LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME POURSUIT L'EXAMEN DU QUATRIEME RAPPORT PERIODIQUE DE LA COLOMBIE
Communiqué de Presse
DH/N/203
LE COMITE DES DROITS DE L'HOMME POURSUIT L'EXAMEN DU QUATRIEME RAPPORT PERIODIQUE DE LA COLOMBIE
19970401 La Colombie souligne la difficulté de combattre la violence perpétrée par des groupes paramilitaires et la guérillaRéuni ce matin, sous la présidence de Mme Christine Chanet (France), le Comité des droits de l'homme a poursuivi l'examen du quatrième rapport périodique de la Colombie.
Répondant aux questions posées hier après-midi par les experts, les membres de la délégation colombienne ont apporté des précisions sur l'indemnisation en cas de violation des droits de l'homme, les juridictions régionales, l'état d'exception et la justice militaire. La délégation colombienne a mis un accent particulier sur le phénomène des groupes paramilitaires, indiquant que le paramilitarisme, phénomène de réaction, repose sur trois éléments sociaux, à savoir les éleveurs de bétail, les propriétaires terriens et les paysans pauvres. La guérilla est extrêmement cruelle avec les petits paysans qu'elle soupçonne de trahison. L'Etat colombien rencontre de grandes difficultés pour combattre ce phénomène. Outre l'assistance de pays amis ayant une expérience dans la lutte contre les armées parallèles, le gouvernement colombien a besoin de l'étroite coopération de sa propre population civile pour venir à bout de ce fléau.
Les représentants de la délégation colombienne ont également répondu aux questions du groupe de travail présession relatives à la sexospécificité, à la protection des mineurs et à la protection des minorités.
Le Comité poursuivra ses travaux, cet après-midi à partir de 15 heures.
Questions des experts
Poursuivant l'échange de vues entamé hier après-midi, un membre du Comité a évoqué l'annexe du rapport concernant les cas individuels communiqués au titre des Protocoles facultatifs. Il a rappelé que ces communications ont été déposées en 1993 et a demandé où en était leur traitement. Pourquoi le Gouvernement colombien n'a-t-il pas enquêté plus tôt?
Réponses de l'Etat partie aux questions des experts
Répondant aux experts, M. CARLOS VICENTE DE ROUX, Conseiller à la Présidence pour les droits de l'homme, a reconnu que le rapport contient des imperfections et à plusieurs titres ne contribue pas à un dialogue franc avec le Comité. Il a espéré que le présent échange de vues permette de remédier à cette situation.
Prenant la parole, M. FELIPE PIQUERO VILLEGAS, membre de la délégation, a apporté des précisions sur la loi autorisant l'Etat à verser des indemnisations aux victimes de violations des droits de l'homme. Il a expliqué que cette loi n'aborde que l'aspect financier de la question, dans les cas requis par les institutions internationales chargées des droits de l'homme. Pour les autres cas, le Gouvernement n'a pas besoin d'un mécanisme spécial. Quant à la loi, il faut une décision préalable et écrite du Comité ou de la Commission des droits de l'homme qui indique qu'un des droits consacrés dans des instruments internationaux a été violé par l'Etat colombien. Pour que la décision soit exécutée financièrement, il faut ensuite qu'un conseil de 3 Ministres émette un avis favorable. En cas d'incompatibilité avec le droit interne, ce sont les traités internationaux qui prévalent. L'indemnisation est en suspens pour les cas où le Comité n'a pas vraiment émis d'avis mais a décidé de s'abstenir, sans recommander une indemnisation. Les résolutions adoptées par ce conseil de Ministres révèlent qu'il se limite à appliquer strictement, d'un point de vue juridique, le texte de la loi.
M. CARLOS MALAGON, Vice-Ministre de la Justice de la Colombie, a apporté des informations sur les juridictions régionales, indiquant que la procédure de contre-interrogatoire est possible. Toute décision des juges régionaux peut faire l'objet d'un appel ou d'un recours en cassation auprès de la Cour suprême. Il y a garantie du processus de défense. En matière d'action en protection, la Cour constitutionnelle ne revoit que les affaires qui par leur importance le justifient, qui ont fait l'objet de la décision d'une instance judiciaire et uniquement aux fins d'unifier les critères de justice.
