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GA/9190

DECLARATION DU PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE GENERALE SUR LA JOURNEE INTERNATIONALE POUR L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE

10 décembre 1996


Communiqué de Presse
GA/9190


DECLARATION DU PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE GENERALE SUR LA JOURNEE INTERNATIONALE POUR L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE

19961210 On trouvera ci-après le texte de la déclaration faite par le Président de l'Assemblée générale, M. Razali Ismail (Malaisie), pour célébrer la Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage, le 6 décembre 1996 :

Nous vivons dans un monde déroutant plein de potentiel créateur et humain et néanmoins rempli de brutalité. Cette triste réflexion est particulièrement appropriée aujourd'hui, alors que nous célébrons la Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage en réfléchissant à la traite des femmes et des filles.

L'époque moderne se caractérise notamment par le mouvement transfrontière de vastes populations. Le prix relativement abordable des voyages internationaux et l'ouverture de frontières autrefois fermées ont facilité ces mouvements. Parallèlement, la dégradation de l'environnement et l'instabilité sociopolitique ont entraîné des déplacements internes de population et des flux accrus de réfugiés. La dure réalité de la pauvreté et du dénuement, ponctués par des rêves de vie meilleure dans les pays riches — rêves que les communications modernes rendent d'autant plus tentants — ont incité les individus à des migrations permanentes ou temporaires. Les femmes sont commercialement plus actives et relativement plus libres de voyager qu'autrefois et constituent de ce fait une large proportion des immigrants possibles. La plupart des pays, voyant une menace dans ces mouvements de population, se sont dépêchés de contrôler strictement l'immigration, ce qui a eu de graves conséquences puisque les possibilités et les choix de migration légale s'en sont trouvés limités.

Ces divers facteurs se sont combinés pour créer un vaste ensemble de mouvements illégaux d'immigration, qui sont généralement facilités par des individus sans scrupule qui organisent le transit de ces populations contre d'énormes profits. Nombre d'immigrants illégaux sont dans une situation si désespérée qu'ils prennent en fait une part délibérée à ce transit. Ils sont prêts à faire face aux pires difficultés pour la promesse d'un avenir plus sûr. Pour certains d'entre eux, cette dure lutte aboutit finalement à une

sécurité financière et personnelle plus grande. Pour la plupart d'entre eux, toutefois, ces difficultés premières ne sont que la préfiguration de l'exploitation et des souffrances qui seront leur lot. Les chaînes de la dette, de l'esclavage et de la servitude s'ajoutent souvent au fardeau de leur illégalité pour les empêcher de rechercher une protection dans leur nouveau pays de résidence.

Un des aspects du transit illégal de personnes est la traite des femmes et des enfants, commerce haïssable qui a normalement pour objet l'exploitation sexuelle. Le travail, les mariages et les adoptions forcés sont aussi à blâmer. Les victimes peuvent être enlevées, contraintes par la violence ou soumises à un chantage. Elles peuvent être trompées par des promesses de mariage, d'emploi ou d'un revenu supérieur pour elles-mêmes ou leur famille. Les cas les plus tragiques sont ceux où les victimes sont vendues et font l'objet de la traite avec la complicité de parents, proches ou moins proches, et de connaissances. Les jeunes enfants sont les principales victimes de ces actes de désespoir, les filles étant les plus vulnérables, vu qu'on leur accorde moins de valeur et que leur "désirabilité" sexuelle s'ajoute généralement à des pratiques traditionnelles telles que le mariage des enfants.

La traite des femmes et des enfants n'est pas un phénomène nouveau. C'est une question dont la communauté internationale s'inquiète beaucoup depuis des décennies. Par exemple, les mesures prises pour lutter contre la traite des femmes aux fins d'exploitation sexuelle ont fait l'objet, dès 1904, de l'un des premiers accords multilatéraux relatifs aux droits de l'homme, l'Arrangement international en vue d'assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de traite des blanches. Cet instrument visait à empêcher l'exportation de prostituées d'Europe vers des bordels se trouvant dans diverses parties de l'empire colonial. Une convention internationale du même nom a été achevée en 1910. La traite des femmes et des enfants a été jugée si importante qu'elle figurait dans le Pacte de la Société des Nations et a donné lieu à deux traités internationaux. L'une des priorités premières de l'Organisation des Nations Unies a été d'élaborer la Convention pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, adoptée le 2 décembre 1949, et dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire.

La traite de personnes est une pratique illégale à caractère clandestin; il est par conséquent à peu près impossible d'estimer le nombre réel de femmes et d'enfants concernés bien que les chiffres dont on dispose semblent indiquer que le problème se développe aux quatre coins du monde, et qu'aucune région n'est épargnée. Il est intéressant de noter que les données les plus fiables viennent des pays où la traite des femmes a fait l'objet d'une politique précise. La plupart des victimes ont été amenées par la tromperie à se prostituer ou à travailler dans des établissements liés au commerce sexuel.

