SG/SM/6084

LE NOUVEAU MULTILATERALISME PASSE PAR LE RENFORCEMENT DU ROLE DE L'ONU, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

23 octobre 1996


Communiqué de Presse
SG/SM/6084


LE NOUVEAU MULTILATERALISME PASSE PAR LE RENFORCEMENT DU ROLE DE L'ONU, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

19961023 On trouvera ci-après le texte d'une allocution prononcée aujourd'hui par le Secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali, au 11e colloque de Malente, à Lubeck (Allemagne):

Il est merveilleux d'être ici, à Lubeck, ville qui ne cesse d'être une source d'inspiration pour l'Organisation des Nations Unies.

Cette ville historique a toujours été tournée vers l'extérieur. Lubeck a toujours compris que la paix, la prospérité et le progrès étaient indissociablement liés.

La Ligue des villes hanséatiques avec à sa tête Lubeck, nous a montré comment différents gouvernements pouvaient délibérer et coopérer pour le bien de tous. La Ligue hanséatique a mis sur pied un réseau commercial et politique, mettant en contact les unes avec les autres de vastes régions du monde et renforçant le commerce international en en faisant un lien commun entre l'Est et l'Ouest.

Le centre historique de votre ville, dont le Conseil économique et social de l'Organisation des Nations Unies a déclaré qu'il était un élément important du patrimoine mondial en est un symbole. Il est par conséquent parfaitement approprié que le colloque aborde ici l'une des grandes questions de notre temps: l'intégration des pays en transition dans l'économie mondiale.

Le monde entier traverse une période de transition dans tous les domaines touchant la société humaine, mais la transition que vous êtes venus examiner et promouvoir ici revêt un caractère unique.

Il n'existe ni précédent ni théorie confirmée susceptible de montrer aux pays à économie planifiée comment passer à une économie de marché. Nous sommes tous en train d'explorer les territoires inconnus.

Maintenant que les systèmes politiques ont radicalement évolué, ce sont probablement les aspects économiques de la transition qui sont les plus visibles. Il ne nous faut cependant pas oublier que la transition économique n'est pas seulement le fruit de considérations économiques. Il s'agit d'un mouvement complexe présentant des aspects sociaux, politiques, humanitaires, culturels, sécuritaires et économiques. Ce fait est très important pour l'Organisation des Nations Unies et le rôle qu'elle doit jouer.

Le système des Nations Unies, famille d'institutions favorisant la coopération dans presque toutes les sphères de l'activité humaine, est particulièrement bien placé pour examiner les divers éléments de la transition les uns par rapport aux autres.

J'aimerais par conséquent aujourd'hui vous faire part, dans ses grandes lignes, de la façon dont je conçois le processus de transition, et de mes vues sur le rôle que peut jouer à cet égard l'Organisation des Nations Unies.

Personne ne pouvait prévoir les incidences qu'auraient sur d'autres régions les changements politiques qui ont eu lieu dans cette partie du monde en 1989.

La première gageure a été de mobiliser la communauté internationale dans le but d'assurer une transition pacifique. C'était la première fois dans l'histoire que les pays à économie planifiée optaient pour une économie de marché. Il n'existait pas de théorie confirmée montrant comment mettre en oeuvre concrètement le processus de transition. Il n'existait que des espoirs aussi bien dans ces pays qu'au sein de la communauté internationale.

L'Organisation des Nations Unies, avec la collaboration active de plusieurs États Membres, a contribué à restaurer et à maintenir la paix dans certaines des républiques de l'ex-Yougoslavie et en Géorgie.

La deuxième gageure pour l'Organisation a été de faciliter le dialogue afin de développer des valeurs communes, de mieux faire comprendre à tous la situation et de promouvoir une coopération concrète entre les pays en transition et le reste de la communauté internationale.

Tout au long des années de guerre froide, les pays pouvaient se diviser en trois groupes: les pays à économie de marché, les pays à économie planifiée et les pays en développement. Les pays en développement ont toutefois peu à peu adopté et adapté, avec plus ou moins de succès, certains éléments de l'un des deux grands modèles : économie de marché ou économie planifiée.

Avec la fin de la guerre froide, la division des systèmes économiques mondiaux en trois groupes distincts s'est cependant encore compliquée.

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Nous pouvons maintenant considérer qu'il existe du point de vue économique quatre types de pays dans le monde : les pays à économie de marché, les pays en transition passant d'une économie planifiée à une économie de marché; les pays en développement en transition allant vers une économie de marché; les pays dont les priorités économiques reflètent la transition d'une économie de crise, due par exemple à la guerre civile, vers une économie de marché stable.