Il a indiqué par ailleurs que les normes constitutionnelles qui régissent les états d'exception sont des normes générales, complétés par une législation très détaillée, qui vise à garantir le respect total des droits
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fondamentaux. Un lien est établi entre les droits immuables, droit à la vie, reconnaissance de la personnalité juridique et les critères fondamentaux qui doivent guider le Gouvernement lors de l'adoption d'un état d'exception, notamment les raisons claires qui motivent des mesures exceptionnelles et leur objectif. Les mesures prises doivent être proportionnelles à la gravité des faits. Il y a donc une précision juridique suffisante pour que le Gouvernement utilise l'état d'exception à bonne fin, ainsi que le garantit le contrôle de la Cour constitutionnelle. Pour le moment, le gouvernement n'est jamais allé au-delà de ce qui peut être acceptable en matière de restriction de l'exercice des droits fondamentaux individuels. Jamais la Cour n'a déclaré une mesure inconstitutionnelle parce qu'elle irait au-delà de ce qui peut être toléré. Ces mesures sont en fait strictement contrôlées et alors les membres des forces publiques sont beaucoup plus prudents. Ainsi dans les zones de conflit où l'état d'exception est appliqué, aucune plainte n'a été reçue pour violations des droits de l'homme. L'état d'exception vise à prévenir une situation encore plus grave et les résultats obtenus jusqu'à présent sont satisfaisants.
Pour sa part, Mme KAREN KUFHELDT, Conseillère des droits de l'homme auprès du Ministre de l'intérieur, a indiqué que le gouvernement a présenté cette année un nouveau projet de loi pour préciser l'état d'exception. Le gouvernement doit convoquer le Congrès pour débattre de la pertinence de l'état d'exception.
Poursuivant, M. MALAGON a fait remarquer qu'il existe dans son pays une criminalité occulte très forte. Les juridictions nationales sont saisies de plus de 73% des 6 900 cas existants. Concernant le paramilitarisme, il a estimé qu'il s'agit d'un phénomène de réaction. Ce paramilitarisme repose sur trois éléments sociaux. Il est appuyé par des éleveurs de bétail et des propriétaires terriens. Il est ensuite appuyé par les paysans pauvres. La guérilla est extrêmement cruelle avec les petits paysans qu'elle soupçonne de trahison. Les petits groupes de trafiquants ont essayé d'entraîner dans leur mouvance d'autres groupes sociaux. Au paramilitarisme s'oppose la guérilla, donnant lieu à des violences indescriptibles. L'Etat colombien rencontre de grandes difficultés pour répondre à cette situation. Les professions libérales et les commerçants considèrent que les paramilitaires sont des héros qui les ont débarrassés de la guérilla. Si l'on souhaite vaincre la guérilla, une armée cinq fois plus importante est nécessaire. Dans le passé, l'Etat s'est doté de nouvelles normes juridiques pour pouvoir armer la population civile. Pour combattre les exactions commises par les paramilitaires, le gouvernement doit frapper fort et il lui faut en identifier et localiser les auteurs. Les risques et souffrances humaines causées par le paramilitarisme sont gigantesques. La population civile pourrait coopérer avec les forces militaires pour venir à bout de ce phénomène.
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Il est nécessaire de maintenir une pression sur la guérilla. Sur le plan politique, le gouvernement colombien a demandé aux pays amis de mener cette lutte, sur des bases pacifiques. Les ministres de l'intérieur, de la justice et de la défense ont interdit les alliances avec les paramilitaires. Le gouvernement a appuyé la création d'un mécanisme de défense des droits de l'homme pour mieux contrer les activités du paramilitarisme. Se référant à la justice pénale militaire, M. Malagon a reconnu qu'il est apparu nécessaire d'amender le code pénal militaire en vigueur qui date du siècle dernier. Il y a six ou sept ans, on ne pouvait même pas parler de participation de la partie civile dans les procès militaires. Le système d'accusation a été réexaminé. Le gouvernement s'engage à défendre les piliers de la démocratie colombienne et souhaite, à cette fin, bénéficier de l'assistance de pays ayant une expérience dans ce domaine. Il est important que la Fiscalia puisse enquêter sur la responsabilité pénale des militaires.
Echange de vues
Un membre du Comité s'est réjoui que le représentant colombien ait reconnu la gravité des activités paramilitaires ainsi que la relative ambiguïté de l'Etat à leur encontre. Il a demandé au Gouvernement colombien de redoubler d'efforts pour lutter contre ce type de violence. En ce qui concerne le respect des décisions adoptées dans le cadre du protocole facultatif, il est surprenant qu'une décision du Comité, dont la compétence est reconnu par la simple ratification du pacte, soit soumise à la décision favorable d'un organe interne au pays.
Sur ce dernier point, M. DE ROUX a précisé qu'il y avait une décision du Conseil d'Etat stipulant que l'indemnisation ne pouvait pas être versée automatiquement car ce n'était pas une décision judiciaire, c'est pour cette raison qu'un comité exécutif ministériel doit examiner la décision du Comité pour qu'elle devienne un acte d'Etat. Dans les faits les décisions du Comité n'ont jamais été remises en question par ce Conseil ministériel. Le problème se pose uniquement lorsque le Comité des droits de l'homme n'a pas recommandé le paiement d'une indemnisation.
