DH/N/202

COMITE DES DROITS DE L'HOMME : LES EXPERTS REGRETTENT QUE LA COLOMBIE N'AIT PAS TENU COMPTE DE LEURS RECOMMANDATIONS PRECEDENTES

31 mars 1997


Communiqué de Presse
DH/N/202


COMITE DES DROITS DE L'HOMME : LES EXPERTS REGRETTENT QUE LA COLOMBIE N'AIT PAS TENU COMPTE DE LEURS RECOMMANDATIONS PRECEDENTES

19970331 Le Comité des droits de l'homme a poursuivi, cet après-midi sous la présidence de Mme Christine Chanet (France), l'examen du quatrième rapport périodique de la Colombie.

Dans leurs commentaires et observations, les membres du Comité ont déploré le peu d'informations sur les problèmes concrets rencontrés dans la mise en oeuvre du Pacte. Ils ont regretté que les informations réelles proviennent d'autres sources d'information que le Gouvernement colombien et que le rapport ne donne guère l'impression qu'un suivi est effectué en regard des recommandations précédentes du Comité. Les questions de l'impunité et de la torture étaient déjà des préoccupations majeures lors de l'examen du troisième rapport périodique, or il n'est nulle part fait mention des recommandations du Comité sur ce point.

Mettant en avant quatre facteurs aggravants, à savoir les abus de la force publique, les actions délictueuses de la guérilla, la corruption provenant des narcotrafiquants et les exactions perpétrées par les groupes paramilitaires, un expert a demandé ce que le Gouvernement colombien a l'intention d'entreprendre pour remédier à cette situation.

Les experts ont également fait part de leur inquiétude quant au transfert de pouvoirs de plus en plus importants à la justice militaire.

S'inquiétant du recours fréquent à l'état d'urgence, les experts ont dénoncé les tentatives récentes de limiter les pouvoirs de la cour constitutionnelle.

Le Comité des droits de l'homme reprendra l'examen du rapport de la Colombie, demain matin, mardi 1er avril, à 10 heures.

Réponses aux questions figurant sur la liste approuvée par le groupe de travail présession (CCPR/C/59/Q/COL/3)

Concernant le droit à l'indemnisation, M. CARLOS VICENTE DE ROUX, Conseiller à la Présidence pour les droits de l'homme, a indiqué que la loi en vigueur fixe les conditions dans lesquelles l'indemnisation est accordée en réparation du préjudice causé par une violation des droits de l'homme. La Commission des droits de l'homme ou la Commission interaméricaine des droits de l'homme se prononce sur cette indemnisation. Un certain nombre de critères ont été définis pour assurer l'application de la loi. Les procédures administratives de conciliation procèdent à la liquidation de l'indemnisation. Le gouvernement, sur la base de la recommandation de la Commission ou du Comité des droits de l'homme, procédera à l'indemnisation.

Poursuivant, M. FELIPE PIQUERO VILLEGAS, Membre de la délégation de la Colombie, a indiqué qu'en 1995, 42 000 plaintes concernant des violations des droits de l'homme ont été examinées par l'Ombudsman. Créée par un décret de 1993, la Commission des droits de l'homme a pour sa part présenté une série de propositions. Concernant le Département des droits de l'homme, qui est rattaché au bureau du Procureur général, il a précisé que cet organe enquête sur les violations telles que la torture. Les bureaux permanents des droits de l'homme ont pour rôle d'examiner les plaintes, d'établir la preuve de violations commises par la police et d'effectuer des visites surprise dans les lieux de détention.

Intervenant sur la question des recours utiles, M. CARLOS MALAGON, Vice-Ministre de la justice, a souligné que grâce au système dirigé par la Cour constitutionnelle, tous les juges sont informés de l'application des droits fondamentaux.

Questions des experts à l'Etat partie

Les membres du Comité ont exprimé leur appréciation à la délégation colombienne qui, malgré la situation difficile du pays, a pu présenter ce quatrième rapport dans les délais impartis. Toutefois, les experts se sont montrés déçus du peu d'informations sur les problèmes concrets rencontrés dans la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est regrettable que les informations réelles proviennent d'autres sources d'information que le Gouvernement colombien et le rapport ne donne guère l'impression qu'un suivi est effectué en regard des recommandations précédentes du Comité.

