En cours au Siège de l'ONU

PI/1004

JOURNEE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE: LES ATTEINTES A CETTE LIBERTE AFFAIBLISSENT LA CHARTE DES NATIONS UNIES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

2 mai 1997


Communiqué de Presse
PI/1004


JOURNEE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE: LES ATTEINTES A CETTE LIBERTE AFFAIBLISSENT LA CHARTE DES NATIONS UNIES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

19970502 Le Président de l'Assemblée générale a dénoncé les impératifs commerciaux ou idéologiques, sources de manipulation de l'information

La Journée mondiale de la liberté de la presse, observée le 3 mai, a été commémorée ce matin dans la salle de l'Assemblée générale, en présence du Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan et du Président de l'Assemblée générale, M. Ismail Razali (Malaisie). Ouvrant la cérémonie, le Sous-Secrétaire général à l'information, M. Samir Sanbar a rappelé que la liberté de l'information a été consacrée par une des premières résolutions adoptées par l'Assemblée générale.

Dans sa déclaration, le Secrétaire général a estimé que les atteintes à la liberté de la presse affaiblissent les objectifs de la Charte des Nations Unies. Sans la liberté de la presse, l'aspiration des peuples au progrès social dans une société libre restera lettre morte. Il a appelé les journalistes à faire davantage pour témoigner du combat quotidien des hommes pour le travail, la dignité et la liberté.

Pour sa part, M. Ismail Razali, Président de l'Assemblée générale, qualifiant la liberté d'opinion et d'expression de droit inaliénable de tous les peuples, a dénoncé la tendance selon laquelle l'information est systématiquement biaisée par des considérations d'ordre commercial, idéologique ou sensationnel. Les Nations Unies elles-mêmes souffrent de ces déformations. Même les journaux les plus respectables dans ce pays ne jugent pas utile de couvrir les débats essentiels des Nations Unies, a-t-il souligné.

Ont également pris la parole, M. Dan Rather, présentateur de CBS Evening News, Mme Raghida Dergham, Présidente de l'Association des journalistes accrédités auprès des Nations Unies (UNCA) et M. Ariel Dorfman, journaliste, romancier et dramaturge. M. Federico Mayor, Directeur de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), Mme Christine Ockrent de France 3 Télévision, M. P.B. Sawant, Président du Conseil de la presse de l'Inde et Mgr. Desmond Tutu (Afrique du sud) sont intervenus sur vidéo.

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Déclarations

M. ISMAIL RAZALI, Président de l'Assemblée générale, a déclaré que la Journée mondiale de la liberté de la presse doit être l'occasion de réaffirmer les principes universels de cette liberté et de s'élever contre ses violations. L'Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme prévoit que tous ont le droit à la liberté d'opinion et d'expression. Il ne s'agit pas d'une concession magnanime mais d'un droit inaliénable de tous les peuples. L'établissement, le maintien et la promotion d'une presse indépendante est importante pour le développement et le renforcement de la démocratie. Une presse indépendante signifie une presse libre de tout contrôle économique et politique. Une presse libre n'est toutefois pas entièrement libre car avec les droits et libertés, des devoirs existent envers le public. Tous ceux qui honorent la liberté d'expression sont responsables et doivent faire campagne contre l'injustice, l'incarcération arbitraire ou encore la torture auxquelles sont en butte les représentants de la presse. Tous les Etats doivent assurer les garanties institutionnelles nécessaires à l'instauration d'une presse indépendante. Dans le même temps, il faut faciliter l'accès le plus large possible des programmes de formation aux journalistes. Comme pour bien d'autres déclarations universelles de droits et de principes, la description des normes dans le domaine de la liberté de la presse parait bien utopique alors que, dans la réalité, leur mise en oeuvre est très problématique. Les grandes idées sont souvent victimes de la politisation des querelles ou des forces du marché. Les médias sont trop souvent un instrument des hommes de pouvoir. Les médias deviennent des instruments puissants aux mains de grands financiers qui peuvent véritablement influencer l'opinion publique.

On attend beaucoup de l'"Age de l'information". Il faut pourtant mettre en garde contre les aspects pernicieux des technologies. On risque de voir les pays les plus défavorisés être davantage désavantagés. Les forces du marché risquent d'entraîner la marginalisation des questions comme l'éducation ou la culture qui vont être sacrifiées sur l'autel des dieux du commerce et de la publicité. Les images retransmises par satellite font que le public a de plus en plus accès aux réalités virtuelles et qu'il se déconnecte, en quelque sorte, de la réalité vraie. Cet état de fait entraîne une déformation des échelles de valeur. Une culture d'explication démagogique a fini par tisser des mensonges qui cachent les relations réelles entre la cause et l'effet entre les peuples et leur gouvernement. On oublie trop souvent l'impact des méthodes d'ingérence indirecte par les journaux, la télévision ou la radio. Certaines tendances actuelles en matière d'information peuvent avoir d'énormes conséquences. L'ONU elle-même souffre de cette évolution. Les journaux américains par exemple ne jugent pas nécessaire de faire des reportages sur les questions critiques examinées par l'Organisation parce que le sensationalisme occupe le devant de la scène. M. Razali a conclu en rendant hommage à tous ceux qui, à travers le monde, continuent de lutter en faveur de la liberté de la presse et de son autonomie.

