SG/SM/6133

L'ONU NE PEUT ETRE REFORMEE EN PROFONDEUR QUE SI LES ETATS MEMBRES S'ACCORDENT SUR LES OBJECTIFS A ATTEINDRE

19 décembre 1996


Communiqué de Presse
SG/SM/6133


L'ONU NE PEUT ETRE REFORMEE EN PROFONDEUR QUE SI LES ETATS MEMBRES S'ACCORDENT SUR LES OBJECTIFS A ATTEINDRE

19961219 On trouvera ci-après le texte du discours prononcé le 17 décembre devant l'Assemblée générale par le Secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali :

Voici cinq ans que j'ai reçu la charge de Secrétaire général. Je suis heureux d'avoir eu ainsi le privilège de servir les peuples des Nations Unies et je suis fier de la façon dont l'ONU a fait face aux problèmes qu'elle a rencontrés pendant ces années difficiles. J'ai eu à accomplir une tâche ardue, celle de guider l'Organisation pendant la période de l'après-guerre froide. Le XXIème siècle a déjà commencé car le changement fait fi du calendrier. Ces cinq années ont débuté dans l'optimisme et l'enthousiasme et les Etats Membres ont demandé à l'Organisation de prendre des initiatives d'une ampleur sans précédent, au service de la paix, du développement, de la démocratisation et de la réforme.

Dans le domaine de la paix, mon premier geste en qualité de Secrétaire général a consisté à signer à Chapultepec, le 16 janvier 1992, l'accord qui rétablissait la paix en El Salvador, et dont la conclusion est à porter au crédit de mon distingué prédécesseur. Le 31 janvier de la même année, le Conseil de sécurité a tenu sa toute première réunion au sommet. Le rapport que j'ai publié au mois de mai suivant, "Agenda pour la paix", a suscité un débat international sur la diplomatie préventive, le rétablissement et le maintien de la paix, ainsi que sur une notion nouvelle, celle de la consolidation de la paix après les conflits. D'El Salvador au Cambodge, à l'Angola et au Mozambique, l'ONU a adapté son action de maintien de la paix face à des formes nouvelles de conflit.

Dans le domaine du développement aussi, de nouvelles perspectives sont apparues. Le relâchement des tensions idéologiques et la perspective de toucher les "dividendes de la paix" ont fait espérer un renouveau de la coopération pour le développement. Le Sommet "planète Terre" qui s'est tenu à Rio en juin 1992 a marqué un tournant historique grâce à l'adaptation d'Action 21, premier programme mondial prévoyant un partenariat novateur et équitable en vue du développement durable.

La démocratisation est devenue pour l'ONU un domaine nouveau d'intervention, les Etats, établis de longue date ou nouvellement indépendants, faisant appel à elle pour soutenir leurs efforts de démocratisation. Elle a rapidement renforcé sa capacité d'aide électorale.

Dès mon entrée en fonctions, il m'est apparu clairement que l'Organisation devrait subir des changements importants. J'ai simplifié la structure du Secrétariat et entamé des réformes de gestion, qui en ont appelé d'autres. Pendant toute la période qui a précédé le cinquantième anniversaire de l'Organisation, la réforme a été l'ordre du jour. Gouvernements, universités et fondations ont élaboré des projets de restructuration et de réorganisation de l'ONU.

Mais à peine plus de deux ans après mon entrée en fonctions, la situation est devenue très difficile et le désillusionnement a remplacé l'optimisme. Lorsqu'il leur a fallu agir dans des conditions de guerre, les Casques bleus ont subi de graves revers. Après le premier, en Somalie, la communauté internationale a hésité à intervenir pour mettre fin au génocide au Rwanda. De même, elle a refusé de prendre en Bosnie les décisions difficiles qui s'imposaient. La notion de maintien de la paix a été entièrement dénaturée, et la disparité énorme entre les tâches à accomplir et les ressources disponibles a encore aggravé la situation.

Loin d'augmenter, le volume de l'assistance aux pays en développement a en fait diminué. Des ressources, qui étaient destinées au développement à long terme, ont dû être consacrées à des opérations de secours. De toutes les régions, l'Afrique a été la plus touchée. Malgré les grands espoirs qu'avaient suscités les efforts de démocratisation, la situation a empiré. Des atrocités sans précédent ont été commises et le nettoyage ethnique a fait son apparition avec son cortège d'horreurs. Dans certains pays, la démocratisation s'est révélée plus difficile que prévu, ce qui a entraîné instabilité politique, troubles sociaux et problèmes économiques. Dans certains cas, le processus de démocratisation s'est ralenti, voire s'est inversé.