Réponses de l'Etat partie à la deuxième partie de la liste de questions établie par le groupe de travail présession
Abordant la question de l'égalité entre les sexes, Mme KAREN KUFHELDT a précisé qu'aujourd'hui l'accent est mis sur l'égalité matérielle entre l'homme et la femme. Toutefois la participation de la femme aux activités de l'Etat est quasi-inexistante. Le Gouvernement manque de moyens financiers et en personnels pour développer une politique en faveur des femmes. Dans le domaine du travail, les femmes qui cherchent un emploi sont défavorisées. En ce qui concerne la juridiction de la famille, il y a également des éléments
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défavorables qui doivent être éliminés. Il y a un problème d'application directe des traités internationaux relatifs au droit des femmes. Il reste encore beaucoup à faire pour faire progresser la participation de la femme dans les différents secteurs de la vie nationale. La situation des femmes chefs de famille, 26,5% des foyers colombiens, est inquiétante et des mesures ont été prises pour leur faciliter l'accès au logement, à l'emploi, au crédit et pour les aider à garantir l'éducation des enfants. Le Ministère de l'Education a lancé une campagne de communication et d'information sur ce sujet, en modifiant notamment le contenu et les illustrations des ouvrages scolaires utilisés dans les écoles, qui véhiculent souvent des stéréotypes. Pour les femmes divorcées qui ont du mal à obtenir une pension alimentaire de la part du père de leurs enfants, une loi a été promulguée. Le problème majeur reste la persistance des préjugés et des modèles culturels défavorables à la femme.
Répondant aux questions sur l'assistance judiciaire gratuite, M. MALAGON a indiqué que l'assistance juridique est une obligation inscrite dans la loi. Une norme va être incluse demandant aux fonctionnaires du système judiciaire et aux étudiants en droit de constituer des "brigades juridiques" et d'accorder 6 mois d'assistance judiciaire gratuite. Les personnes qui ne parlent pas espagnol peuvent disposer sans difficulté d'un interprète. Toute personne privée de sa liberté a le droit de bénéficier d'un traitement conforme aux droits de l'homme, elle peut bénéficier des visites d'un médecin et reçoit une alimentation satisfaisante.
En ce qui concerne la protection des mineurs, Mme KUFHELDT a indiqué qu'une loi a été promulguée pour prévenir et remédier à la violence dans les foyers. Le principal recours dans les cas de violence au sein de la famille est la conciliation, afin que l'envoi en institution ou l'adoption des mineurs demeurent des mesures exceptionnelles. Un plan national d'action en faveur de l'enfance a également été mis en place pour 1994 à l'an 2000. Les groupes d'enfants les plus vulnérables bénéficient de programmes spéciaux d'assistance. Il y a 31 733 enfants colombiens qui relèvent de l'assistance et de la responsabilité directe de l'Etat. L'action porte également sur la formation de professionnels engagés. L'objectif ultime est d'éviter les traumatismes graves. Il est fort difficile de régler la question des enfants liés au conflit armé, compte tenu de la complexité de ce conflit. Il y aurait 2 000 enfants appartenant à la guérilla. Des programmes de réinsertion de ces enfants ont été élaborés. Les enfants et les adolescents sont particulièrement touchés par les déplacements dus au conflit armé. Il faut neutraliser les auteurs des actions de violence envers les enfants et un système d'assistance d'urgence de ces enfants déplacés est en place. Les enfants sont alors accueillis dans des foyers communautaires.
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Il n'existe pas de chiffres précis concernant les enfants de la rue, toutefois ils sont estimés à 15 000 à 30 000. La majorité d'entre eux sont des garçons et ont abandonné leur foyer suite le plus souvent aux déplacements entraînés par le conflit armé. Ces enfants sont l'objet d'un programme d'action et un projet est au point pour améliorer les conditions de vie, dont beaucoup sont consommateurs de stupéfiants. Des réseaux de personnes et d'institutions ont été créés pour arracher ces enfants à la rue ou au moins leur assurer une protection minimale.
M. MALAGON a indiqué que, jusqu'à une date récente, les mineurs pouvaient être recrutés par l'armée s'ils sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement secondaire avant l'âge de 18 ans. Désormais, l'âge légal est de 18 ans révolus. Concernant l'emploi des mineurs dans le secteur civil, la législation nationale interdit le travail de nuit ou d'une durée hebdomadaire excessive. En Colombie, dans les zones rurales, les mineurs engagés dans la vie active sont nombreux. Il existe environ deux millions de mineurs qui occupent un emploi.
