SG/SM/6218

LE SECRETAIRE GENERAL DECLARE QUE 'JAMAIS DANS SON HISTOIRE' LE MONDE N'A EU AUTANT BESOIN D'UN INSTRUMENT D'ACTION GLOBALE

28 avril 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6218


LE SECRETAIRE GENERAL DECLARE QUE 'JAMAIS DANS SON HISTOIRE' LE MONDE N'A EU AUTANT BESOIN D'UN INSTRUMENT D'ACTION GLOBALE

19970428 On trouvera ci-après le texte de l'allocution que le Secrétaire général Kofi Annan a prononcée le 22 avril, à New York, devant le Council on Foreign Relations. Intitulé "L'Organisation des Nations Unies : nouvelles orientations, nouvelles priorités", l'exposé du Secrétaire général entrait dans le cadre du cycle de conférences "The Sorensen Distinguished Lecture on the United Nations" :

J'ai le grand honneur et le plaisir de répondre à votre invitation et de m'adresser à vous ce soir pour vous faire part de mes réflexions et idées concernant l'Organisation des Nations Unies.

Il est bon de se retrouver entre amis. Vous êtes si nombreux ici ce soir qu'il m'est impossible de vous citer tous nommément, mais je me dois de faire une exception pour Ted et Gillian Sorensen. La dotation qu'ils ont accordée pour cette conférence constitue un témoignage de plus de leur dévouement inébranlable à l'Organisation des Nations Unies et à la vision qui a présidé à sa création. Gillian est, bien sûr, aujourd'hui un membre éminent de mon équipe de conseillers. Aux deux, j'adresse mes remerciements pour leur action constante et admirable, comme je les remercie d'avoir fait en sorte que je puisse m'adresser à vous ce soir.

Je voudrais aussi remercier l'Ambassadeur Don McHenry, éminent haut fonctionnaire aux états de service remarquables dans le domaine de la diplomatie multilatérale, de sa très bienveillante intervention liminaire, et Pete Peterson, qui est avec nous ce soir pour présider la réunion.

Je connais bien le Council on Foreign Relations et je sais qu'en cette instance, les discussions et débats sur l'Organisation des Nations Unies sont caractérisées par la connaissance des faits, la compréhension et la détermination. Cette institution a été une source constante d'idées nouvelles et constructives sur l'Organisation des Nations Unies. Votre rapport sur la réforme de l'Organisation, pour ne citer qu'un exemple, a incontestablement fait date.

( suivre)

- 2 - SG/SM/6218 28 avril 1997

Je voudrais ce soir partager avec vous, dans leurs grandes lignes, quelques réflexions et idées, puis, ce qui est plus important, connaître vos réactions et observations.

Je voudrais pour commencer évoquer brièvement les changements géopolitiques qui ont si radicalement modifié le contexte de notre action et de notre mission au cours de la dernière décennie. J'examinerai ensuite les tâches de l'Organisation des Nations Unies dans ce nouveau contexte, et la manière dont l'Organisation doit changer si elle veut s'acquitter de ces tâches avec l'efficacité et l'efficience voulues.

La fin de la guerre froide a marqué, à bien des égards, la fin de l'univers politique au sein duquel l'Organisation des Nations Unies est apparue et s'est développée. Il a donc fallu s'adapter à ce monde nouveau, sans autres cartes que celles que nous pouvions nous-mêmes établir. Ce ne fut pas chose facile. Confrontée à des problèmes d'une rare complexité, et devant accomplir des tâches d'une ampleur et d'une difficulté sans précédent, l'Organisation des Nations Unies a dû — souvent au milieu des soupçons et des calomnies — naviguer entre les écueils de ces mers nouvelles et inexplorées.

Je ne vous dirai pas ce soir que nous n'avons fait aucune erreur, parce que nous en avons fait. Et je ne vous dirai pas non plus que des changements ne sont pas nécessaires, parce qu'ils le sont. Mais je vous dirai bien, en revanche, que l'Organisation des Nations Unies commence à voir clairement où elle doit aller — et que l'on commence à lui reconnaître le statut d'instrument irremplaçable de coopération internationale en faveur de la paix. Et la deuxième chose que je dois vous dire, c'est qu'avec le soutien des Etats Membres et le dévouement auquel j'appelle le personnel, le changement peut se produire et la réforme deviendra réalité.

