En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/6202

L'ONU DOIT RÉAGIR AVEC EFFICACITÉ AUX GRANDS BOULEVERSEMENTS ET AUX NOUVELLES PRIORITÉS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE, ESTIME LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

14 avril 1997


Communiqué de Presse
SG/SM/6202


L'ONU DOIT RÉAGIR AVEC EFFICACITÉ AUX GRANDS BOULEVERSEMENTS ET AUX NOUVELLES PRIORITÉS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE, ESTIME LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

19970414 GENÈVE, 9 avril — On trouvera ci-après la déclaration prononcée hier par le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Kofi Annan, devant l'Institut universitaire des hautes études internationales et l'Association suisse de politique étrangère :

Laissez-moi, tout d'abord, vous exprimer ma joie d'être aujourd'hui, ici, parmi vous. Car j'ai bien conscience, en me rendant à votre invitation, d'honorer une dette ancienne : celle que je dois à l'Institut universitaire des hautes études internationales, dont je suis fier d'avoir été l'élève.

Et j'avoue avoir un peu l'impression, ce soir, de me retrouver dans la situation d'un étudiant passant un oral d'examen, devant ce public d'éminents spécialistes des relations internationales. Je demande donc, par avance, l'indulgence de mon jury.

J'aimerais aussi rendre hommage, en particulier, à M. Rappart, fondateur de l'Institut des hautes études internationales, ainsi qu'à M. Jacques Frémont, mon professeur, mentor et ami. Ce sont eux qui nous ont initiés dans l'étude et la pratique des relations internationales.

Et finalement, je veux aussi saisir cette occasion pour remercier toutes celles et tous ceux qui se sont associés à l'initiative de l'Institut. En particulier, l'Association des anciens élèves, l'Association suisse de politique étrangère et toutes les associations, clubs et cercles internationaux de Genève, regroupés par la fondation "Un avenir pour Genève".

Si j'ai choisi de m'entretenir, devant vous, de "L'ONU et les nouvelles réalités internationales", c'est parce que je suis convaincu que l'Organisation mondiale se doit aujourd'hui de réagir, avec efficacité et avec vigueur, aux grands bouleversements que nous avons connus ces dernières années et aux nouvelles priorités de la société internationale.

Cela est d'autant plus nécessaire que la fin de la guerre froide et de l'affrontement Est-Ouest n'a pas donné lieu à une grande conférence internationale, dans laquelle les États auraient pu dire clairement ce qu'ils attendent de l'Organisation des Nations Unies.

Après la première guerre mondiale, il y eut le Traité de Versailles et la Société des Nations. Après la seconde guerre mondiale, il y eut la Conférence de San Francisco et la Charte des Nations Unies. Rien de tel aujourd'hui. Ce n'est donc que par tâtonnements successifs, de manière empirique, de façon pragmatique que les États essaient de jeter les fondements de l'ordre international de demain. Cet exercice est rendu d'autant plus difficile que le monde est secoué aujourd'hui par un double phénomène d'"éclatement" et de "globalisation".

L'éclatement s'est d'abord produit avec la disparition de l'Union soviétique, qui a donné naissance à une quinzaine d'États nouveaux, mais qui a eu aussi des répercussions indirectes sur l'ensemble de l'Europe centrale et orientale.

De même, en Afrique, des guerres civiles, des conflits ethniques, des luttes tribales mettent en péril, ici ou là, les structures mêmes de l'État. Là encore, certains États sont menacés d'éclatement.

Et l'ONU a le devoir de faire face à cette situation et au cortège de souffrances qu'elle entraîne pour les populations concernées. Mais, dans le même temps, il est clair que nous sommes aussi confrontés aux défis d'une société globale.

La circulation des marchandises et des capitaux, le développement durable, la diffusion de l'information, la protection de l'environnement, la maîtrise de l'avenir démographique, mais aussi la répression du crime transnational, la lutte contre le sida ou l'action contre le terrorisme, appellent des réponses à l'échelle planétaire, des réponses qui dépassent la seule compétence des États.

L'ONU doit donc faire face à ce double mouvement d'éclatement et de globalisation. Cela est rendu d'autant plus difficile que l'Organisation des Nations Unies traverse une réelle crise de confiance. Chacun connaît, notamment, les rapports exigeants et complexes que les États-Unis entretiennent avec l'Organisation mondiale.

Je me suis engagé à faire face à cette situation. Je me suis engagé à restaurer la confiance.

Mais, pour ce faire, il est indispensable que l'Organisation des Nations Unies se réforme.

Elle doit s'adapter à cette nouvelle réalité internationale qui demande, tout à la fois, d'agir dans l'urgence au service de la paix dans le contexte de l'éclatement dont nous avons parlé plus haut et d'accompagner, dans le long terme, le développement de la société globale. Permettez-moi maintenant de développer chacun de ces points.

( suivre)

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Ces dernières années, les opérations de paix menées par l'ONU ont connu une expansion sans précédent. Depuis 1990, le Conseil de sécurité a lancé plus d'opérations de maintien de la paix qu'il ne l'avait fait au cours des 45 années précédentes. Il y a eu des missions sur tous les continents.