De plus, il est apparu que les conditions d'une réforme majeure de l'Organisation n'étaient pas encore réunies. Les décisions à prendre dépassaient largement l'autorité d'un Secrétaire général. En effet, l'Organisation ne peut être réformée en profondeur que si les Etats Membres s'accordent sur les objectifs à atteindre. Si tel n'est pas le cas et s'il n'existe pas la volonté politique nécessaire pour faire des choix difficiles et modifier les rouages intergouvernementaux en même temps que la structure du Secrétariat, il est impossible d'entreprendre une réforme institutionnelle de grande envergure. En outre, cette période de désillusion a coïncidé avec une crise financière qui continuait de faire obstacle au processus de réforme.

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L'ONU sort peu à peu de cette période de désenchantement. À l'occasion de son cinquantième anniversaire, les Etats Membres lui ont manifesté un attachement remarquable. Une maturité nouvelle semble possible. Ses opérations de maintien de la paix retrouvent progressivement tout leur sens et nous commençons à mieux savoir comment nous voulons nous servir des instruments prévus par la Charte. La répartition des tâches entre l'ONU et les organisations régionales continue de se préciser.

Comme je l'ai expliqué au Groupe des Sept en juin dernier, lors du Sommet de Lyon, l'Organisation collabore étroitement désormais avec les institutions de Bretton Woods à l'élaboration des politiques de développement et à l'exécution des projets. La pièce maîtresse de cette collaboration est l'Initiative spéciale du système des Nations Unies en faveur de l'Afrique, que j'ai lancée au début de l'année. De plus, un nouveau consensus apparaît peu à peu au niveau mondial en ce qui concerne les grandes orientations.

La Conférence de Rio sur l'environnement et le développement, celle de Vienne sur les droits de l'homme, celle de Yokohama sur la prévention des catastrophes naturelles, celle du Caire sur la population, celle de Naples sur le crime transnational organisé, celle de la Barbade sur les petits Etats insulaires en développement, celle de Copenhague sur le développement social, celle de Beijing sur les femmes, celle d'Istanbul sur les établissements humains, celle de la CNUCED sur la mondialisation et la libéralisation du commerce — autant de conférences consacrées à l'amélioration des conditions de vie de chacun, qui, toutes ensemble, ont renouvelé la façon de concevoir la coopération internationale.

Ces conférences ont permis de redonner au développement et à la coopération économique internationale la place qui leur revient dans les préoccupations de l'Organisation, en tant qu'objectif majeur et que condition sine qua non de la paix et du progrès durables. C'est ce que la Charte envisageait. C'est ce que le Groupe des 77 défend avec acharnement depuis des années. Et c'est aussi ce qui doit guider toute nouvelle réforme de l'Organisation dans les domaines économique et social.

En ce qui concerne la démocratisation, l'ONU adopte peu à peu une démarche plus systématique et plus efficace. Elle ne se contente plus de contribuer à l'organisation d'élections libres et honnêtes mais elle offre une assistance dans des domaines variés, qui vont de la sensibilisation aux principes de la démocratie au renforcement des institutions. Pour aboutir, tout processus de démocratisation à l'échelle nationale doit être appuyé par un processus analogue sur le plan international. La démocratisation du système international est l'une des principales tâches qui restent à accomplir.

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On s'accorde largement à reconnaître depuis quelques années que la réforme est bien engagée. Le chemin est tracé. Les rôles et les responsabilités sont mieux compris. On voit le rapport qui existe entre certains aspects fondamentaux de réformes du système intergouvernementales, comme celles du Conseil de sécurité, du barème des quotes-parts ou des dettes encourues au titre du maintien de la paix. Certains Etats Membres font des propositions touchant le règlement de leurs arriérés. Et surtout, on commence à comprendre que la réforme n'est pas une fin en soi. Il est légitime de s'opposer à une réforme qui détournerait l'Organisation des responsabilités fondamentales qui sont les siennes aux termes de la Charte. La vraie réforme sera celle qui renforcera la capacité de l'Organisation à faire face à ces responsabilités et à oeuvrer à la réalisation des objectifs communs des peuples des Nations Unies et des Etats Membres.