Un expert a demandé pourquoi, étant donné la nature du conflit interne et la complication constante de la situation des droits de l'homme, le Gouvernement colombien n'a pas eu recours à une médiation internationale? Il a évoqué quatre facteurs aggravants, à savoir les abus des forces publiques,

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qui heureusement sont en baisse, les actions délictueuses de la guérilla, la corruption provenant des narcotrafiquants et les exactions perpétrées par les groupes paramilitaires, ce qui est peut-être le facteur le plus inquiétant aujourd'hui. Les liens entre les groupes paramilitaires et les forces armées sont particulièrement graves. De plus, de nombreux actes perpétrés par les groupes paramilitaires restent impunis. En réaction à cette agitation publique, des procédures judiciaires exceptionnelles ont été mises en place, qui pour certaines se sont révélées contraires au Pacte, notamment la suspension du recours en appel et la perquisition de domicile sans autorisation préalable. Des limitations au droit de circulation à l'intérieur de l'Etat ont été imposées par décret à la demande des forces armées. Par ailleurs, la séquestration est une chose courante. Selon des informations provenant de sources non gouvernementales, les groupes paramilitaires n'ont fait l'objet d'aucune poursuite réelle alors qu'ils assument de plus en plus la responsabilité des exactions contre la population civile, avec l'assentiment des forces armées, qui les utilisent comme source de renseignements. Quelle est la position et la réaction de l'Etat colombien? Que va-t-il entreprendre pour remédier à cette situation, car c'est une chose d'humaniser la guerre mais c'en est une autre d'empêcher que les forces militaires développent des liens avec les groupes paramilitaires? Rappelant que plus de 50% des assassinats en Colombie sont attribués aux groupes paramilitaires, l'expert s'est interrogé sur les mesures prises par le Gouvernement colombien pour contrôler les activités de ces groupes. Il a émis l'espoir que l'Etat colombien a la volonté d'interrompre cette évolution. Que compte faire l'Etat pour mettre en terme à l'impunité dont jouissent les coupables de violations des droits de l'homme?

Abordant la question de l'état d'urgence, un expert a demandé des assurances relatives au respect des conditions de déclaration fixées par le Pacte. En effet, la Cour constitutionnelle a jugé qu'au moins un état d'urgence n'était pas conforme au Pacte et en réponse le Gouvernement a limité les prérogatives de la Cour constitutionnelle dans ce domaine. Même en vertu des réformes constitutionnelles, a-t-il noté, les forces de sécurité peuvent procéder à l'arrestation de personnes, sur la seule base de la présomption. Les militaires semblent détenir des personnes dans des prisons militaires alors qu'elles devraient être transférées dans des prisons de droit commun.

La Colombie reste le pays où l'on observe le plus grand nombre de communications relatives à des violations des droits de l'homme envoyées au Rapporteur spécial des droits de l'homme, a fait remarquer un expert. Il a regretté que le Bureau des droits de l'homme de Bogota n'ait pas encore pu être ouvert en raison des conditions posées par le Gouvernement colombien. Les questions de l'impunité et de la torture étaient déjà des préoccupations majeures lors de l'examen du troisième rapport périodique, or il est nulle part fait mention des recommandations du Comité sur ce point. Au contraire,

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au mépris des suggestions des experts demandant que les plaintes pour violations des droits de l'homme relèvent des tribunaux ordinaires, il semble que ces affaires soient de plus en plus traitées par les instances militaires. Comment peut-on encore permettre aux militaires de se juger eux-mêmes, a-t-on demandé? Pourquoi la loi qui établit les critères pour transférer certaines affaires devant les tribunaux militaires a-t-elle été modifiée? Est-ce que la validité de l'arrestation peut être mise en cause? Le Nouveau code pénal militaire est loin de résoudre les problèmes. Si l'identité des témoins est confidentielle, on ne pourra même pas mettre en cause la crédibilité du témoignage, a fait remarquer un expert. Les avocats sont-ils libres d'interroger les témoins de l'accusation? Il a été regretté que les groupes paramilitaires puissent se faire enregistrer et acquérir ainsi la légalité de leur existence.