En d'autres termes, la plupart des pays s'acheminent vers une économie de marché mais cette transition se pose différemment en fonction des spécificités historiques.

Le problème est rendu plus complexe encore par le fait que les objectifs économiques ont évolué. L'économie de marché des années 90 n'est pas celle des années 50 ou 60. Nous nous trouvons aujourd'hui face à une économie de plus en plus mondialisée, en particulier dans le domaine des flux financiers, des décisions de production, des réseaux d'information et des zones d'échanges. Tous les pays s'acheminent donc vers une économie planétaire. C'est là un défi pour tous et plus particulièrement encore pour les pays qui s'efforcent de modifier la façon dont les ressources sont allouées.

Un autre aspect de la transition est que, dans de nombreux cas, elle s'est accompagnée d'une transition politique tout aussi importante, d'un système à parti unique à un système multipartite.

Le fardeau des sociétés en transition est donc multiple: il leur faut passer d'un système politique à un autre, d'un système économique à un autre et d'un système local ou régional à un système mondial. Le fait que ces transitions soient plus ou moins rapides et se caractérisent par des difficultés différentes constitue un problème supplémentaire. Les pressions exercées sur la société s'avèrent par conséquent fortes.

Tout comme les objectifs de l'économie de marché ont changé, les objectifs politiques ont évolué. Au moment où les pays modifient leur système politique intérieur, ils constatent qu'ils doivent s'intégrer dans un système politique international en évolution rapide. Pour de nombreux États nouvellement indépendants, il s'agit là d'un processus extrêmement stimulant bien que difficile, compte tenu notamment du fait que le système politique international du passé comprend désormais de nouveaux protagonistes tels que les grandes municipalités, les organisations non gouvernementales et les organisations régionales.

Voilà donc quels sont les problèmes auxquels se trouve confronté le monde en cette période de transition. Les divers aspects de la transition sont si étroitement liés les uns aux autres que ces problèmes ne concernent plus seulement les pays en transition mais aussi l'ensemble de la communauté internationale.

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Un nouveau système international est en gestation. La mission historique de l'Organisation des Nations Unies en cette fin de XXe siècle est de faire naître ce nouveau système, de renforcer ses éléments positifs et de consolider les capacités de ceux qui y participent depuis peu. L'époque exige un niveau sans précédent de coopération internationale, c'est-à-dire un nouveau multilatéralisme.

Ce nouveau multilatéralisme passe par la participation d'agents tels que le secteur privé et les organisations non gouvernementales. L'ancienne Ligue hanséatique a été l'une des organisations non gouvernementales les plus constructives de l'histoire. Comme l'Organisation des Nations Unis, elle a dû évoluer et s'adapter à son époque. Aujourd'hui, les journées hanséatiques constituent un excellent exemple de cette adaptation.

Par de nombreux aspects, le nouveau multilatéralisme passe par le renforcement du rôle des Nations Unies.

L'Organisation s'est efforcée de mettre un terme aux conflits non résolus à la fin de la guerre froide. Au Mozambique, au Cambodge, au Nicaragua, elle s'est employée à faire se rencontrer les parties en conflit et à faciliter la transition vers l'après-guerre froide. La tâche n'a pas été aisée et nous nous efforçons encore de consolider la paix là où nous avons pu mettre fin à la guerre. En Angola, en Afghanistan, l'ONU doit faire face à une situation des plus difficiles, mais j'ai bon espoir que nous serons à même, là aussi, de mettre un terme à la guerre froide.

L'Organisation des Nations Unies peut aider les pays à adopter le multipartisme. En 1992, j'ai créé un groupe de l'assistance électorale au siège afin de mettre au point et de coordonner des activités d'assistance électorale aux pays intéressés. Au cours de l'année écoulée, l'Organisation a reçu 25 demandes de ce genre.

L'Organisation fournit plusieurs types d'assistance électorale adaptés aux besoins des États Membres: coordination et soutien; organisation et conduite des élections; assistance technique; suivi et établissement de rapports (observation à court terme); vérification. Les exemples les plus notables d'une telle assistance au cours de l'année écoulée ont concerné l'Azerbaïdjan, Haïti et la Sierra Leone.

L'Organisation des Nations Unies, en créant des bureaux locaux, permet à divers pays de pouvoir coopérer de manière coordonnée non seulement avec elle mais également avec les divers organismes des Nations Unies.

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Ces bureaux, en particulier ceux qui sont situés dans les pays nouvellement indépendants, offrent aux pays en transition des services relatifs au développement et à la libéralisation économique, un soutien politique et en matière d'information et une aide leur permettant de s'intégrer dans le système international. L'ONU, par ses bureaux de pays, fournit également un soutien qui permet aux pays de faire face aux problèmes spécifiques que pose une transition politique, tels que la protection et la réinstallation des réfugiés et des populations déplacées.