Je ne dis pas cela uniquement parce qu'un changement est exigé ou parce que le changement est bon pour notre institution, je le dis parce que je suis convaincu que le monde nouveau où nous vivons a plus, et non moins, besoin d'une Organisation des Nations Unies efficace et parce qu'en cette fin de siècle, l'opinion publique va exiger avec plus, et non moins, de vigueur une action concertée en vue d'épargner à la planète des dangers qui la menacent et d'assurer la paix. Des forces et courants nouveaux sont en train de redéfinir la politique mondiale à un rythme qui donne le tournis. Mais le message qui est au coeur de la Charte des Nations Unies, avec sa vocation de justice et sa promesse de paix, n'en demeure pas moins aussi puissant et impérieux que jamais. Il nous incombe à présent de comprendre ce monde nouveau, en comptant sur la pérennité des vérités inscrites dans notre charte, et de renouveler notre engagement à faire en sorte qu'elles se réalisent.

( suivre)

- 3 - SG/SM/6218 28 avril 1997

Pour réussir, il faut commencer par soi-même, et c'est ce que nous avons fait. Vous n'ignorez certainement pas que j'ai commencé à mettre en oeuvre un vaste processus de réforme couvrant l'ensemble du système des Nations Unies et visant à regrouper, à rationaliser et à réorganiser partout où cela est possible, en gardant toujours à l'esprit trois objectifs capitaux : l'efficacité, la transparence et la responsabilité.

Si ces changements n'ont pas lieu, nous ne serons pas en mesure d'agir et de réagir dans un monde où l'interdépendance exige toujours davantage de coopération internationale. Et, à l'évidence, nous ne saurions relever les défis du nouveau millénaire avec un outil conçu pour le contexte très différent du milieu du XXe siècle. Voilà pourquoi la réforme est si capitale, et si urgente.

La réforme est capitale aussi parce que le bilan de la dernière décennie en matière de maintien de la paix a été pour nous une source d'enseignements importants sur les limites de l'intervention et les mérites de la prévention, aux plans tant politique qu'économique. Ayant mis sur pied plus d'opérations de maintien de la paix au cours des 10 dernières années que pendant les 45 années précédentes, l'Organisation des Nations Unies s'est retrouvée face à des problèmes d'une nature et d'une ampleur inédites. Les mandats de ces opérations, qui ne se limitaient plus au maintien de la paix classique et ordinaire, étaient eux-mêmes souvent dépassés par les événements, et les casques bleus se retrouvaient alors dans des situations où ils n'étaient ni suffisamment armés ni suffisamment respectés.

L'un des enseignements que nous avons tiré de ces expériences confirme l'adage bien connu : "il vaut mieux prévenir que guérir". Le maintien de la paix est une activité coûteuse, pleine de dangers, de difficultés et d'incertitudes. L'on épargne bien plus de vies humaines et l'on dépense bien moins de ressources en évitant un conflit qu'en arrêtant un conflit qui a déjà éclaté. C'est pour cela que j'insiste beaucoup sur la diplomatie préventive. Je demande instamment à la communauté internationale d'accorder elle aussi la priorité au travail essentiel de rétablissement de la paix et de médiation. Prenez n'importe quelle situation d'après conflit et vous y verrez ce qu'il en coûte de ne pas avoir saisi les occasions diplomatiques qui se présentaient et de ne pas avoir pris les initiatives préventives qui s'imposaient.

Mais il est aussi un autre enseignement qu'il faut tirer des situations d'après conflit et qui exige une attention et un engagement à long terme encore plus grands. Je veux parler de l'importance capitale du développement économique et social, et du rôle que les disparités dans la croissance et les distorsions dans la répartition des ressources peuvent jouer dans la désintégration des Etats et la déstabilisation politique.

( suivre)

- 4 - SG/SM/6218 28 avril 1997

Il convient de ne pas sous-estimer la difficulté de démêler l'écheveau des raisons qui font que des Etats s'effondrent ou que des explosions régionales se produisent. Des tendances que l'on impute communément à la "mondialisation" et à la "fragmentation" sont en réalité des phénomènes extrêmement complexes où se mêlent tout à la fois le progrès politique et l'échec politique. Le déclin des allégeances idéologiques et politiques à une superpuissance ou à une autre a donné libre cours aux mouvements pour l'autodétermination nationale et la libéralisation politique — pour le meilleur et, bien tragiquement parfois, pour le pire.