Les mandats confiés aux Casques bleus ont été plus vastes que jamais. En Angola, en El Salvador, au Cambodge, en Haïti, au Libéria et en Somalie ainsi que dans l'ex-Yougoslavie, les soldats de la paix ont reçu des tâches nombreuses et variées, allant bien au-delà de ce que l'on entendait jusqu'alors par maintien de la paix : remise en état des infrastructures, organisation de programmes d'alimentation, fourniture d'abris pour les réfugiés et les déplacés, organisation de programmes de déminage et remise en état de services publics. Dans certains cas, ils ont aussi été appelés à désarmer les anciens combattants et organiser leur réinsertion dans la société civile, contribuant à créer un État de droit ou à rétablir la démocratie.

Ces nouvelles opérations multiformes ne sont pas seulement remarquables du point de vue de la richesse et de l'ampleur de leurs mandats : elles représentent aussi des investissements extraordinaires tant sur le plan matériel que sur le plan financier.

Dans bien des cas, l'ONU s'est acquittée impeccablement de son mandat. Tous ceux qui ont contribué à ce succès méritent qu'on leur rende hommage. Toutefois, il y a eu aussi quelques échecs marquants et, malheureusement, ceux-ci marquent beaucoup plus l'opinion publique que les réussites. C'est au point que, dans certains milieux, on ignore totalement ce que l'ONU a fait pour instaurer la paix dans le monde.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de ces dernières années?

En premier lieu, nous avons appris la valeur de la diplomatie préventive. Une action préventive décisive est toujours préférable à une opération de maintien de la paix.

En général, les situations qui mettent en danger la paix et la sécurité n'apparaissent pas du jour au lendemain; elles sont souvent précédées de signes avant-coureurs que nous devrions savoir identifier.

Je suis résolu à accroître les activités et la capacité de l'ONU dans le domaine de la diplomatie préventive et à renforcer la coopération interorganisations à cette fin, de façon que nous soyons mieux à même de faire face à ce type de situations.

Pour que l'action diplomatique réussisse, il faut qu'elle soit étayée par des ressources financières suffisantes, de façon que des investissements puissent être faits pour aider à remédier aux causes profondes des conflits.

( suivre)

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Il arrive malheureusement que l'action préventive se heurte à la résistance des intéressés, ceux-là même qui s'empresseraient par la suite de demander l'intervention d'une opération de maintien de la paix lorsque la situation se serait détériorée au point qu'un conflit serait imminent, voire aurait déjà éclaté.

Je suis persuadé que les avantages de l'action préventive dépassent de loin ses coûts politiques et financiers.

Toutefois, si cette approche échoue et qu'il devient nécessaire de déployer des forces, il faut alors tirer parti des enseignements de l'expérience.

C'est le Conseil de sécurité qui est responsable au premier chef du maintien de la paix. Il doit exercer ses pouvoirs de façon précise et réaliste. Quant au Secrétaire général, l'une de ses fonctions consiste à mon sens à aider le Conseil de sécurité à prendre une décision bien fondée et à en être pleinement responsable.

Nous devons avoir une image très nette de ce que l'ONU peut et ne peut pas faire et en tirer les conséquences.

Il est arrivé, nous le savons, que les soldats de la paix soient appelés à maintenir une paix qui n'existait pas. Peut-être n'est-il pas toujours possible d'éviter d'intervenir en pareil cas, lorsque des raisons humanitaires impérieuses sont en jeu, mais il convient alors de procéder avec la plus grande circonspection et d'être parfaitement préparé.

Les opérations de maintien de la paix doivent disposer de ressources correspondant au mandat qui leur est confié : cela signifie que la force qui est déployée doit avoir des effectifs et une structure lui permettant de s'acquitter de ses tâches et d'assurer sa défense.

Il est essentiel aussi que tous les contingents acceptent sans contestation des arrangements efficaces de commandement et de contrôle, arrangements qui doivent permettre aux divers contingents de participer au processus de prise de décisions et prévoir un libre-échange d'informations entre eux.

Les opérations de paix doivent reposer sur des renseignements adéquats et des analyses politiques compétentes de façon que la crise et son évolution probable soient mieux comprises.

Un programme actif d'information est un élément clef de la mission, une partie de son rôle consistant à indiquer au public quel est le mandat de l'opération et à expliquer ce que l'ONU peut faire et, à l'inverse, ce que l'on ne peut attendre d'elle.

( suivre)

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L'opération en Bosnie-Herzégovine a été très instructive à cet égard. On n'aurait pas dû demander à cor et à cri à l'ONU de se lancer dans la mêlée, car elle n'avait ni le mandat ni les moyens de le faire.

Lorsque les circonstances exigent le déploiement de forces, la rapidité est essentielle : l'ONU et ses États Membres doivent s'organiser de façon à être en mesure de déployer des troupes beaucoup plus rapidement qu'ils ne peuvent le faire actuellement.

Les États doivent former des unités de maintien de la paix capables d'intervenir d'urgence en cas de besoin.