Fait plus important encore, en facilitant les relations entre la communauté internationale et les pays en transition, l'ONU aide ces pays à devenir partie intégrante du système international.

L'intégration progressive des pays en transition dans l'Union européenne est à cet égard essentielle. L'Allemagne a déjà largement fait sa part en aidant les pays en transition à aborder le passage difficile d'une économie planifiée à une économie de marché. L'ONU, par ses commissions régionales, fournit un soutien national et régional aux pays en transition dans leurs efforts de développement. Grâce aux commissions régionales, les pays en transition peuvent obtenir une assistance technique leur permettant de disposer de normes communes dans des domaines tels que le commerce, le transport et l'information.

La Commission économique pour l'Europe (CEE) aide les pays en transition à simplifier les opérations d'import-export grâce à un système électronique normalisé connu sous le nom d'EDIFACT qui porte sur l'administration, le commerce et le transport.

Depuis la fin de 1990, la CEE a participé à l'organisation de presque 200 ateliers de formation sur des questions portant sur le processus de transition. Depuis juillet 1994, le Programme régional de services consultatifs de la CEE a permis l'envoi de plus de 140 missions dans les pays de la Communauté d'États indépendants et d'Europe centrale et orientale, les pays baltes et les pays donateurs. L'assistance à la Géorgie s'est traduite par la mise au point d'une stratégie à moyen terme de reconstruction économique, de relèvement et de réforme. Un programme similaire est actuellement mis en oeuvre au Tadjikistan.

La Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique (CESAP) a continué d'aider les pays en transition en organisant des ateliers nationaux sur la réforme macro-économique dans les républiques d'Asie centrale, en mobilisant les ressources financières du secteur privé pour le développement des infrastructures en Indochine et en permettant à des pays comme l'Ouzbékistan et le Viet Nam d'élaborer des modèles de simulation macro- économique.

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Dans les années 90, les pays nouvellement indépendants et les pays en transition ont pris part aux conférences et réunions internationales ainsi qu'aux travaux ordinaires des organes intergouvernementaux de l'ONU. Ces pays ont en outre joué un rôle de plus en plus important dans les activités de maintien de la paix de l'ONU. La participation à ces réunions aux opérations de maintien de la paix n'a pas seulement une valeur intrinsèque; elle permet également aux États nouvellement indépendants de devenir des membres actifs de la communauté internationale.

Je voudrais conclure cette allocution en revenant à mes observations initiales: les pays en transition ne sont pas seulement les pays d'Europe orientale ou d'Asie centrale. Des pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie n'épargnent pas leurs efforts pour transformer leur économie et s'adapter aux nouvelles réalités d'une économie planétaire.

Ces pays, toutefois, croulent sous le poids de la dette et souffrent de jouer un rôle toujours moins important dans le commerce mondial et de ne bénéficier que de faibles niveaux d'investissement étranger. L'ONU aide ces pays à créer un cadre plus favorable aux investisseurs et à réformer leur système économique afin de pouvoir jouer leur rôle dans l'économie mondiale.

Le monde entame une nouvelle période de transition qui vient se superposer à celle qui a caractérisé la fin de la guerre froide. Cette nouvelle transition marque le passage entre, d'une part, un système Nord-Sud où un fossé de plus en plus large sépare les États et les peuples, et d'autre part, une ère de coopération internationale et une nouvelle diplomatie multilatérale en faveur du développement.

Les aspects matériels de cette transformation sont importants, mais ce ne sont pas les plus importants. L'élévation du niveau de vie et la démocratisation ne sont que des instruments; le véritable objectif du processus de transition est de démarginaliser les individus en leur donnant les connaissances dont ils ont besoin et la liberté de les utiliser. Il faut leur fournir des informations et un système d'éducation universellement accessible. La santé et l'éducation sont d'une importance fondamentale en soi — et pour le fonctionnement de l'économie. La transition d'une économie planifiée à une économie de marché est arrivée soudainement, comme par surprise. La première partie de la transformation — le démantèlement de l'ancien système et la pose des fondations du nouveau — est probablement terminée pour de nombreux pays d'Europe. La façon dont on relèvera les défis de la prochaine phase sera toutefois vitale pour la définition du type d'économie de marché retenu et la qualité de la croissance économique.

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Nous devons maintenant nous préparer à la transformation de l'économie et de la société partout dans le monde. Nous devons être à même de gérer l'évolution des rapports entre le Nord et le Sud.

L'Organisation des Nations Unies a été et restera indispensable à cette transformation. Elle constitue un mécanisme sans pareil au service de tous les peuples des Nations Unies.

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