DH/G/443

LA SOUS-COMMISSION POURSUIT SON DÉBAT SUR LES MINORITÉS, LA LIBERTÉ DE CIRCULATION ET LA DISCRIMINATION RACIALE

13 août 1996


Communiqué de Presse
DH/G/443


LA SOUS-COMMISSION POURSUIT SON DÉBAT SUR LES MINORITÉS, LA LIBERTÉ DE CIRCULATION ET LA DISCRIMINATION RACIALE

19960813 Les politiques migratoires et discriminatoires de plusieurs États sont dénoncées

Genève, 13 août -- La Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a poursuivi, cet après-midi, l'examen des questions relatives au racisme, à la xénophobie, aux minorités, aux travailleurs migrants et à la liberté de circulation.

Intervenant dans le cadre de ce débat, M. Mohammed Sardar Ali Khan, expert de l'Inde, a soulevé les problèmes posés par les migrations et leur rapport à la question de la citoyenneté. Mme Gay MacDougall, experte des États-Unis, a fait observer que les bases inégalitaires de la société sud- africaine sont toujours vivaces du point de vue économique et social.

La délégation de la Turquie est intervenue pour affirmer que le combat contre le racisme et pour l'avènement d'un monde exempt de ce fléau pourrait être facilité si l'on investissait dans la jeunesse par le biais de l'éducation. Il a aussi souhaité la réunion, avant la fin du siècle, d'une conférence mondiale sur la question. La délégation de la Pologne a, pour sa part, fait état de la solution constructive apportée par son Gouvernement au règlement d'un problème concret qui a touché la minorité ukrainienne du pays.

Les représentants des organisations non gouvernementales suivantes ont également pris part aux débats: Association américaine de juristes, Centre Europe-Tiers monde, Association internationale contre la torture, Humanitarian Law Project, Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples, Congrès du monde islamique, International Fédération For The Protection of The Rights For Ethnic Religious Linguistic And Other Minorities, Commission internationale de juristes, Fédération internationale des droits de l'homme, Organisation de la solidarité des peuples afro-asiatiques, Commission africaine des promoteurs de la santé et des droits de l'homme.

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Nombre d'entre elles ont dénoncé les phénomènes discriminatoires dont sont victimes de nombreux groupes de population à travers le monde, particulièrement les minorités telles que les Noirs aux États-Unis, les musulmans en Inde, les Chypriotes grecs enclavés à Chypre, les Kurdes en Turquie, les Pandits au Jammu-et-Cachemire et la minorité grecque en Albanie. L'attention de la Sous-Commission a plusieurs fois été attirée sur la situation de certains groupes de population vivant dans des territoires occupés. Une organisation a proposé que soit créé un fonds de contributions volontaires destiné à assurer la participation des représentants des communautés noires du continent américain aux travaux du Groupe de travail sur les minorités. Plusieurs organisations ont également dénoncé les politiques migratoires menées par certains pays, notamment européens.

La Sous-Commission achèvera demain matin, à 10 heures, sa discussion sur ces points. Elle devrait ensuite entamer l'examen des questions relatives aux formes contemporaines d'esclavage ainsi que des points concernant la promotion, la protection et le rétablissement des droits de l'homme, qui portent en particulier sur l'invalidité, la jeunesse et la célébration du trentième anniversaire des Pactes internationaux.

Déclarations des experts

M. MOHAMMED SARDAR ALI KHAN, expert de l'Inde, a notamment exprimé sa préoccupation en ce qui concerne à la question des migrations et ses rapports avec le problème de la citoyenneté. Une des interrogations essentielles consiste à savoir de quels droits de l'homme bénéficient les descendants des personnes installées, parfois depuis trois générations, dans un pays dont elles n'ont pas la citoyenneté. Il faut constater que ces personnes n'ont souvent pas le droit de vote et n'ont pas accès à l'emploi. Aucun organe créé en vertu des traités internationaux ne traite réellement de ces questions, a constaté M. Ali Khan.

