l'a montré dans son dernier Rapport mondial sur le développement humain, si nous ne relâchions pas nos efforts, nous pourrions venir à bout de la misère d'ici une dizaine d'années. Nous devons faire preuve d'audace et nous concerter dans de nombreux domaines, unir nos efforts dans un élan de solidarité qui ignore les frontières. Il nous faut aussi, plus que jamais, orienter notre action de façon à exploiter au mieux les ressources limitées dont nous disposons.

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À l'ère de la mondialisation, il appartient à l'Organisation des Nations Unies d'aider les pays à tirer pleinement parti des investissements et des possibilités auxquels ils peuvent désormais avoir accès. Elle doit également les aider à pâtir le moins possible des effets négatifs de la mondialisation et à ne pas demeurer en marge de l'économie mondiale. À cette fin, elle fournit un appui direct aux pays les moins avancés, en particulier en Afrique.

Toutefois, même si les subventions qu'elle accorde et les autres types d'aide au développement qu'elle apporte peuvent avoir une importance capitale pour de nombreux pays, il ne fait aucun doute aujourd'hui qu'il ne saurait y avoir de développement sans injection de capitaux privés. En effet, la plupart des pays en développement, ainsi que ceux de l'ancien bloc socialiste, se sont résolument détournés de la planification économique centralisée.

Les politiques fondées sur la substitution de productions nationales aux produits importés et sur les barrières douanières ont été remplacées par des politiques axées sur l'exportation. En même temps disparaissent les droits de douane, subventions et autres mesures faussant les courants d'échange. Cela a engendré une augmentation spectaculaire des flux de capitaux privés dans les pays en développement au cours des cinq dernières années. Jusqu'au début des années 90, la plus grande partie du flux financier dont bénéficiaient les pays en développement provenait de l'aide publique au développement. Aujourd'hui, le montant de cette aide diminue, alors que les apports en capitaux du secteur privé ont considérablement augmenté. Le montant des investissements étrangers directs dans les pays en développement se serait élevé à 244 milliards de dollars en 1996, contre 42 milliards de dollars pour les investissements publics.

Toutefois, les investissements privés ne profitent pas de la même façon à tous les pays en développement. Ils se concentrent en général uniquement sur certains pays. En 1996, le montant des investissements étrangers directs en Asie s'est élevé à 48 milliards de dollars; en Afrique subsaharienne, il a tout juste atteint 2,6 milliards de dollars. Quant aux 48 pays les moins avancés, ils n'accueillent que 1 % des investissements étrangers directs.

Cette situation a des conséquences importantes pour les politiques en faveur du développement. Les donateurs doivent cibler au mieux les flux de l'aide publique au développement. Les sommes dont on dispose étant de plus en plus limitées, il est d'autant plus important d'en tirer le meilleur parti. Les pays en développement adoptent des politiques et des réformes institutionnelles destinées à attirer les capitaux du secteur privé. Il leur faut en priorité créer des conditions favorables au développement. Il ne suffit pas qu'ils veillent à ce que le secteur privé puisse prospérer, même s'il s'agit là d'un aspect essentiel de leur tâche. Dans de nombreux cas, il leur faut redéfinir la place de l'État et limiter ses fonctions de contrôle pour lui faire jouer un rôle moteur en tant que partenaire et promoteur du développement.

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L'aide au développement peut souvent avoir un impact décisif en concourant à la mise en place de conditions favorables au développement. Ainsi, une aide publique bien ciblée peut contribuer à attirer les investissements. Sur le plan régional, l'Organisation des Nations Unies consacre la plus grande partie de ses subventions à l'Afrique (1,7 milliard sur un total de 4,8 milliards de dollars en 1995). Cette aide vise à renforcer les capacités des pays les plus faibles à prendre réellement part à l'économie mondiale en surmontant les effets négatifs des programmes d'ajustement et autres réformes économiques, en étant actifs sur les marchés internationaux, en maîtrisant mieux les nouvelles technologies et en renforçant d'une façon générale leurs capacités scientifiques et techniques.

L'Organisation des Nations Unies et la communauté internationale accordent de plus en plus d'importance à la bonne gestion des affaires publiques. Bien gérer les affaires publiques, c'est gouverner efficacement. C'est avoir le souci des services offerts. C'est veiller à ce que l'État prenne en compte les intérêts des citoyens. C'est renforcer les institutions publiques, responsabiliser les fonctionnaires et venir à bout de la corruption et du clientélisme.

S'il faut redéfinir le rôle de l'État, il ne s'agit pas pour autant de le réduire à sa plus simple expression. En tant que promoteur du développement, l'État se doit notamment d'assurer à ses citoyens, de lui-même ou avec le secteur privé ou les associations, l'accès à des services de santé et à un enseignement de qualité.

Tout dépend de l'éducation. Au XXIe siècle, les connaissances et le savoir-faire seront le moteur du développement. À l'évidence, ce sont aussi les connaissances et le savoir-faire qui déterminent aujourd'hui l'avantage concurrentiel d'un pays ou d'une entreprise sur les autres.

Selon une récente étude de la Banque mondiale, pour près de 65 %, la croissance provient du capital humain et social et non des ressources naturelles, du marché financier ou des infrastructures. C'est aussi de plus en plus dans le capital humain et social que les grandes sociétés investissent massivement. Leurs dirigeants s'efforcent de mettre en place les structures et les mesures nécessaires pour attirer, retenir, valoriser et motiver un personnel très qualifié et en tirer le meilleur parti. Ils sont de plus en plus conscients de l'importance des ressources humaines qui existent au sein de leurs sociétés. La gestion centralisée à l'ancienne cède peu à peu le pas à des méthodes plus collégiales.

