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FEM/906

COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION A L'EGARD DES FEMMES : LES EXPERTS REGRETTENT LE MANQUE DE SUIVI DE LA POLITIQUE TURQUE ENVERS LES FEMMES

17 janvier 1997


Communiqué de Presse
FEM/906


COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION A L'EGARD DES FEMMES : LES EXPERTS REGRETTENT LE MANQUE DE SUIVI DE LA POLITIQUE TURQUE ENVERS LES FEMMES

19970117 Ils s'inquiètent du taux élevé de la violence à l'égard des femmes et demandent à la Turquie de prendre des mesures pour y remédier

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a poursuivi, cet après-midi, l'examen des rapports périodiques de la Turquie.

Les experts ont regretté que le Gouvernement ne soit pas en mesure de se conformer davantage à la Convention et ont souligné la faiblesse des réformes entreprises depuis la ratification de la Convention par la Turquie en 1985. Des progrès ont été réalisés mais, comme le reconnaît lui-même l'Etat partie, de nombreux obstacles subsistent. Les intervenants, constatant que les programmes en faveur des femmes sont en grande partie financés par des organismes internationaux, ont demandé plus de suivi dans les politiques en faveur de la femme.

Le Comité s'est par ailleurs inquiété du fort taux de violence à l'égard des femmes turques. Il a notamment dénoncé la pratique d'examens médicaux forcés dans les cas de violation de la virginité ou d'abus sexuels. Plusieurs experts ont mis en avant le lien existant entre la violence à l'égard des femmes et la persistance des stéréotypes et des schémas comportementaux traditionalistes. Le Comité a demandé à l'Etat partie de combattre activement les stéréotypes dégradants qui ont cours en Turquie, en utilisant notamment davantage la puissance des médias.

Les membres du Comité ont souhaité obtenir des précisions sur les actions entreprises par le Gouvernement turc pour lever les réserves à la Convention. Soulignant le caractère laïc de l'Etat turc, un intervenant a demandé pourquoi certaines des réserves émises reflètent la Loi coranique, qui a été abolie en Turquie, voire même vont au-delà. Qu'est-il fait pour venir à bout des mouvements intégristes, qui véhiculent une image moyenâgeuse de la femme?

La représentante de l'Etat partie a ensuite répondu aux questions des experts.

Le Comité se réunira lundi 20 janvier, à partir de 10 heures. Il entendra les réponses du Maroc au sujet de son rapport initial.

Questions des experts à l'Etat partie

Les membres du Comité ont estimé que des progrès ont été réalisés mais, comme le reconnaît lui-même l'Etat partie, de nombreux obstacles subsistent. Les experts constatant qu'une grande partie des programmes est financée par des organismes internationaux ont demandé davantage de suivi dans les politiques en faveur des femmes.

Mettant l'accent sur la séparation en Turquie de la religion et de l'Etat, un membre du Comité a rappelé que la société turque actuelle est déchirée par l'instabilité politique et sociale, et ce notamment à cause de mouvements intégristes qui se sont introduits dans les différentes sphères de la société et de l'Etat. Ces mouvements ont profité de l'élan démocratique qui avait cours dans le pays. Or, aucune réforme n'a été entreprise par la Turquie depuis qu'elle a ratifié la Convention en 1985. Aucune des réserves émises par la Turquie sur la Convention n'a encore été levée. Une grande majorité des femmes en Turquie ne connaissent pas leurs droits. Tout cela permet aux mouvements intégristes, qui véhiculent une image moyenâgeuse de la femme, de trouver un terrain favorable, a déclaré cet intervenant. Il a demandé comment le Gouvernement comptait venir à bout de ces mouvements intégristes qui ont gagné beaucoup de terrain. Les femmes membres du Gouvernement turc ont-elles les moyens de faire avancer les choses? Un autre intervenant a regretté que les articles de la Convention qui ne sont pas respectés soient si nombreux. La plupart des réserves exprimées par la Turquie, reflètent la charia, alors que celle-ci a été abolie. Certaines dispositions vont mêmes au-delà. Quelles sont les raisons de ces réserves sur le plan juridique? Existe-t-il réellement une volonté politique de lever ces réserves? Qu'a fait le Gouvernement turc pour lever les réserves à la Convention qui sont incompatibles avec sa Constitution? Un délai précis a-t- il été fixé pour modifier les législations discriminatoires en vigueur actuellement? Il faut davantage de détails sur l'application de la Convention à l'égard des minorités, a-t-on estimé.