Enfin, nous devrions aussi fonder nos efforts de maintien de la paix sur la collaboration avec les organisations régionales. Sur ce continent, cette collaboration existe déjà avec l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Dans l'Amérique centrale et les Caraïbes, l'Organisation des États américains a soutenu nos efforts en Haïti et en El Salvador. Je suis revenu, il y a peu de temps d'un voyage en Afrique, où la recherche d'une solution pacifique à la crise dans la région des Grands Lacs est menée conjointement par l'ONU et l'Organisation de l'unité africaine. De toute évidence, les organisations régionales n'ont pas toutes les moyens d'entreprendre des opérations de paix par elles-mêmes. En pareil cas, l'ONU ne doit pas se dérober à ses responsabilités et s'en décharger sur une organisation qui n'est pas en mesure de s'en acquitter. Mais, en règle générale, elle peut et doit mettre au point avec les organisations régionales des approches communes nouvelles pour répondre aux tâches nouvelles qui se posent dans le monde.

Permettez-moi maintenant de passer à la question de la mondialisation. La mondialisation de l'économie comporte de nombreux avantages, mais elle présente aussi des risques auxquels il convient de faire face. Elle peut en effet créer des injustices, accroître l'inégalité et marginaliser les pays, voire, comme c'est le cas en Afrique, pratiquement un continent tout entier.

Lançant un processus de réflexion sur ce que doit être un développement équilibré et durable, dans le cadre de la mondialisation de l'économie, l'ONU a organisé ces dernières années une série de conférences mondiales sur l'avenir économique et social du monde.

Depuis la Conférence de Rio, tenue en 1992, jusqu'à la Conférence mondiale tenue à Istanbul l'année dernière, elle a organisé une série de réunions destinées à une réflexion approfondie sur l'environnement, les droits de l'homme, la population, le développement social, les femmes et les établissements humains. Un nouvel ordre du jour social et économique mondial est en train de se créer. Et, du même coût, de nouvelles orientations ont été tracées pour l'Organisation elle-même.

Une tâche prioritaire demeure : veiller à ce que ces conférences

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mondiales aient le suivi qui s'impose. Les résultats de ce processus mondial de réflexion doivent être perçus et ressentis non seulement par les États mais aussi par les individus.

Le fondement le plus solide de la paix, la stabilité et la sécurité est bien sûr le développement économique et social. Pour cette raison, je me propose de réformer le rôle de l'Organisation en matière de coopération internationale pour le développement et de faire tout mon possible pour que davantage de ressources soient consacrées à cette question.

La volonté de promouvoir le développement est une motivation majeure de l'ONU. Ce sont les activités de maintien de la paix et de rétablissement de la paix qui font la une des journaux, mais, aussi bien du point de vue des ressources consacrées à ce domaine que de celui des changements qu'il est possible d'apporter à l'existence des gens, le développement est une part beaucoup plus importante de l'oeuvre de l'Organisation.

Grâce à la fin de la guerre froide, nous avons pu revoir nombre des hypothèses sur lesquelles nous fondions jusqu'alors nos activités de développement. Il est devenu évident que, si c'est à chacun des États qu'il appartient de supprimer la pauvreté et d'assurer le développement, le système des Nations Unies a, pour sa part, un rôle majeur à jouer en matière de conception et de promotion.

L'objectif final — réaliser le développement des pays en développement — reste le même, mais nous devons revoir constamment les moyens d'y parvenir. Nous devons nous assurer que notre approche tient pleinement compte des réalités économiques, politiques et technologiques de l'heure, en particulier du rôle du secteur privé et de la société civile.

Ce sont là quelques unes des principales tâches que j'ai confiées au nouveau Département économique et social récemment créé par la fusion de trois départements du Secrétariat.

Le nouveau département aidera à rationaliser et renforcer l'oeuvre de l'Organisation dans les domaines social, économique et du développement et à réorganiser la division du travail entre les organismes des Nations Unies, y compris les institutions de Bretton Woods. Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'un effort plus vaste visant à réduire au maximum les dépenses d'administration et à consacrer à des activités de développement les ressources ainsi libérées.

Je me propose aussi de réorganiser et d'intégrer les activités de développement au niveau des pays. À cette fin, j'ai demandé que tous les fonds et programmes travaillent de concert, sur la base de programmes nationaux communs. Au niveau interorganisations, la collaboration entre l'ONU et ses institutions spécialisées, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce va être renforcée. Toutes ces organisations se rendent mieux compte de la similitude de leurs

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objectifs et du fait que, loin d'être en concurrence, elles exercent un rôle complémentaire.

L'Organisation se trouve à la croisée des chemins. Nous devons tous faire ce qui est en notre pouvoir pour que le processus de réforme aboutisse à une organisation plus rationnelle, plus efficace et mieux adaptée aux besoins, capable de répondre aux tâches qui l'attendent au XXIe siècle.

Je suis particulièrement heureux d'avoir pu faire cette profession de foi ici à Genève, cette ville qui a toujours donné tellement d'elle-même au système des Nations Unies et qui continue de le faire.

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