Selon un autre expert, il est important que le rapport expose avec quelle diligence l'Etat partie traite des questions relatives aux droits de l'homme. La criminalité ne peut être réduite que si les criminels s'attendent à être arrêtés et condamnés sans délais trop longs. Or le rapport ne fournit pas d'informations prises. Il est bon de réaliser des enquêtes mais il faut qu'elles soient suivies d'actions en justice. Or en 1995, il semble que 75% des enquêtes militaires n'ont toujours pas eu de suite devant les tribunaux et que seules 3% des enquêtes aboutissent devant des tribunaux civils. Le même expert a évoqué le rapport de la Colombie sur la torture dans lequel on apprend que les délais pour le règlement des affaires excèdent 8 ans.

Tout en faisant une description exhaustive des mesures législatives et institutionnelles prises pour assurer l'application du Pacte, le rapport présenté par la délégation colombienne n'indique pas clairement les résultats obtenus par ces mesures, a estimé un expert. Avec quelle efficacité, dans la pratique, les mécanismes mis en place peuvent-ils garantir le respect des droits de l'homme? Quel est le mode de désignation du procureur général, du défenseur du peuple et des conseillers à la présidence? Est-ce que ces autorités ont obtenu satisfaction? Comment expliquer que la Commission des droits de l'homme, organe consultatif, a interrompu ses travaux? Comment les actions des institutions chargées des droits de l'homme sont-elles coordonnées et à qui les individus souhaitant déposer une plainte doivent-ils s'adresser. Il est regrettable également que l'on multiplie les interrogatoires de témoins qui sont déjà apeurés et craignent pour leur vie. L'attribution de vastes pouvoirs aux militaires est un facteur aggravant, a remarqué un expert, rappelant que ce phénomène est toujours préjudiciable à la justice. Dans ces conditions comment peut-on combattre la méfiance à l'égard du système judiciaire qui règne parmi la population?

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L'expert a demandé si les prisonniers peuvent travailler pour des entreprises privées. Le système de juridiction régionale doit absolument prendre fin en 1999, car le Comité a déjà souligné que son démantèlement doit être prioritaire. Par ailleurs, il est regrettable que la question des menaces exercées contre les dirigeants syndicaux n'ait pas été évoquée.

Un expert a demandé comment la limitation des pouvoirs de la Cour constitutionnelle s'inscrit dans la politique de la Colombie, au regard des droits de l'homme. Un autre membre du Comité s'est félicité des progrès en matière législative, telle la loi sur la violence domestique. Mais ces avancées menacent d'être mises à mal par certains décrets présidentiels et autres décisions gouvernementales. Un expert s'est inquiété de la multitude des mesures qui semblent être prises sans coordination. Notant le nombre considérable de plaintes déposées, plus de 50 000 en une année, un expert a demandé dans quels délais le Gouvernement estime-t-il pouvoir statuer sur ces plaintes. Il a été estimé que la Colombie est loin de répondre aux obligations internationales qu'elle a librement contractées. Il est particulièrement dommage que le rapport élude toutes les questions délicates relatives au Pacte. Il ne s'agit pas seulement de rendre compte des mesures prises mais également d'évaluer les progrès concrets réalisés, a rappelé un membre du Comité. Un autre expert a rappelé à la délégation colombienne qu'elle devrait entretenir un dialogue continu avec le Comité des droits de l'homme afin d'améliorer la situation des droits de l'homme dans le pays. Les informations qu'elle a fournies ne sont pas satisfaisantes et contredisent celles qui ont été communiquées par certaines organisations non gouvernementales.

En dépit de la création de mécanismes institutionnels pour l'application du Pacte, l'état d'urgence continue de préoccuper les membres du Comité. Il est nécessaire de limiter le recours à l'état d'urgence. La notion d'urgence n'est pas suffisamment bien définie en Colombie et laisse la porte ouverte à toutes sortes d'abus. Comment la délégation colombienne explique-t-elle le fait que l'observateur des droits de l'homme a dû quitter le pays en raison des menaces qui pesaient sur sa sécurité, s'est interrogé un expert.

Un expert a estimé inacceptable que le Gouvernement semble mettre en doute des questions d'admissibilité d'affaires portées à la connaissance du Comité au titre des Protocoles facultatifs.

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