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M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies, a déclaré qu'aucune société démocratique ne peut exister sans une presse libre, indépendante et pluraliste. Nous rendons hommage au courage et au sacrifice d'hommes et de femmes pour lesquels la diffusion de l'information est plus qu'une profession, a-t-il expliqué. Il s'agit d'une mission et d'un impératif sacrés. Aujourd'hui, a souligné le Secrétaire général, presque cinquante ans après que l'Assemblée générale ait affirmé le droit à l'information dans l'Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, les frontières que les nouvelles et l'information doivent franchir pour atteindre une audience avide sont bien moins nombreuses. Avec la révolution des technologies de l'information, depuis les satellites au World Wide Web sur l'Internet, il est plus difficile de supprimer le flux d'informations libre traitant des violations des droits de l'homme, de l'injustice sociale et de la discrimination sous toutes ses formes. La révolution des technologies des communications est le résultat d'un investissement important de la part des pays industrialisés, creusant ainsi le fossé entre pays développés et pays en voie de développement. Pour contrer cette tendance, a estimé le Secrétaire général, la communauté internationale devraient fournir une aide pratique, y compris une aide à la formation et une assistance technique.

Par ailleurs, a précisé M. Kofi Annan, les pays en voie de développement devraient travailler au renforcement de leurs organisations de presse nationales. Pour cela, il faut que les gouvernements respectent le principe fondamental de la liberté de la presse. Le Secrétaire général a, en outre, souligné que la liberté d'expression entraîne également un risque pour la sécurité du journaliste. Selon une étude, 185 journalistes ont été emprisonnés l'année dernière dans 24 pays tandis que vingt-six ont été assassinés dans l'exercice de leurs fonctions. "Une presse libre, a écrit Camus, peut être bonne ou mauvaise. Mais sans aucun doute, sans la liberté, la presse ne peut être autre chose que mauvaise".

Aux yeux du Secrétaire général, les violations de la liberté de la presse sapent les objectifs de la Charte des Nations Unies. Sans une presse libre, à même de faire la lumière sur les problèmes dont se préoccupent les Nations Unies, les questions de la pauvreté, de la dégradation de l'environnement, des violations des droits de l'homme, du trafic d'armes, du terrorisme, de la promotion des droits de la femme, du bien-être des enfants, seront plus difficiles à résoudre. Sans la liberté de la presse, a indiqué à nouveau le Secrétaire général, l'aspiration des peuples au progrès social et à un meilleur niveau de vie dans une société libre restera lettre morte. Le Secrétaire général a appelé les journalistes à faire plus encore pour témoigner du combat quotidien de hommes pour le travail, la liberté et la dignité. Il y a deux siècles, a indiqué M. Kofi Annan, Thomas Jefferson a dit "les fondements du gouvernement reposent sur l'opinion du peuple. Si je devais choisir entre un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, je choisirais sans hésitation la dernière option".

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M. DAN RATHER, Journaliste et présentateur de "CBS Evening News", a déclaré qu'en ce jour il célèbre personnellement l'idéal américain d'une presse libre reconnu par les Nations Unies elles-mêmes. Il a cependant souligné la difficulté de donner une véritable assise à cette notion. Même aux Etats-Unis, des dirigeants ont cédé à la tentation de restreindre les libertés de la presse. Mais, a souligné M. Rather, comment peut-on ne pas accepter aujourd'hui la liberté de la presse alors que l'histoire a montré les graves conséquences de la violation de cette liberté. L'histoire n'avait pas montré pas que violer cette liberté implique de graves conséquences. L'histoire mais aussi la moralité montre que la censure est injustice. Pourtant la censure persiste. Un journaliste est un témoin et je témoigne de ce que j'ai vu, a dit M. Rather. Nombre de mes collègues sont torturés pour un seul crime, celui de dire la vérité. Pour de nombreux hommes et de nombreuses femmes, la liberté de la presse ne peut s'exercer qu'en faisant preuve d'un grand courage. Pourtant sous l'oppression, le besoin de rendre compte ne devient que plus impérieux. L'histoire montre que la vérité vient à bout de toutes les tyrannies. Par ailleurs, la technique moderne de l'information et des communications rend presqu'impossible la censure aujourd'hui. Les guerres qui éclatent dans le monde n'empêchent pas les Nations Unies de continuer de se battre en faveur de l'instauration de la paix entre toutes les nations. La censure et les mauvais traitements infligés aux journalistes doivent canaliser l'énergie des Etats membres vers l'instauration d'une presse libre et indépendante.