S'agissant de l'égale protection de la loi, Mme KUFHELDT a indiqué que le gouvernement a pour tâche de renforcer les mesures en faveur des minorités pour mieux répondre à leurs besoins et garantir l'égalité de leurs droits avec le reste de la population. Le taux d'analphabétisme a été réduit de 20%. Des programmes de coopération, en particulier dans le domaine de la santé, ont été mis en oeuvre dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale. Outre ces programmes, le décret 18-11 a eu pour objet de développer un programme de prévention médicale, en tenant compte des particularités des populations autochtones. Le gouvernement envisage d'étendre la sécurité sociale à ces groupes. Pour ce qui est de la propriété foncière, Mme Kufheldt a indiqué que le gouvernement prévoit de financer des projets en faveur des populations autochtones. Bien que la Constitution de 1991 donne un nouvel élan à la décentralisation, les autorités locales ne semblent pas encore être au fait des droits et libertés fondamentales individuels et collectifs des populations autochtones. La délégation regrette de ne pas être en mesure de communiquer d'informations précises sur la communauté noire du pays. Toutefois, a-t-elle assuré, le gouvernement entend déployer de nombreux efforts en sa faveur.
Evoquant la question du droit de tout enfant d'acquérir la nationalité, M. DE ROUX a expliqué que lorsque le gouvernement colombien aura adhéré à la Convention internationale relative aux apatrides et soumis l'instrument de ratification au Congrès, il sera alors en mesure de prendre les dispositions nécessaires pour régler la question de l'attribution de la nationalité colombienne aux enfants apatrides de réfugiés nés en Colombie.
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Questions des experts
Réagissant aux réponses fournies par la Colombie, les experts ont estimé que les solutions apportées apparaissent fort constructives. Un membre du Comité a demandé des précisions sur le déni du droit de grève aux personnes travaillant pour les services publics essentiels. Comment ces services fondamentaux ont été définis? Existe-t-il des restrictions à la création des syndicats, a-t-on demandé.
Un autre expert a estimé que les réponses fournies sur cette partie sont beaucoup plus concrètes. Toutefois il a demandé comment l'Etat définit précisément le rôle de la femme. Pourquoi la femme n'est-elle pas protégée contre les mariages précoces, autorisés pour les jeunes filles dès 12 ans? L'expert a soulevé également la question des auteurs de viols qui peuvent épouser leur victime et ainsi échapper au système judiciaire. Le même expert s'est étonné de voir que la méthode de stérilisation est la méthode principale de contraception. Les chiffres de l'avortement précoce sont également inquiétants et 44,5% des femmes enceintes de moins de 18 ans auraient déjà subi au moins un avortement, qui est la 4ème cause de décès chez les femmes. La Cour constitutionnelle semble de plus soutenir que l'incrimination de l'avortement n'est pas soutenable dans de nombreux cas, notamment lorsqu'une insémination artificielle a été effectuée sans le consentement de la femme. Les femmes incarcérées ne bénéficient pas de soins prénataux. Or il serait facile de remédier à cette situation. Il est important de lutter contre les stéréotypes défavorables aux femmes.
Poursuivant sur la situation des femmes, un expert a estimé troublant que le rapport admette que les pensées stéréotypées estiment comme normaux les mauvais traitements imposés aux femmes. Existe-t-il des mesures spécifiques en faveur des femmes et des minorités du pays? Y a-t-il un organe quelconque avec des pouvoirs exécutifs en faveur de ces groupes de population? Un expert a regretté que le rapport ne permette pas d'évaluer réellement ce qui va se passer à l'avenir tant pour les femmes que pour les enfants des rues. Le rapport ne permet pas de mesurer les changements intervenus.
Revenant sur le conflit armé et la guérilla, un membre du Comité s'est félicité de la franchise de la délégation colombienne. Un certain nombre de principes doivent être mis en lumière et le Gouvernement doit avant tout respecter la primauté de la loi et des droits de l'homme, a-t-il estimé. La justice doit donc être appliquée de manière égale à tout le monde.
Un autre membre du Comité a demandé qui fournit l'assistance juridique, est-ce le tribunal ou le Procureur? Cette assistance est-elle limitée aux seuls cas criminels? Abordant la question de la présence des mineurs dans l'armée, il s'est félicité du projet de loi interdisant le recrutement d'enfants de moins de 18 ans. Poursuivant sur les enfants, il a demandé si une loi de protection des enfants adoptés par des étrangers existe. Relevant le nombre important d'enfants exerçant un travail, il a demandé de plus amples précisions sur les systèmes de protection des enfants sur le lieu de travail.
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