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Les informations exactes concernant l'incidence de la traite sur les enfants sont encore plus fragmentaires. Il est toutefois parfaitement clair qu'un nombre croissant de jeunes filles sont happées par le commerce sexuel qui emploie déjà des prostituées adultes. Il est encore plus décourageant de constater que les clients exigent de plus en plus pour partenaire sexuelle de très jeunes filles ou des vierges. Cette tendance est probablement associée à la pandémie de VIH/SIDA et à l'illusion dangereuse que les jeunes filles ont moins de chance d'être infectées par le VIH.

Comment expliquer la persistance d'un phénomène aussi vil? La cupidité débridée qui exploite les plus vulnérables pour en tirer un profit rapide est à la base même du problème, ce qui n'est guère surprenant. La traite est en effet une activité extrêmement lucrative. Les victimes sont impuissantes et ont peu de chance de protester puisqu'elles sont elles-mêmes happées dans le filet de l'illégalité, de sorte que le trafic pose peu de risques pour le trafiquant. L'ironie veut que, au moment où l'on reconnaît que la mondialisation et les forces du marché sont les pierres angulaires d'une plus grande liberté et d'une prospérité accrue, les femmes et les enfants, qui sont les éléments les plus vulnérables de la population, sont devenus les victimes de l'ardeur que met le monde à tout commercialiser. Les femmes et les enfants deviennent des objets commercialisables propres à satisfaire n'importe quelle exigence. Non seulement ils sont exploités comme main-d'oeuvre asservie dans des conditions qui rappellent l'esclavage médiéval mais ils sont également manipulés en tant qu'objet d'assouvissement sexuel. Il n'est pas de meilleur exemple de cette perversité que le phénomène moderne du "tourisme sexuel" et les catalogues d'enfants pour pédophiles qui sont accessibles même sur l'Internet.

La traite des femmes et des enfants, pour quelque fin que ce soit, est une exploitation flagrante et constitue un déni des droits de l'homme garantis. De pareils abus font bel et bien partie de notre monde, malgré les efforts que font les nations par l'intermédiaire des Nations Unies pour asseoir une vision de l'humanité qui aille de pair avec des valeurs universelles et des droits inaliénables. La traite, ainsi que les abus et l'exploitation qu'elle entraîne, est un crime qui renforce la subordination des femmes et des enfants.

La communauté internationale et les divers gouvernements n'ont pas ignoré la traite des femmes et des enfants. Toute une série de traités internationaux et un éventail considérable d'approches variées ont été mis au point pour lutter contre le problème. Malgré tous les efforts, ce type de crime organisé n'en persiste pas moins, et cela pour de nombreuses raisons. Dans ce cas précis comme pour la plupart des autres questions mondiales qu'examinent les Nations Unies, la communauté internationale sait bien définir et analyser les problèmes de notre époque mais paraît moins capable de les prévenir et de les résoudre. Il est bien entendu plus facile de proposer des

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solutions que de les appliquer. Mais si nous voulons aboutir à une vision de la dignité humaine qui soit universelle, nous devons faire des efforts concertés pour extirper les causes fondamentales qui perpétuent de pareilles souffrances. La volonté politique et la responsabilité sociale sont des éléments essentiels de ces solutions.

La persistance et même l'extension de la traite des femmes et des enfants est la honte de notre époque. C'est tout simplement de l'esclavage moderne, et un affront à l'humanité, qui doit de ce fait être traité avec l'horreur et la condamnation morale qu'il mérite. Tous les membres de la société doivent assumer la responsabilité commune d'éliminer cette exploitation des femmes et des enfants. Ce n'est que par une mobilisation collective que les réseaux criminels de trafiquants aux niveaux local, national, régional et international pourront être démantelés. Les mesures visant à éliminer la discrimination fondée sur le sexe et la pauvreté persistante qui sont à l'origine de cette traite sont d'une importance primordiale. Le cadre juridique international est déjà en place et devrait être appliqué et utilisé. Les organismes d'application des lois et les dispensateurs de services sociaux doivent accroître leur coordination et mettre l'accent sur les mesures préventives de manière à améliorer la santé et l'éducation.

Mais plus encore, il faut s'efforcer de supprimer la honte des victimes qui permet aux trafiquants de se cacher derrière le manteau de la clandestinité et de la sécurité. Il incombe à chaque société et à chaque individu de veiller à ce que les abus commis à l'encontre des personnes vulnérables, des jeunes et des êtres sans défense et la transformation de ces personnes en produits commercialisables n'aient plus de place dans notre monde. Chacun de nous doit se mobiliser pour garantir les droits fondamentaux de ceux qui ont perdu les leurs.

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