À L'OVERSEAS CLUB DE HAMBOURG, LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL INVITE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE À ABATTRE LE MUR DE L'ISOLATIONNISME, DE LA PEUR ET DU FANATISME
Communiqué de Presse
SG/SM/6090
À L'OVERSEAS CLUB DE HAMBOURG, LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL INVITE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE À ABATTRE LE MUR DE L'ISOLATIONNISME, DE LA PEUR ET DU FANATISME
19961029 On trouvera ci-après le texte de la déclaration que le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Boutros Boutros-Ghali, en visite en Allemagne, a prononcé le 19 octobre à l'Overseas Club de Hambourg :C'est ici même, en Allemagne, qu'a pris fin il y a près de sept ans l'un des plus grands conflits de l'histoire mondiale. L'effondrement du mur de Berlin a mis un terme, après des dizaines d'années d'affrontement, à la guerre froide, marquant l'avènement d'une ère nouvelle sous les applaudissements du monde entier.
Aujourd'hui, nous ne sommes plus menacés d'une conflagration nucléaire mondiale. En ce sens, le monde est certainement devenu beaucoup plus sûr.
Mais une nouvelle menace se fait jour, celle de l'éclatement, qui peut désunir les peuples d'une même nation, affaiblir la solidarité entre les êtres humains, provoquer le repli sur soi, occulter l'importance de nos institutions internationales communes.
Aujourd'hui, certains critiquent l'ONU, dont ils nient les succès et qu'ils menacent de marginaliser.
Et pourtant, l'Organisation est depuis plus de 50 ans au service de l'humanité.
Pour les opprimés du colonialisme, l'ONU a été le phare de la liberté. Grâce à elle, les peuples qui venaient d'accéder à l'indépendance ont pu prendre la place qui leur revenait sur la scène internationale dans le concert des États souverains et y être bien accueillis et soutenus.
Les États secoués par des conflits ont trouvé en l'ONU un médiateur neutre et impartial, et un auxiliaire précieux dans les missions de paix des Nations Unies. Grâce à l'Organisation, des réfugiés ont reçu des vivres, des vêtements et un abri, des enfants ont été protégés de la famine et de la maladie, des sociétés entières ont bénéficié d'une aide au développement économique et social.
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L'ONU a défini et fait valoir les droits fondamentaux, applicables dans tous les peuples. Elle a milité pour le droit international et encouragé son développement progressif. Elle a été l'instance où tous les États pouvaient se réunir, à la fois égaux et souverains, pour dégager un consensus sur les questions de portée mondiale, comme le désarmement, l'environnement et l'amélioration de la condition féminine, et le traduire en engagements concrets et en mesures de coopération.
Faisons le bilan. L'ONU n'est pas seulement une instance de diplomatie multilatérale à l'échelle mondiale, c'est aussi un instrument unique pour accomplir la volonté collective de ses États Membres. Le monde possède en elle un instrument capital pour l'avenir. Elle est beaucoup trop utile pour servir de bouc émissaire lorsque la coopération internationale subit des revers.
En réalité, l'enjeu du débat sur l'ONU va bien au-delà de l'Organisation elle-même. C'est toute une gamme de réalisations et d'aspirations internationales qui est en cause. L'enjeu, c'est ce que l'avenir fera apparaître comme le plus grand projet du XXe siècle la coopération internationale.
Le projet de coopération internationale remonte à environ trois siècles. Mais c'est au XXe siècle que l'on a établi le plus de systèmes, d'institutions, de doctrines et d'accords internationaux pour le bien commun de l'humanité.
Examinons quatre grandes composantes de ce projet : la notion de sécurité collective, le principe de l'universalité des droits de l'homme, le développement du droit international, le rôle reconnu au développement durable.
La notion de sécurité collective a été conçue et développée pour remplacer le jeu de l'équilibre des forces auquel se livraient les grandes puissances, politique souvent pratiquée au cours de l'histoire mais par définition dangereuse pour la stabilité internationale. Le but était de répartir équitablement entre les nations les obligations liées au maintien de la paix, tous les États ayant intérêt à faire partie d'un dispositif commun qui permette non seulement de contrer les actes d'agression mais aussi de les prévenir, de même que les autres menaces contre la paix.
Le principe de l'universalité des droits fondamentaux a été consacré lorsqu'on a considéré la personne humaine entité irréductible s'il en fut dans les affaires mondiales et fait du respect de sa dignité intrinsèque le fondement de la paix et de la liberté pour tout peuple, quel qu'il soit. Ce principe a été fortifié par le consensus qui s'est progressivement forgé depuis plusieurs dizaines d'années. Les droits et les groupes à défendre ont été définis de façon de plus en plus précise, tandis que les dispositifs internationaux établis pour les protéger allaient en se perfectionnant.
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Le droit international a été conçu il y a environ trois siècles et demi pour servir de fondement à un régime stable et progressiste de relations entre États. En s'attachant à développer le droit des nations, on a fondamentalement rejeté l'idée que la puissance et la force militaire fondent l'ordre international. On a voulu remplacer le droit du plus fort par la primauté du droit afin d'instaurer des relations internationales régies par l'autorité de la loi.
La coopération internationale pour le développement a été reconnue comme essentielle pour éliminer les causes de la misère et de l'affrontement. Les suites d'un conflit peuvent compromettre le développement, et les carences du développement peuvent à leur tour favoriser de nouveaux conflits. L'établissement progressif d'un consensus autour de la coopération pour le développement offre un moyen de briser ce cercle vicieux et de promouvoir un progrès respectueux de l'environnement, garant de stabilité interne et internationale à long terme.