L'ONU remonte progressivement la pente. Il semble qu'elle ait mûri et que ses acquis soient plus solides. Elle a aujourd'hui conscience non seulement de ses possibilités mais aussi de ses limites. Enthousiasme. Désillusion. Réalisme. Ces trois mots résument l'histoire de l'Organisation depuis cinq ans. Tournons-nous à présent vers l'avenir.

Des problèmes qui existaient de longue date semblent avoir été résolus. Mais d'autres sont apparus, qui sont parfois les mêmes se manifestant sous un jour nouveau. Pour certains, le monde paraît désormais plus sûr. Mais pour beaucoup d'autres, la dévastation, la mort et le désespoir sont devenus monnaie courante. Pour certains, le progrès économique s'accélère. Mais pour d'autres, et ils sont innombrables, le dénuement total étouffe irrémédiablement tout espoir d'une vie meilleure. Le visage du monde tel que le connaîtront les générations à venir sera en grande partie déterminé par l'usage que nous ferons de l'Organisation dans les années à venir.

Dans l'immédiat, il faut faire face à la crise financière. De même que mon distingué prédécesseur dans son dernier discours à cette Assemblée, je suis obligé de reconnaître que je n'ai pas pu mettre fin à cette crise, qui menace l'avenir de l'ONU depuis un peu plus de 10 ans. Nous savons ce qui la cause et nous savons ce qui pourrait y mettre fin. Il ne s'agit pas de mauvaise gestion. Il s'agit du refus de s'acquitter d'une obligation contractuelle. Maintenant qu'un nouveau Secrétaire général a été nommé, tous les arriérés doivent être réglés immédiatement, comme promis si souvent ces derniers mois.

Alors que je prends congé de vous tous, je tiens à souligner que l'Organisation des Nations Unies n'a pas de bien plus précieux que sa réputation. Cette réputation repose sur quatre piliers : impartialité, équité, efficacité et résultats. Ajoutons à cette liste l'indépendance. En effet, si l'on veut caractériser en un mot le rôle du Secrétaire général, c'est le mot qui convient le mieux. Le Secrétaire général ne doit jamais donner l'impression qu'il agit sous l'effet de la peur que lui inspirerait un

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Etat ou un groupe d'Etats ou du désir de plaire à l'un ou à l'autre. Si tel était le cas, tout espoir serait perdu pour l'Organisation. C'est à la communauté internationale et à elle seule que doit aller la loyauté du Secrétaire général; de même, la fonction publique internationale doit être une véritable fonction publique.

Depuis cinq ans, la première chose à laquelle je pense en m'éveillant le matin est la responsabilité qui m'incombe, en qualité de Secrétaire général, à l'égard de l'idéal de la Charte et de l'indépendance et de la crédibilité de l'Organisation.

Au moment de conclure ce message, mes pensées vont à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté avec lesquels j'ai travaillé ces dernières années pour faire face aux difficultés que nous avons vécues ensemble.

J'ai pu apprécier leur compétence, leur dévouement, leur abnégation. J'ai eu parfois aussi à rendre hommage à leur sacrifice.

Toutes celles et tous ceux qui ainsi se dévouent à l'intérêt général de la communauté internationale constituent la vraie richesse et l'avenir de l'Organisation mondiale.

Qu'ils soient assurés aujourd'hui de toute ma considération et de toute ma reconnaissance.

Je voudrais surtout féliciter le nouveau Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Kofi Annan, qui sert avec ténacité, compétence et énergie cette institution depuis de longues années.

Je suis certain que son expérience variée lui sera utile pour résoudre les problèmes auxquels il sera confronté et pour défendre les intérêts du Secrétariat et de l'ensemble du personnel de l'Organisation.

Je voudrais enfin remercier l'Assemblée générale des Nations Unies pour m'avoir confié, il y a cinq ans, ce poste à la tête duquel j'ai pu poursuivre l'action que je mène depuis si longtemps au service de la paix, du développement et des droits de l'homme.

Vous pouvez compter sur moi pour continuer à mettre mon énergie au service des grands idéaux de la Charte! Vous pouvez compter sur moi pour continuer à défendre l'Organisation des Nations Unies.

Je vous remercie de votre attention.

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