Un expert a demandé si l'objectif d'appliquer totalement la Convention d'ici l'an 2000 est un délai réaliste compte tenu des retards et des obstacles politiques constatés? Il faut une véritable volonté politique ainsi que des ressources régulières et suffisantes, ont insisté les experts. Autrefois à l'avant-garde des pays avec les réformes d'Atatürk, la Turquie aujourd'hui semble faire marche arrière ou en tout cas n'avance pas aussi rapidement qu'il serait souhaitable, a-t-il été déclaré. Un expert a noté que cela fait plus de 70 ans que la Turquie essaie de réformer le Code civil. Combien de temps supplémentaire lui faudra-t-il pour le réformer véritablement? Rappelant que la Turquie s'apprête à entrer dans l'Union européenne, un expert a estimé que cela devrait apporter une nette amélioration de la condition des femmes.

Plusieurs experts se sont déclarés préoccupés par la violence qui a cours contre les femmes en Turquie, qu'elle soit domestique ou qu'elle ait lieu dans la société. Il faut d'urgence mettre en place des plans. Il faut

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changer la loi et prendre des mesures pour modifier les mentalités. Il faut davantage de ressources financières et d'organisations, car les mesures adoptées jusqu'alors ne semblent pas répondre à l'ampleur du problème. Il faut entreprendre des programmes de sensibilisation auprès des femmes, puisqu'il semble que ce sont elles qui reproduisent ces schémas traditionnels. De nombreuses dispositions relatives au viol sont en contradiction avec la Convention. Ainsi, le viol n'est pas un délit s'il est perpétré sur des femmes mariées ou qui ne sont pas vierges. Par ailleurs, le viol n'est pas sanctionné si le violeur a des intentions matrimoniales. Le Gouvernement envisage-t-il de revoir à cette lumière les articles pertinents du Code pénal? Les membres du Comité ont par ailleurs dénoncé la persistance des crimes d'honneur.

Rappelant que le consentement d'une personne à être examinée médicalement est un droit de l'homme fondamental, reconnu par tous les traités pertinents, et ce même pour les cas de trafic de drogue, il a été demandé pourquoi l'examen de la virginité en cas de viol est-il obligatoire? De même que certains examens gynécologiques forcés? Des codes ont pour objectif de contrôler les femmes par leur sexualité et de les exclure de la vie publique, a remarqué un expert. Le Gouvernement forme-t-il des juges dans le domaine des examens médicaux forcés? Les agents de santé sont-ils formés en matière de droits de l'homme? Qu'arrive-t-il aux femmes qui sont victimes d'abus sexuels en prison? Comment faire face au problème des suicides des femmes victimes de violence?

Pourquoi l'autorisation du mari est-elle nécessaire lorsqu'une femme mariée désire avorter? La planification familiale intègre-t-elle la stérilisation sélective chez les hommes et chez les femmes? Y-a-t-il une étude établissant un lien entre les femmes alcooliques et les femmes battues? Comment sont considérées les femmes divorcées?

Un expert a estimé que les préjugés à l'égard des femmes se manifestent dans la population, mais aussi dans les sphères gouvernementales. Il existe des stéréotypes dégradants en Turquie, qui sont, malheureusement, profondément enracinés dans la conscience des femmes, a ajouté un autre intervenant. Il est urgent de mettre en place des programmes de sensibilisation et d'information pour changer ces mentalités, a-t-on affirmé. Les journalistes ont-ils été formés pour modifier les schémas traditionnels en cours? Il est inquiétant que les femmes soient aussi ignorantes de leurs droits, a déclaré un expert. Pourquoi ne pas instituer une Journée de la femme, à l'image de la Journée de l'enfant? La Convention a-t-elle été traduite en turc et diffusée?

En ce qui concerne la prostitution, un expert a estimé que les informations données par le Gouvernement sont contradictoires, la prostitution étant à la fois réglementée et condamnée. Le Gouvernement et la société semblent se soucier davantage de se protéger des dangers moraux que représente la prostitution que de protéger les femmes dans leur intégrité et leur santé,

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qui se livrent à cette activité. Toutes les étrangères, même immigrées légales, sont-elles expulsées lorsqu'elles se livrent à la prostitution? Des études sérieuses ont-elles été effectuées à cet égard? Un expert a demandé les résultats d'une enquête effectuée dans les maisons closes existantes. Les femmes qui y sont prostituées sont-elles exclues? Le Gouvernement a-t-il réellement le projet de fermer ces maisons closes? Quel est le programme d'aide prévu en faveur de ces prostituées?