L'expert indien a par ailleurs déclaré que la question de l'épuration ethnique a pris des proportions alarmantes, notamment dans le sous-continent asiatique. Il faut régler ce problème de toute urgence, a-t-il dit.

Mme GAY J. MCDOUGALL, experte des États-Unis, a fait valoir que, bien que les structures juridiques de l'apartheid aient disparu, les bases de la société sud-africaine restent profondément marquées par l'apartheid et qu'elles restent caractérisées par de profondes inégalités économiques et sociales. L'apartheid, dont on a dit qu'il était un système de discrimination généralisé, correspond en fait à un système d'exploitation économique basé sur la discrimination et la violation massive des droits économiques, civils, politiques, et culturels d'une grande majorité de la population. En conséquence, lorsque l'on examine la question de la discrimination raciale, il

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faut également se pencher sur les violations d'autres droits fondamentaux de l'homme qu'elle entraîne. Lorsqu'un pays a connu une longue histoire de discrimination, il est important d'examiner le «potentiel raciste» de ce qui peut sembler à première vue n'être que des lois, de politiques gouvernementales et de pratiques publiques et privées apparemment neutres.

Débat sur les minorités, la liberté de circulation et la discrimination raciale

Mme MERCEDES MOYA (Association américaine de juristes) a notamment attiré l'attention de la Sous-Commission sur le sort des quelque 200 millions de personnes descendant d'Africains qui vivent sur le continent américain et qui, après avoir contribué à la construction des différentes sociétés locales, en sont parfois réduits au statut de «témoins folkloriques» de la diversité des paysages nationaux. Sur la quasi-totalité du continent américain, les mécanismes d'exclusion se multiplient aux niveaux éducatif, judiciaire, social et environnemental. Ainsi, les raisons ne manquent pas pour demander que les Nations Unies réalisent une étude sur la situation des communautés noires en Amérique. Il serait par ailleurs judicieux que soit établi un fonds de contribution volontaire destiné à assurer la participation des représentants de ces communautés aux travaux du Groupe de travail sur les minorités.

Mme CYNTHIA NEURY (Centre Europe-Tiers monde) a rappelé que de nombreuses études ont montré que la peur de l'étranger et les idées reçues se présentent plus souvent là où vivent peu de migrants. La réflexion et les expériences sur de nouvelles formes de citoyenneté ne peuvent naître si les gouvernements édictent des lois qui s'appliquent différemment aux nationaux et aux étrangers. Les législations de certains États en matière d'immigration donnent souvent prise aux expressions de racisme et de xénophobie et il est donc important de reconnaître la responsabilité des États dans ce domaine. Mme Neury a, à cet égard, cité le cas de la Suisse et en particulier son modèle migratoire dit des «trois cercles», ainsi que son système de recrutement de la main-d'oeuvre étrangère, récemment épinglés par les membres de la Commission fédérale suisse contre le racisme.

M. ROGER WAREHAM (Association internationale contre la torture) a fait observer que les États-Unis ont tardé plus d'un an à répondre au rapport du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M. Maurice Glélé- Ahanhanzo, qui concluait que «le racisme et la discrimination raciale sont tolérés, voire tacitement approuvés par les institutions gouvernementales» des États-Unis. Si les États-Unis ne peuvent ou ne veulent pas résoudre la question des 40 millions de Noirs vivant sur leur territoire, ce pays ne pourra pas résoudre les problèmes posés par d'autres situations raciales. Les États-Unis n'ont rien fait pour informer leur population de la visite du Rapporteur spécial, a noté le représentant. M. Wareham a estimé qu'il fallait absolument qu'une conférence mondiale sur le racisme se tienne en 1998.