La révolution de l'information s'inscrit dans ce processus. Elle aura des répercussions considérables sur le développement, mais ses avantages ne sont pas équitablement partagés par tous. L'essor de l'information creuse le fossé entre nantis et démunis — le fossé entre ceux qui maîtrisent la technologie et ceux qui n'y ont pas accès. Ainsi, on compte moins de téléphones dans toute l'Afrique que dans la seule ville de Tokyo.

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Ce monde, où le secteur privé est le principal agent de production, le principal pourvoyeur d'emplois et le principal acteur du développement durable et où l'État se voit confier le rôle de promoteur, reste marqué par de profondes inégalités qu'il est indispensable de corriger pour progresser sur la voie du développement. Un large consensus s'est par ailleurs instauré quant aux conditions nécessaires au développement. Il est admis que la paix, la stabilité politique et la confiance mutuelle, une administration démocratique et la liberté des échanges, sont primordiales. À cela s'ajoutent d'autres conditions : gestion avisée des affaires publiques, législation solide, décentralisation, fonctionnaires compétents, efficaces, fiables et dévoués, responsabilité sur le plan budgétaire, fiscalité équitable et efficiente, capacité des pouvoirs publics de gérer et de maintenir des conditions attrayantes et avantageuses pour les entreprises, les organisations non gouvernementales et les particuliers — des conditions qui libéreront les énergies.

La promotion du développement est l'un des objectifs de l'Organisation des Nations Unies et le demeure. Mais la situation politique et sociale évolue et de nouveaux acteurs entrent en scène, et notre conception du développement doit en tenir compte.

En ma qualité de Secrétaire général, je m'étais fixé entre autres priorités essentielles l'instauration d'un nouveau partenariat pour le développement entre l'Organisation des Nations Unies et le secteur privé. À mon sens, un tel partenariat suppose l'existence d'un programme commun de coopération avec les organisations gouvernementales et non gouvernementales, dans les pays en développement aussi bien qu'en transition, pour ouvrir plus largement aux pauvres les portes d'un avenir plus prometteur, en favorisant l'investissement intérieur et international, la création d'emplois et le développement par des individus et pour eux.

Je pense que ce partenariat est possible à différents niveaux :

— Jumelages d'entreprises dans les pays développés et en développement (les accords de jumelage porteraient sur la formation, le développement technologique, la protection de l'environnement et d'autres questions d'intérêt général);

— Aide à la création de marchés financiers (grâce à la mise en place des cadres réglementaires voulus, en particulier);

— Amélioration du fonctionnement des chambres de commerce et d'industrie nationales et provinciales, des offices des brevets, des parcs technologiques, des pépinières d'entreprises et d'autres institutions de financement appartenant au secteur privé;

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— Multiplication des incitations commerciales en faveur de l'aménagement de l'environnement;

— Appui aux institutions internationales et régionales afin d'encourager l'activité économique;

— Aide aux organisations non gouvernementales et aux associations sans but lucratif; et

— Fourniture d'infrastructures matérielles.

Certains diront que l'on privilégie le secteur privé au détriment des millions de personnes qui vivent dans les pays en développement et ne disposent d'aucun capital. Bien sûr, pour des millions de gens dont les ressources sont insuffisantes, obtenir un crédit est très hasardeux voire tout simplement impossible — en raison des taux prohibitifs que pratiquent les créanciers.

Mais de nouvelles formules sont à l'étude grâce auxquelles les personnes de condition modeste et les pauvres auront accès à un crédit abordable. Le microcrédit est un moyen nouveau de responsabiliser les femmes, en particulier les femmes rurales, en prenant le risque d'accorder des prêts modiques à des particuliers sans exiger de garanties ni de références bancaires. Le succès de la Grameen Bank, au Bangladesh, est fréquemment cité en exemple, notamment parce que cet organisme permet à des femmes qui dirigent des microentreprises d'accéder au crédit. Et ce n'est là qu'un exemple parmi bien d'autres.

Plus de 2 000 personnes, représentant 137 pays, ont participé au Sommet sur le microcrédit qui s'est tenu récemment à Washington, et se sont fixé comme objectif de mettre le microcrédit à la portée de 100 millions de familles parmi les plus pauvres du monde (en particulier des familles dirigées par des femmes) pour leur donner accès à des emplois indépendants ou leur permettre de créer des microentreprises, cela d'ici 2005. C'est avec le plus grand enthousiasme que l'Organisation des Nations Unies se rallie à cette cause.

J'ai mis en lumière quelques-unes des approches originales que l'Organisation des Nations Unies explore actuellement en matière de développement, et certaines des stratégies que nous adoptons face aux défis nouveaux. Nous devons ranimer l'esprit d'aventure et d'entreprise, l'optimisme et la solidarité qui inspirèrent les partenariats internationaux — et dont naquit l'Organisation des Nations Unies, il y a plus de cinquante ans. Le développement économique et social est le plus sûr garant de la paix, de la stabilité et de la sécurité. Les pères fondateurs de l'Organisation des Nations Unies l'avaient compris et c'est pour cela que le souci du développement est l'un des principes directeurs de la Charte des Nations Unies. Les peuples du monde n'en attendent pas moins.

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