SG/SM/6043

LE SECRETAIRE GENERAL DECLARE QUE LES REPRESENTANTS DE LA SOCIETE CIVILE INTERNATIONALE PEUVENT ETRE UN AIGUILLON DE L'ACTION DE L'ONU

9 septembre 1996


Communiqué de Presse
SG/SM/6043


LE SECRETAIRE GENERAL DECLARE QUE LES REPRESENTANTS DE LA SOCIETE CIVILE INTERNATIONALE PEUVENT ETRE UN AIGUILLON DE L'ACTION DE L'ONU

19960909 On trouvera ci-après le texte du discours prononcé par le Secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali, lors de la conférence de l'Internationale socialiste, au Siège à New York, le 9 septembre 1996 :

Je suis très heureux de pouvoir vous accueillir aujourd'hui, à New York, dans l'enceinte de l'Organisation des Nations Unies.

A vrai dire, une telle manifestation, dans cette enceinte, n'est pas une chose fréquente. Mais votre demande de réunir ici votre Conférence de l'Internationale Socialiste m'est apparue, à la réflexion, symbolique à plus d'un titre.

Tout d'abord, parce que, au-delà de toute référence idéologique, les exigences sociales qui sont les vôtres rejoignent, d'une certaine manière, des préoccupations essentielles de l'Organisation des Nations Unies.

Dès son préambule, la Charte des Nations Unies affirme sa volonté de "favoriser le progrès social et d'instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande".

Il y a dix-huit mois, à l'occasion du Sommet mondial de Copenhague, la Communauté internationale a eu l'occasion de dire l'importance qu'elle attachait au développement social. Elle a voulu affirmer sa volonté de se mobiliser contre l'injustice sociale, l'exclusion et la pauvreté.

Car il est inadmissible qu'une société qui s'avance, à pas toujours plus grands, vers le progrès laisse, sur le bord du chemin et dans le désespoir absolu, plus d'un milliard d'hommes, de femmes et d'enfants.

En élevant la question sociale au rang des priorités universelles, la Communauté internationale réunie à Copenhague a ainsi réaffirmé que l'Organisation des Nations Unies devait prendre toute sa place pour assurer le devenir collectif de l'humanité et favoriser une action de solidarité à l'échelle de la planète.

Par d'autres voies, je sais que cet objectif est aussi largement le vôtre.

Mais je me réjouis aussi de votre présence ici pour une autre raison, qui tient à l'idée que je me fais de l'évolution de la société internationale et du rôle que doivent y jouer ce que j'aime appeler "les nouveaux acteurs internationaux".

En effet, nous savons tous aujourd'hui combien il serait réducteur et erroné de ne voir dans la société internationale qu'une simple juxtaposition d'Etats souverains.

Nous sommes bien conscients que la Communauté internationale n'est plus seulement aujourd'hui une société interétatique, mais une société fondamentalement transnationale.

Trop longtemps, les Etats ont pensé l'ordre international comme un ordre exclusivement politique et sédentaire. Il nous faut apprendre désormais à saisir et à ordonner un monde social et nomade. La circulation des richesses, des personnes et des capitaux, la diffusion des idées sont aujourd'hui des mouvements aussi importants que l'était hier la maîtrise des espaces.

Il nous faut donc réfléchir à un monde qui prenne en compte non seulement la volonté des sujets étatiques, mais aussi le comportement des agents économiques et les aspirations des acteurs sociaux.

C'est dire que les organisations non gouvernementales et des institutions telles que la vôtre sont un élément fondamental du monde contemporain.

En effet, les nouveaux acteurs de la vie internationale ont aujourd'hui, à mes yeux, un triple rôle à jouer, je dirais même une triple mission à accomplir.

Car ils sont à la fois :

- un facteur de mobilisation de l'opinion publique internationale, - un aiguillon de l'action de l'ONU, - et un élément de la démocratisation du système international dans son ensemble.

- 3- SG/SM/6043 9 septembre 1996

L'action de mobilisation de l'opinion publique internationale est un moyen essentiel pour agir au service de la paix, du développement et des droits de l'homme.

Et je me félicite donc des thèmes de réflexion que vous avez choisis ici pour conduire vos travaux.