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Mme KAREN PARKER (Humanitarian Law Project) a regretté que le rapporteur spécial sur la question des transferts de population n'ait pu mener à bien sa tâche en raison d'un manque de ressources financières. Réitérant l'importance de tenir un séminaire sur cette question, la représentante a souligné la difficulté qu'ont certains États à en accepter le principe, en particulier ceux qui connaissent des mouvements massifs de population causés par les conflits armés ou par la poursuite de l'occupation de territoires saisis par la force. La représentante a indiqué que le nombre de personnes déplacées en raison de guerres dans le monde ne cesse de s'accroître. Il y aurait ainsi plus de 300 000 personnes au Myanmar, 300 000 en Somalie, 500 000 au Rwanda et plus de 800 000 Tamouls au Sri Lanka. Elle a exhorté la Sous-Commission à faire tout son possible pour que ces conflits soient résolus de manière pacifique.

Mme VERENA GRAF (Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples) a insisté sur l'importance de conclure des accords concernant les minorités dans les contextes de conflit ou en l'absence de législation nationale appropriée. Elle a attiré l'attention de la Sous-Commission sur le sort des minorités qui vivent dans des territoires occupés, comme c'est le cas pour les Chypriotes grecs qui vivent dans la zone occupée de Chypre et particulièrement dans l'enclave de Karpass. Elle a indiqué qu'en dépit des assurances données par les autorités d'occupation, les Chypriotes grecs enclavés et les Maronites ne jouissent pas de la liberté de mouvement, du droit à l'éducation, pas plus que de la liberté de culte. Le problème à Chypre réside dans la persistance d'une occupation militaire du Nord de l'île, a-t-elle dit.

M. AHMAD (Congrès du monde islamique) a évoqué les persécutions que subissent les musulmans en Inde et les tentatives constantes d'humiliation dont est l'objet depuis plus de 49 ans cette minorité, qui constitue 15 % de la population indienne. Sa représentation parlementaire est minime. Les écoles religieuses sont étroitement contrôlées par les forces de police et son développement socio-économique gravement handicapé par des obstacles en matière d'accès à l'éducation et de moyens financiers. M. Ahmad a par conséquent estimé que la réhabilitation des musulmans en Inde implique qu'ils puissent participer à la gestion des affaires du pays. Pour cela, il faut que toutes les minorités puissent véritablement disposer de représentants dans les institutions représentatives du peuple, et ce de manière proportionnelle à leur importance numérique.

M. ROBIN SLULIK (International Federation For The Protection Of The Rights For Ethnic Religious Linguistic And Others Minorities) a affirmé que la minorité kurde en Turquie est terrorisée depuis plusieurs décennies par le Gouvernement turc. Des milliers de civils kurdes ont ainsi été tués et plus de 3 000 villages ont été détruits. M. Slulik a par ailleurs rappelé qu'en 1974, l'armée turque a envahi la petite île de Chypre en prétextant qu'elle intervenait pour sauver la minorité turque de l'île. Aujourd'hui, en dépit

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des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, la Turquie occupe toujours un tiers de Chypre et a transféré 80 000 citoyens turcs vers l'île afin d'en altérer la composition démographique. M. Robin Slulik a également attiré l'attention de la Sous-Commission sur le traitement infligé à la minorité grecque d'Albanie par le Gouvernement de ce pays.

M. ADAMA DIENG (Commission internationale de juristes) a rappelé, que le 4 mars dernier, Israël a bouclé les territoires palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie. Le bouclage des territoires empêche les Palestiniens d'entrer dans la ville de Jérusalem occupée, ce qui veut dire que 70 000 Palestiniens ont instantanément perdu leur emploi, que les hôpitaux et les cliniques ont dû suspendre leurs activités en raison du manque de personnel et de produits médicaux et que les personnes atteintes de cancers ou d'insuffisances rénales n'ont pu bénéficier des traitements appropriées dans les hôpitaux israéliens. Le siège des territoires est une punition collective, qui est contraire au droit international car il viole non seulement la liberté de mouvement mais aussi le droit au travail et à l'éducation de milliers de civils innocents, a souligné le représentant.