Mme RAGHIDA DERGHAM, correspondante pour le journal Al-Hayat et Présidente de l'Association des correspondants de presse des Nations Unies, précisant qu'elle s'exprimait personnellement, a déclaré que la liberté de la presse restera un idéal tant que les journalistes seront emprisonnés et torturés. A l'échelle mondiale, nous sommes loin de la liberté de la presse aussi bien dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. Dans les pays développés, les médias sont confrontés à des menaces subtiles qui prennent la forme de couverture manipulée ou de campagnes de désinformation lancées par les gouvernements. Les journalistes ne sont pourtant pas des citoyens privilégiés mais les privilèges qui leur sont accordés rendent souvent la presse complice du gouvernement. Dans les pays en développement, a-t-elle ajouté, la presse n'est pas perçue comme un moyen de communication efficace, les gouvernements la contrôlant au nom d'une tradition d'intimidation. Les pressions commerciales, la censure liée à la recherche d'un auditoire ou aux schémas de pensée obsolètes et dépassées de certains journaliste sont également d'autres formes de manipulation qui existent dans toutes les sociétés. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis et à de nouvelles contraintes. Mais dans l'élaboration de stratégies, il est rare que les médias soient engagés dans la résolution des conflits. Mme Dergham a plaidé en faveur de stratégies qui respectent l'indépendance de la presse. Il faut rectifier les défauts quand ils existent et s'ériger ensemble contre la menace et l'intimidation utilisées à l'endroit des journalistes, a-t-elle souligné.

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M. FEDERICO MAYOR, Directeur de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), dénonçant les violations à la liberté et à l'indépendance de la presse, a déclaré que la limitation à la liberté de la presse est en effet une limitation à la démocratie. Pour sa part, l'UNESCO continuera à soutenir les médias et à étudier avec eux les voies et moyens d'assurer un plus grand respect des principes de liberté et d'indépendance.

Mgr DESMOND TUTU, Prix Nobel de la paix en 1984, a souligné que les principes de la démocratie sont incompatibles avec une presse sous contrôle. Les détenteurs du pouvoir seraient toujours tentés d'abuser de leur prérogatives s'ils ne se sentaient surveillés par des journalistes indépendants. La jeune démocratie sud-africaine serait condamnée si sa naissance ne s'était accompagnée d'une presse libre et indépendante. Les dirigeants de tous les pays doivent être contrôlés par un public critique informé par une presse vigilante. Mgr Tutu a conclu en félicitant les Nations Unies de tous les efforts déployés pour renforcer la liberté de la presse, cet élément indispensable pour toute société qui se veut démocratique.

Mme CHRISTINE OCKRENT, France 3 Télévision, a invité les participants à réaliser combien étouffante serait une société où l'on ne disposerait d'aucune information sinon de la version officielle des choses. Elle a mis l'accent sur le fait qu'une telle situation affecte encore aujourd'hui des centaines de millions de personnes dans le monde. Sans la liberté d'opinion et d'expression, aucune démocratie n'est possible, ni aucune richesse, puisque les sociétés commerciales prennent des décisions en fonction des informations acquises. Il faut proclamer la liberté de la presse comme un droit universel. Le XXIe siècle ne peut être à la fois l'âge d'or d'Internet et celui de la dictature.

M. P.B. SAWANT, Président du Conseil de la presse de l'Inde, a mis l'accent sur le fait qu'une presse libre et indépendante est la meilleure garantie d'une bonne administration. La presse peut et doit agir comme opposition constructive. Pour que la presse puisse exercer ses fonctions, il faut éliminer toute entrave au mouvement de l'information à la presse et de la presse au peuple. Les obstructions externes ne sont pas seulement le fait des gouvernements mais peuvent provenir d'autres acteurs comme les groupes politiques ou les intérêts économiques. La censure interne, elle, provient de la gestion ou du personnel influencé par les tendances sociales et économiques. Préserver la presse des contraintes externes et internes c'est la rendre non seulement libre mais véritablement indépendante.

M. ARIEL DORFMAN, Journaliste, Romancier et Dramaturge, a déclaré que quelque part dans le monde aujourd'hui, tel journaliste est jeté en prison, tel autre est passé à tabac, d'autres voient leurs rédacteurs atténuer un bulletin d'information, effacer un commentaire, un adjectif, une citation.

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Ironiquement, un grand nombre de représentants qui siègent dans la salle de l'Assemblée générale sont issus de nations où la liberté de la presse a été violée au cours des derniers mois. Nous avons au Chili une citation; "si la rivière fait du bruit c'est qu'elle emporte des pierres". Quelque part dans le monde, a-t-il ajouté, des matraques de policiers retombent sur des têtes signifiant ainsi que celles-ci ont réfléchit indépendamment. Dénonçant la concentration des titres de presse en conglomérat, qu'il a qualifié de perversion des plus insidieuses, M. Dorfman a estimé que le courage de centaines de milliers de professionnels ne suffit pas en soi à garantir le pluralisme. Il faut qu'à la voix de la presse libre se joignent des milliers d'autres voix qui parlent et dénoncent. A quoi sert le son des pierres contre le silence si ceux qui boivent à la rivière n'entendent pas le bruit des pierres, s'est-il demandé. Nous sommes tous responsables des libertés permettant à la presse d'être libre. Pourtant, quelque part dans le monde, un poète se cache, un livre est brûlé, un auteur est assigné en procès. Il faut respecter ceux avec lesquels nous ne sommes pas d'accord et ceci en raison même de leur différence, si l'on veut garantir la liberté d'expression.

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