Il est alarmant de constater à quel point ces développements récents n'ont suscité dans l'ensemble que désespoir et résignation. Ces faillites étatiques et les guerres civiles et ethniques sur lesquelles elles débouchent trop souvent seraient inévitables, et les difficultés sur lesquelles butent de temps à autre les interventions internationales ne feraient que confirmer le caractère insoluble de ces problèmes.

Je voudrais pour ma part avancer un autre point de vue, selon lequel ces faillites, ces guerres, ces problèmes sont des problèmes politiques et des problèmes économiques, auxquels peuvent être apportées des solutions politiques et économiques. Il n'y a rien d'inévitable dans le conflit ici ou la tyrannie là. La liberté et les droits de l'homme sont des notions autant universelles que politiques, qui ressortissent de l'action des hommes de toute couleur ou confession. La Charte des Nations Unies dit "Nous, peuples des Nations Unies", et c'est la promesse de la Charte que nous nous employons à concrétiser.

Reconnaître l'universalité des solutions politiques, comme des problèmes politiques, c'est accepter de grandes responsabilités. Voilà pourquoi le rôle de l'Organisation des Nations Unies doit être constamment adapté à l'évolution des réalités politiques. Dans l'ex-Yougoslavie et en Amérique latine, l'Organisation des Nations Unies a entrepris de renforcer les institutions démocratiques là où celles-ci avaient été bafouées et d'aider à créer de telles institutions là où il n'y en avait pas.

De nouveau, les droits de l'homme sont en train de retrouver la place centrale qui doit être la leur dans la promotion de la paix et de la stabilité face aux conflits et à leurs séquelles immédiates. De ce fait, les missions de création d'institutions et de démocratisation vont de plus en plus comporter un important élément relatif aux droits de l'homme. Conjuguer la création d'institutions, la démocratisation et la promotion des droits de l'homme peut constituer la réponse politique aux problèmes politiques dont souffrent de vastes parties du monde en développement.

( suivre)

- 5 - SG/SM/6218 28 avril 1997

Mais la démocratisation politique n'est qu'une partie de la solution, l'autre partie devant être le progrès économique. Le développement s'est transformé pendant la guerre froide en une compétition où chacun essayait d'attirer l'attention et l'aide des superpuissances. Aujourd'hui, le développement constitue un problème global qui transcende les idéologies et les intérêts immédiats. Il s'agit aujourd'hui d'un défi autant moral que politique que le monde doit relever, parce que la stabilité et la prospérité sont inséparables. C'est sur ce point que je veux que l'Organisation des Nations Unies joue un rôle plus efficace, politiquement et économiquement.

Pour les pays en développement, l'économie mondiale offre de nombreux avantages, mais présente aussi des écueils et des dangers. Les courants d'investissement sont déséquilibrés, apportant à certaines économies un développement et une croissance rapides et ignorant d'autres. Pour certains pays et peuples, la mondialisation n'est porteuse que d'un risque de marginalisation accrue.

Cette croissance désordonnée et inégale dans le monde en développement est lourde de conséquences politiques. Les idées et l'argent se déplacent d'un coin de la planète à l'autre en quelques secondes et l'on peut aujourd'hui plus que jamais se rendre compte de la misère ou de la prospérité d'autrui. Les attentes sont donc plus fortes. Et, comme l'a bien vu de Tocqueville, rien n'est plus dangereux pour la stabilité politique que l'incapacité à répondre à une attente croissante. Les frustrations augmentent à mesure que les inégalités deviennent plus visibles et, dans certains cas, elles mettent en péril la paix et la cohésion sociales et suscitent le conflit.

Je suis convaincu que l'Organisation des Nations Unies a un rôle capital à jouer pour contrecarrer cette évolution et remédier à ces inégalités. Nous pouvons mettre en relief les besoins des pays en développement qui ne reçoivent qu'une part minime, voire nulle, d'un investissement étranger direct pourtant en augmentation rapide. Et nous pouvons aider à créer et soutenir les structures politiques et constitutionnelles sans lesquelles il n'y a pas de véritable développement durable.