Vous le savez bien, la fin de la Guerre froide a eu, dans certains cas, des effets pervers. Certaines régions du monde ont brutalement perdu, aux yeux des grandes puissances, tout intérêt stratégique. De surcroît, la crise latente qui secoue le monde a avivé les égoïsmes nationaux et la tentation du repli sur soi chez certains Etats industrialisés. Il faut aussi ajouter que le triste spectacle des déchirements et des guerres civiles à l'intérieur des pays les plus pauvres a souvent découragé l'aide et les efforts des Etats développés.

Dès lors, la tentation est grande, chez certains, de laisser les régions les plus pauvres, livrées à elles-mêmes, s'enfoncer dans le sous-développement économique ou s'abîmer dans le désordre politique.

En tant que Secrétaire général des Nations Unies, je ressens parfois la difficulté de convaincre les Etats de s'engager dans des actions de maintien de la paix ou de promotion du développement que la situation rend pourtant indispensables.

Pour que les Etats s'engagent au service des grands idéaux de la Charte, il est souvent nécessaire que les opinions publiques leur montrent le chemin.

Ce chemin, ce sont les nouveaux acteurs de la vie internationale qui peuvent, dans de nombreux cas, contribuer à l'ouvrir. C'est dans cette perspective que je dis, de la façon la plus nette, que nous avons besoin de votre action auprès de l'opinion publique.

Car, sans le soutien de l'opinion publique, l'ONU n'est rien ! Son efficacité s'amoindrit ! Sa légitimité même s'estompe.

Car seule l'opinion publique internationale permet aux Etats d'exprimer une volonté politique forte !

Rien ne me semble donc plus essentiel que ce pouvoir de mobilisation des nouveaux acteurs de la vie internationale !

Mais, plus encore, les représentants de la société civile internationale peuvent être, par eux-mêmes, un aiguillon de l'action de l'Organisation des Nations Unies.

- 4- SG/SM/6043 9 septembre 1996

En effet, par leur initiative, par leur imagination, par leur diversité, par leur enthousiasme, ces nouveaux acteurs peuvent contribuer à enrichir les réflexions conduites sous les auspices de l'Organisation mondiale.

Car ils peuvent faire apparaître de nouvelles sensibilités, susciter de nouvelles approches et rendre ainsi le discours des Nations Unies plus proche des réalités vécues par les hommes et les femmes, de par le monde.

Cette expérience concrète, nous l'avons partagée ensemble ces dernières années.

Vous le savez, depuis 1992, l'Organisation des Nations Unies a entrepris une vaste réflexion sur l'avenir économique et social de la planète.

A travers la Conférence de Rio sur l'environnement, la Conférence de Vienne sur les droits de l'homme, la Conférence de Copenhague sur le développement social, la Conférence du Caire sur la population la Conférence de Beijing sur les femmes, ou tout récemment la Conférence d'Istanbul sur l'habitat urbain, l'Organisation des Nations Unies conduit une réflexion prospective sans précédent sur le devenir de la société globale dans laquelle nous sommes désormais appelés à vivre.

Cette réflexion nécessite le concours de toutes et de tous. Je veux dire, non seulement des Etats membres de l'Organisation mondiale, mais aussi des organisations non gouvernementales et de diverses associations représentant les nouveaux types de solidarité.

Lors de chacune de ces conférences internationales, nous avons pleinement mesuré et apprécié l'apport de ces nouveaux acteurs de la vie internationale.

Leur participation est d'autant plus importante que nous sommes bien conscients que les problèmes majeurs du devenir humain sont essentiellement des problèmes transnationaux.

Et des responsables politiques tels que vous doivent en être pleinement convaincus !

En effet, qu'il s'agisse de la protection de l'environnement, de la maîtrise de l'avenir démographique, de la lutte contre le sida, de la régulation des migrations internationales, de la répression du crime transnational, ou de notre action contre le terrorisme, il est aujourd'hui évident que ces questions se posent désormais à l'échelle planétaire et ne peuvent que très partiellement être appréhendées à l'échelle de l'Etat-nation.

- 5- SG/SM/6043 9 septembre 1996

Je souhaite donc, plus que jamais, que ces nouveaux acteurs de la vie internationale puissent prendre toute leur place dans la réflexion que mène l'Organisation des Nations Unies. Car ils sont, d'une certaine manière, une garantie de la légitimité des décisions prises au nom de la Communauté internationale.