Abordant le domaine des mesures transitoire, un membre du Comité a demandé quelle est l'attitude générale du Gouvernement au regard de la discrimination positive. Y-a-t-il une opposition à ce principe? Il existe une grande disparité entre la situation de jure et la situation de facto en Turquie, a souligné un expert. Combien de femmes ont bénéficié du programme d'allocation de crédits spéciaux? Les femmes sont-elles couvertes dans le secteur informel? Y-a-t-il une politique rationnelle pour mettre en place des études sur les femmes?

Plusieurs intervenants ont demandé des précisions sur les écoles religieuses? En milieu rural, les écoles sont-elles mixtes? La participation insuffisante des fillettes au système scolaire s'explique-t-elle par un nombre insuffisant d'établissements, s'est interrogé l'un des membres. Les cours d'éducation aux droits de l'homme prévoient-ils d'intégrer la Convention sur les femmes? Les mineurs des deux sexes ont-ils accès aux informations sur les moyens contraceptifs?

Les experts ont souligné les grandes disparités qui existent entre les femmes urbaines et les femmes rurales et se sont demandé s'il est suffisamment fait pour combler ce fossé. Ne manque-t-il pas une action plus systématique envers les femmes rurales? Un expert a demandé quelle est l'attitude du Gouvernement à l'égard du travail des enfants dans les zones rurales? Les employeurs, employant plus de 150 femmes, sont-ils obligés de créer des crèches dans leurs bâtiments? Sont-ils punis en cas de non-respect des mesures en vigueur? Rappelant que les Etats parties ont le devoir de promouvoir et défendre les droits des minorités, un expert s'est étonné de voir que rien ne semble entrepris en faveur de leur intégration dans la vie du travail, de même que pour les personnes migrant des milieu ruraux vers les zones urbaines.

Pourquoi la réforme sur le code civil s'inspire-t-elle du code civil suisse, s'est étonné un intervenant. S'agit-il vraiment du code le plus progressif d'Europe? Si la répartition des biens dans une famille est modifiée, accordant une partie d'entre eux à la femme en cas de divorce, sera- t-il tenu compte de la part accumulée par la femme tout au long du mariage? La réforme envisage-t-elle de préciser que les deux conjoints sont responsables à part égale de l'éducation des enfants? L'homme aura-t-il toujours le dernier mot en la matière? Les femmes qui travaillent dans le secteur diplomatique, peuvent-elles bénéficier de congés maternité?

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Le Parlement turc devrait accordé une priorité élevée aux réformes envisagées par le Gouvernement, a-t-on estimé. En outre, un expert s'est enquis de savoir si une publicité sera donnée au débat et aux remarques d'aujourd'hui. Par ailleurs, il a été demandé quels sont les objectifs liés à la plate-forme de Beijing? Quel est le calendrier? Le rapport devrait préciser si la plate-forme d'action de Beijing sera traduit en turc, a ajouté un membre du Comité. Les projets pilotes doivent déboucher sur une intégration dans les structures administratives.

Revenant sur les mécanismes de promotion de la femme, un expert a demandé quelle est l'entité qui assure la coordination des politiques? Quel soutien le Gouvernement apporte-t-il aux ONG?

Réponses de l'Etat partie au Comité

La représentante de la Turquie, Mme YAKIN ERTURK, a déclaré que son pays tiendra compte des suggestions faites par le Comité dans l'avenir. Elle a déclaré que son pays voulait une égalité totale et réelle et non une égalité relative. Elle a précisé que dans le rapport l'accent avait été mis davantage sur les obstacles et les lacunes que sur les réussites. Le fait de savoir si le pays est revenu en arrière ou non fait l'objet d'un débat actuellement en Turquie. Plusieurs facteurs expliquent la situation dans laquelle se trouve le pays. En premier lieu, il y a un prix à payer pour la démocratie. La Turquie est passé d'une société rurale à une société urbaine. C'est devenue une société plus variée qu'il y a 70 ans. Par ailleurs, les droits ne sont pas donnés, il sont pris. Or, les mouvements féministes sont un phénomène nouveau, qui date du début des années 80. Ils ont peu d'expérience en la matière. La représentante a cependant estimé qu'il fallait préserver les acquis du début de ce siècle.

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