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LE PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE GENERALE DECLARE QUE LA PRESSE NE DOIT PAS ÊTRE SOUMISE À DES FORMES PLUS OU MOINS SUBTILES DE CONTRÔLE POLITIQUE OU ECONOMIQUE

7 mai 1997


Communiqué de Presse
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LE PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE GENERALE DECLARE QUE LA PRESSE NE DOIT PAS ÊTRE SOUMISE À DES FORMES PLUS OU MOINS SUBTILES DE CONTRÔLE POLITIQUE OU ECONOMIQUE

19970507 À l'occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, il souligne la nécessité de poursuivre la lutte contre l'injustice et la répression

Le texte reproduit ci-après est le discours que le Président de l'Assemblée générale, Razali Ismail (Malaisie), a prononcé le 2 mai dans la salle de l'Assemblée générale, à l'occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse :

Je vous souhaite la bienvenue en cette Journée de la liberté de la presse, qui est l'occasion de réaffirmer les principes universels de la liberté de la presse et de s'élever contre leur violation.

L'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 stipule que : "Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit." La liberté d'expression n'est pas un privilège concédé par les pouvoirs publics ou les magnats de l'information; c'est un droit inaliénable des peuples. La liberté de la presse est un élément fondamental et indivisible de la liberté d'expression.

L'instauration, la défense et la promotion d'une presse indépendante, pluraliste et libre sont indispensables à l'essor et au renforcement de la démocratie au sein des nations et entre les nations, et sont la condition d'un développement socio-économique équitable et durable. Une presse indépendante est une presse qui n'est pas soumise au pouvoir, et qui échappe aussi aux diverses formes, plus ou moins subtiles, de contrôle politique ou économique. Une presse pluraliste suppose d'en finir avec les monopoles qui empêchent qu'un très large éventail de journaux, de magazines et d'autres organes d'information rendent compte de la grande diversité des opinions au sein de la société. Quant à la liberté de la presse, elle est nécessairement limitée car les droits et libertés dont celle-ci doit jouir ont pour pendant des

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responsabilités et devoirs particuliers à l'égard du public — recherche de la vérité et de l'objectivité, et respect des droits et de la réputation des tiers, de l'ordre public, de la santé publique et de l'éthique.

Il nous incombe à tous, surtout si nous attachons une grande valeur à la liberté de pensée, d'opinion et d'expression, de poursuivre la lutte contre toutes les formes d'injustice et de répression dont des journalistes sont encore victimes : incarcération, torture parfois, censure, poursuites judiciaires, limitation des déplacements, etc. Ce n'est qu'en ayant accès aux faits, au savoir, à l'information et aux opinions qui ont cours que les hommes pourront faire en connaissance de cause les choix que l'époque exige d'eux. Il faut donc encourager tous les Etats à instaurer des garanties constitutionnelles — protégées par la loi et soutenues par l'opinion publique — qui couvrent la liberté d'expression, la liberté de la presse pour tous les organes d'information, la liberté d'association et la liberté syndicale dans les médias. Parallèlement, les journalistes et autres professionnels de l'information devraient pouvoir progresser dans leur domaine en bénéficiant de formations adaptées.

Comme d'autres déclarations universelles, celle qui établit les droits et principes applicables à la presse décrit ce qui serait la norme dans un monde idéal mais sa mise en oeuvre se heurte à nombre de difficultés, dont beaucoup tiennent au fait que les pouvoirs publics en sont chargés. En outre, les droits et les principes universels sont récupérés politiquement et se retrouvent au centre des différends qui opposent les divers détenteurs d'une part de pouvoir ou d'influence, et les tenants des idéologies. Les pouvoirs publics ne sont donc pas nécessairement seuls en cause, surtout en des temps où les lois du marché et les impératifs économiques prévalent.

Alors que la mondialisation transforme les médias en instruments aux mains des puissants et les détourne de leur vocation de garants indépendants de la liberté, il importe que la communauté internationale et les organismes des Nations Unies redoublent d'efforts dans leur combat pour la liberté de la presse. Un peu partout dans le monde, les organes d'information servent les intérêts des magnats de la finance qui peuvent infléchir l'orientation de la presse, au point d'influer sur l'opinion publique et les milieux politiques, bien au-delà des frontières. Nombre de spécialistes déplorent la dégradation des programmes proposés par les sources publiques de radiodiffusion et de télévision qui, renonçant à toute recherche de la qualité, de la créativité et du débat d'idées, optent pour le profit et le clinquant et, ce qui est plus dangereux, s'emploient à infléchir l'opinion publique en fonction de certains credos.