C'est la raison pour laquelle je veux aussi affirmer que ces nouveaux acteurs participent, de façon essentielle, à la démocratisation de la vie internationale.

Depuis plusieurs années, j'insiste sur la place que doit tenir l'impératif démocratique dans l'ordre international. A de multiples reprises, j'ai souligné la nécessité pour l'Organisation des Nations Unies d'accompagner les processus de démocratisation, non seulement à l'intérieur des Etats, mais aussi entre les Etats et au sein du système international dans son ensemble.

Pour que la démocratie ait un sens réel, elle doit pouvoir s'exercer dans tous les lieux où se concentre le pouvoir. A l'échelle nationale, bien sûr, mais aussi à l'échelle internationale et désormais à l'échelle transnationale.

La démocratie n'est pas seulement une forme de gouvernement de l'Etat ou entre les Etats. La démocratie doit être le mode d'exercice de tout pouvoir, quel qu'il soit, dans la société internationale contemporaine.

Car il me semble important, en effet, face à la mondialisation de la vie internationale, non seulement de promouvoir l'idée démocratique, mais aussi de la penser en termes globaux.

Autrement dit, je veux, une fois encore, affirmer que le phénomène de mondialisation de l'économie doit aller de pair avec un mouvement de mondialisation de la démocratie, d'une démocratie respectueuse des aspirations politiques et sociales de toutes les citoyennes et de tous les citoyens !

C'est en inscrivant pleinement l'idée démocratique dans la vie internationale que pourront toujours mieux s'exprimer et s'épanouir les nouvelles formes de solidarité qu'exige la situation présente du monde.

Nous sommes tous convaincus, en effet, que seule une nouvelle conception de la solidarité permettra d'éviter -- ou du moins d'atténuer -- les nouvelles exclusions que porte en elle-même la société globale.

Mais la solidarité ne se décrète pas ! La solidarité, c'est d'abord la conviction profonde d'appartenir à un même monde !

La solidarité, c'est aussi le désir de fonder l'avenir sur un nouveau pacte social !

- 6- SG/SM/6043 9 septembre 1996

La solidarité ne peut donc résulter que d'un engagement collectif, c'est-à-dire de la participation de tous les membres de la société internationale contemporaine.

C'est dans cette perspective que les nouveaux acteurs de la vie internationale ont un rôle essentiel à jouer dans le processus de démocratisation de la société globale.

C'est la raison pour laquelle je souhaite que partout, et au sein même des Nations Unies, les organisations non gouvernementales tiennent une place de plus en plus grande.

J'ai voulu ici, en quelques mots, et en guise de message de bienvenue, vous dire toute l'importance que j'attache à ce que l'on appelle parfois "les acteurs non étatiques" de la vie internationale.

Depuis longtemps, l'Internationale Socialiste montre l'intérêt qu'elle porte aux travaux de l'Organisation des Nations Unies. Votre statut consultatif auprès du Conseil économique et social en est la traduction institutionnelle la plus nette.

Et, en de multiples occasions, vous avez démontré votre attachement aux principes et aux objectifs de la Charte.

Aujourd'hui encore, en orientant vos réflexions et vos travaux sur le renforcement des objectifs de l'ONU, vous démontrez, de façon éclatante, votre attachement à notre Organisation internationale.

Ce soutien est d'autant plus important que l'Organisation des Nations Unies traverse, aujourd'hui, une crise singulière.

Une crise financière certes, chacun le sait.

Mais aussi -- et cela est peut être plus grave -- une crise politique, une crise politique sans précédent !

J'ai donc besoin du soutien de toutes et de tous ! J'ai besoin de l'appui de toutes celles et de tous ceux que le préambule de la Charte appelle si justement les "peuples des Nations Unies" ! J'ai besoin de vous !

Car nous vivons un moment crucial où il est essentiel de renouveler notre foi dans les idéaux de la Charte et notre confiance dans une Organisation internationale indépendante et forte, une Organisation internationale dont l'objectif est de porter toujours plus haut l'idéal de paix, de développement et de solidarité !

Je vous souhaite de très fructueux travaux dont je prendrai connaissance avec la plus grande attention.

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- 7- SG/SM/6043 9 septembre 1996

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