Par l'entremise de ses organismes de développement et de ses organes politiques, l'Organisation des Nations Unies est on ne peut mieux placer pour jouer un rôle de médiation et de facilitation dans l'espace qui sépare l'investissement privé à long terme du développement sociopolitique des pays les plus démunis. Si l'on parvient à assurer la viabilité à long terme des institutions démocratiques et de l'état de droit dans tous les pays en développement, on aura du même coup assuré l'existence de marchés fiables et d'une réelle prospérité.

( suivre)

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Un nouveau plan d'action social s'impose pour apporter une réponse énergique à toute une série de dangers auxquels il n'est possible de faire face que dans le cadre d'une action concertée au plan mondial : intolérance et exclusion; trafic de drogues; terrorisme; trafic d'armes; et catastrophes écologiques. Ce nouveau plan d'action social est le produit d'un certain nombre de conférences mondiales parrainées par l'Organisation des Nations Unies au cours des quelques dernières années. De Rio de Janeiro en 1992 à Istanbul l'année dernière, des sujets comme l'environnement, les droits de l'homme, la politique démographique, le développement social, les femmes et les établissements humains ont été examinés avec beaucoup d'attention et d'intérêt.

Il faut à présent s'employer en priorité à veiller à ce qu'un suivi sérieux et efficace soit donné à ces conférences mondiales, et que leurs conclusions soient intégrées en un véritable plan d'action cohérent, où les questions économiques et sociales sont replacées dans le contexte plus global de l'action en faveur d'un développement humain durable et de la paix et de la sécurité. Alors seulement pourrons-nous dire avec certitude que tous les hommes et toutes les femmes qui, dans les pays en développement, s'efforcent de réaliser une prospérité durable pour eux-mêmes et pour leurs enfants peuvent se reconnaître dans notre action en faveur de la paix et du développement au plan mondial.

Telles sont quelques-unes des idées et préoccupations qui sont les nôtres aujourd'hui à l'Organisation des Nations Unies, des idées que nous sommes déterminés à promouvoir avec sérieux et ténacité. La décennie qui vient de s'écouler a vu l'Organisation des Nations Unies passer de l'impasse de la guerre froide, où l'on attendait peu d'elle, à une époque de hautes ambitions et de grande euphorie. Puis vint la crise et la désillusion, avant ce qui est à présent, il me semble, une ambiance d'optimisme mesuré. Il nous faut désormais passer à une nouvelle ère, de clarté politique et de stabilité organisationnelle.

Dans tout ce que je fais pour réformer notre institution et redéfinir avec précision notre mission, je recherche le soutien des Etats-Unis. Les Etats-Unis sont de loin le membre le plus puissant de l'Organisation. Pourtant, d'aucuns demeurent soupçonneux à l'égard du multilatéralisme et de l'effet qu'il peut avoir sur les relations extérieures des Etats-Unis. Le multilatéralisme n'est pas l'ennemi du bilatéralisme, il en est l'allié irremplaçable. Ces deux formes de diplomatie devraient être complémentaires dans les relations internationales de tout Etat. Dans pratiquement toute entreprise humaine, on obtient plus de résultats en agissant ensemble que chacun pour soi.

- 7 - SG/SM/6218 28 avril 1997

Il n'y a qu'une seule Organisation des Nations Unies. Soit on la réforme et on fait en sorte qu'elle fonctionne comme les Etats veulent qu'elle fonctionne, soit on continue de l'accabler de critiques incessantes et, finalement, saper son existence.

Je crois que le monde où nous vivons a plus que jamais besoin d'un instrument d'action au plan mondial. Je crois que l'Organisation des Nations Unies est l'instrument qu'il faut pour assurer la paix et faire en sorte que partout, dans les pays pauvres comme dans les pays riches, les gens soient réellement parties prenantes dans cette action pour la paix, et ce, en favorisant le développement et en encourageant la coopération. Mais, l'Organisation des Nations Unies n'est qu'un instrument, un acteur auquel ses metteurs en scène doivent fournir accessoires et répliques. Permettez-moi donc de reprendre pour conclure le mot de Winston Churchill : Donnez-nous les outils — la confiance, l'autorité, les moyens — et nous ferons le travail.

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