L'ère de l'information est fort prometteuse; les idées transcendent les frontières physiques et géographiques et les communications s'établissent

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librement entre les peuples, sans considération politique, culturelle ou économique. Chacun s'accorde à reconnaître les possibilités extraordinaires qu'offrent les technologies de la communication et les autoroutes de l'information en matière de consolidation de la paix, de démocratie et de développement. Pourtant, ces avantages risquent d'être éclipsés par les aspects plus pernicieux de technologies en constante évolution et assujetties à l'économie de marché. Les pays en développement qui ne disposent pas de moyens d'accès et d'infrastructures adéquates vont se trouver encore plus marginalisés. Alors que dans un pays pauvre il n'existe peut-être que trois lignes téléphoniques pour 100 habitants, aux Etats-Unis des millions de personnes sont connectées à Internet et aux réseaux électroniques. En vertu des lois du marché, l'enseignement, les sciences et la culture risquent d'être sacrifiés aux dieux du mercantilisme et de la publicité.

L'absence de variantes culturelles et linguistiques sur Internet et dans d'autres médias inquiète à juste titre, car elle menace de saper la diversité qui est le fondement des sociétés. Alors qu'il nous est de plus en plus aisé de contempler les images satellites d'endroits fort éloignés ou d'occuper des espaces virtuels, l'actualité est dépouillée de tout contexte, de sorte qu'il nous est malaisé de reconnaître le caractère humain et les droits égaux de chacun des peuples de la planète. Cette déshumanisation et ce désengagement engendrent partout violence, consumérisme aveugle et altérations des systèmes de valeur. Tout un arsenal de sons numérisés et d'informations spécieuses occultent les liens réels qui unissent la cause et l'effet, les gouvernants et les gouvernés, les peuples et les forces qui façonnent la société dans laquelle ils vivent.

Alors que les atteintes ouvertes portées à la liberté de la presse par les pouvoirs publics de certains pays sont amplement médiatisées, on est moins au fait des restrictions qui menacent l'indépendance et le pluralisme de la presse : contrôle financier des organes d'information par les oligopoles, droit de regard sur la rédaction des éditoriaux et le contenu des publications, ainsi que sur la diffusion des programmes de radio et de télévision, qu'il s'agisse de divertissements ou d'actualités. La tendance généralisée à faire des commentaires qui s'écartent sciemment de la vérité, à des fins commerciales ou idéologiques, ou bien encore par sensationnalisme, s'avère lourde d'incidences. Cette tendance se retrouve dans la présentation de l'actualité écrite, radiodiffusée ou télévisée et menace subversivement un principe fondamental de l'information. Le système des Nations Unies lui-même se ressent du bouleversement des valeurs qui s'opère dans le monde des médias. Les journaux les plus respectables du pays ne trouvent pas opportun ou nécessaire de rendre compte des débats majeurs que le système des Nations Unies engage sur les questions de portée mondiale. Ils n'offrent pas de perspective planétaire; ils font simplement preuve d'un esprit de corps qui

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pousse à contempler le monde au travers de la lorgnette d'une grande puissance mondiale.

Mais il y a plus pernicieux encore : la manipulation des idées à des fins politiques, de façon à ce que d'outils accessibles à tous, elles se transforment en armes fourbies pour des alliés politiques ou commerciaux. Les directeurs de programme, les journalistes et les correspondants sont contraints d'abaisser la qualité de leurs prestations pour toucher un public plus large et ils offrent des divertissements en guise d'information. Le sensationnalisme et les opinions tranchées l'emportent sur la circonspection; le but n'est plus tant d'informer que de choquer. Ces coups portés à la libre opinion ont fini par modifier le discours politique : des spécialistes des relations publiques et des journalistes en vogue remplacent désormais une intelligentsia perspicace et objective.

J'aimerais, pour conclure, saluer ceux qui persévèrent dans leur lutte pour l'intégrité de la presse et ceux qui se battent contre vents et marées pour préserver l'indépendance de leurs idées. Nous devons également rendre à nouveau hommage aux journalistes, aux rédacteurs, aux personnalités de la radio et de la télévision ainsi qu'aux éditeurs qui, victimes de la répression, soumis à la torture, ou emprisonnés, demeurent inébranlables dans leurs convictions.

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À l’intention des organes d’information. Document non officiel.