L'ONU d'aujourd'hui incarne ce projet grandiose. Et l'avenir de celui- ci est aujourd'hui mis en cause.
Nous constatons des signes inquiétants de déclin de la solidarité et de la communauté d'objectifs au niveau international. Et la sécurité collective, les droits de l'homme, le droit international et la coopération pour le développement ne sont pas les seules institutions en péril. Des notions encore plus fondamentales, comme l'État, la souveraineté, voire l'universalité des droits de la personne, sont elles aussi remises en question.
Si on laisse l'ONU dépérir ou jouer un rôle secondaire, c'est le projet de l'internationalisme tout entier qui sera fatalement compromis. Le monde perdra la dynamique nécessaire pour instituer des structures de paix, de justice et de prospérité applicables à toutes les nations et à tous les peuples.
Si ce projet doit avancer, et produire des résultats, ce ne peut être qu'avec l'ONU et par son intermédiaire.
Dans la phase actuelle du processus continu de réforme et de rénovation engagé à l'ONU se dessine une vision du futur qui peut nous guider dans l'immédiat.
L'ONU du futur offrirait un dispositif efficace de sécurité collective dont l'existence même contribuerait pour beaucoup à la prévention. La prévention constituerait le principal mot d'ordre. Toutes les opérations de maintien de la paix seraient mandatées de manière cohérente et dotées régulièrement des ressources nécessaires. On répartirait les tâches de façon à faire effectivement appel aux organisations régionales. L'ONU aurait en permanence à sa disposition ou à ses ordres une force restreinte d'action rapide à déployer face aux manifestations violentes qu'aucune nation ou aucun
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groupe ne veut affronter du moment que les intérêts nationaux ne sont pas en jeu même si la communauté internationale a manifestement intérêt à intervenir, et le devoir de le faire. Cette force s'insérerait dans un nouveau dispositif concerté conçu pour aider les États en défaut à réintégrer la communauté internationale.
Les traités et pactes qui protègent les droits de l'homme et définissent les normes humanitaires seraient presque universellement ratifiés. Les organes qui veillent au respect des droits de l'homme seraient renforcés pour une plus grande efficacité. La juridiction du droit international humanitaire serait toujours davantage étendue, pour une meilleure protection. Des moyens plus importants seraient établis dans l'ensemble des organismes des Nations Unies pour assurer l'alerte rapide et la prévention des catastrophes, diminuant d'autant le nombre de situations d'urgence humanitaire. Le monde offrirait des conditions beaucoup plus propices au plein épanouissement de la dignité humaine.
Le développement recevrait l'attention et les ressources qui conviennent. Les rapports entre pays développés et pays en développement changeraient fondamentalement, l'assistance étant remplacée par la coopération. L'ONU et ses institutions spécialisées continueraient à se répartir de mieux en mieux les tâches, en appuyant le consensus politique. On prendrait conscience que l'investissement dans les ressources humaines est une condition du progrès. Une société civile forte façonnerait, soutiendrait et enrichirait l'oeuvre de développement. La justice sociale, sur les plans interne et international, assurerait que le progrès matériel n'exclut pas ceux qui aujourd'hui ont du mal à survivre. On laisserait la nature se régénérer. L'importance primordiale de la croissance économique serait reconnue, non seulement parce que l'expansion favorise le progrès matériel, mais parce qu'elle offre à la société des choix dans tous les grands domaines. Et la volonté de démocratisation serait perçue comme la garantie d'une paix à long terme, la pierre angulaire de tout développement et un moteur de progrès sur tous les fronts.
À la démocratisation internationale répondrait la démocratisation interne. Il en résulterait une société d'États, et une société civile élargie à l'échelle internationale, résolus à défendre les principes et les règles de la démocratie. Le droit international et l'extension de son applicabilité joueraient un rôle crucial dans ce processus. Tous les États accepteraient la juridiction générale de la Cour internationale de Justice. Si leurs contraintes internes les en empêchaient, ils feraient connaître les questions qu'ils sont disposés à soumettre à la Cour. Un tribunal pénal international permanent serait établi.
L'ONU du futur resterait une organisation intergouvernementale, au service de ses États Membres et de leur peuple. Mais elle ouvrirait de plus en plus ses structures à d'autres éléments, y compris aux représentants de la société civile. La rationalisation du dispositif intergouvernemental
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permettrait d'élaguer encore davantage l'Organisation elle-même. Les autres grands obstacles à la réforme seraient éliminés par les décisions des États Membres sur les questions fondamentales, et qui sont liées, par exemple ce que devront être la composition et les modalités de fonctionnement du Conseil de sécurité, ou encore la révision du barème des quotes-parts, l'amélioration du système de recouvrement des contributions et le remboursement des dettes contractées par l'Organisation pour les opérations de paix. Les principaux organes de l'ONU se feraient contrepoids comme le prévoyait la Charte, et un nouvel équilibre s'établirait entre les organes fondamentaux le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et le Secrétariat. Enfin, des mesures seraient prises pour assurer des conditions de service, et d'abord la sécurité du personnel, qui permettent à l'ONU de continuer à attirer et de conserver un personnel hautement qualifié, capable de la mettre encore mieux au service de l'humanité.
J'appelle aujourd'hui la grande famille des nations à faire preuve de courage et à transformer cette vision encore utopique en réalité de demain.
Les murs de l'isolationnisme. Les murs de l'ignorance. Les murs de la peur. Les murs du fanatisme. Nous devons abattre ces barrières qui nous divisent et consolider les assises de notre avenir commun. Nous devons reprendre et poursuivre avec une ardeur renouvelée ce projet fondamental de l'humanité instaurer la paix entre les nations.
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