Mme SARA GUILLET (Fédération internationale des droits de l'homme) s'est déclarée très préoccupée par la situation des étrangers et des demandeurs d'asile en Europe. À cet égard, elle a indiqué que les conclusions de la mission d'enquête qu'a effectué son organisation en France sont lourdes de signification pour ce pays qui se présente comme une terre d'asile, berceau des droits de l'homme. Cette situation de non-respect des droits des étrangers et des demandeurs d'asile est d'autant plus préoccupante qu'elle paraît largement ignorée de l'opinion publique française. Par ses diverses mesures législatives et administratives, le Gouvernement français entretient la xénophobie et érige l'étranger en bouc émissaire de tous les maux sociaux et économiques du pays.

M. AHADUZZAMAN MOHAMMED ALI (Organisation de la solidarité des peuples afro-asiatiques) a affirmé qu'en dépit de la marche de la science, de la technologie, des communications et du commerce vers la création d'une «famille globale», des facteurs religieux et culturels ravivent les concepts étroits de la régionalisation et de l'ethnocentrisme. La stabilité que l'ordre mondial permettait de garantir depuis des décennies est aujourd'hui menacée par les revendications visant à redessiner les frontières nationales des pays. Les croyances néo-libérales autant que socialistes n'ont pas été capables de régler les questions d'identité nationale. Un des problèmes les plus aigus à cet égard est posé par les États multi-ethniques dont les conflits ethniques menacent la paix et la sécurité internationales. Toute tentative de suppression des revendications ethniques serait, sans conteste, contre- productive. Toutefois, il serait tout autant «étrange» de garantir à chaque groupe ethnique le statut de nation. D'ailleurs, le démantèlement des États et la redéfinition de leurs frontières seraient la pire des solutions dans la

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mesure où ils impliqueraient des transferts massifs de populations. Ce à quoi il faut parvenir, c'est à l'élaboration de modèles politiques, sociaux et culturels qui maintiennent l'intégrité des États tout en permettant le plein épanouissement des croyances et des identités ethniques, religieuses et culturelles. La démocratie est le meilleur moyen d'atteindre ce but, et ce n'est pas une faille de la démocratie elle-même qui est responsable des échecs passés mais bien une pratique défectueuse de cette démocratie par les gouvernements.

M. KASHINATH PANDITA (Commission africaine des promoteurs de la santé et des droits de l'homme) a évoqué la situation de la minorité des Pandits dans l'État de Jammu-et-Cachemire cette population est menacée par les pratiques d'épuration ethnique dont elle fait l'objet. Un sous-nationalisme extrême est renforcé par l'idée selon laquelle une homogénéité ethnico-religieuse serait souhaitable. Les Pandits ne peuvent en outre pas exercer de pouvoir au niveau local, a affirmé le représentant qui a jugé que tout doit être fait pour réhabiliter les droits de cette minorité religieuse et lui assurer un territoire dans lequel elle ait le droit de vivre en paix.

M. NECIP EGUZ (Turquie) a constaté que, si les Nations Unies ont été amenées à proclamer une Troisième Décennie de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, c'est que les vingt premières années consacrées à ce combat n'ont pas suffi à éradiquer ces fléaux. Il a estimé qu'il serait nécessaire de rechercher des mécanismes capables de déceler les formes les plus subtiles que peut revêtir le racisme. En effet, le racisme fait preuve d'une très forte capacité d'adaptation. Le combat contre le racisme doit être mené tant sur le front de l'éradication de ses manifestations actuelles que sur celui de la construction d'un environnement exempt de tout racisme. Pour cela, il conviendra tout particulièrement d'investir dans la jeunesse par le biais de l'éducation. La Turquie est par ailleurs favorable à la réunion, d'ici la fin du siècle, d'une conférence mondiale sur le racisme.

Mme ALEKESANDRA DUDA (Pologne) a évoqué le cas d'une école qui a été construite à grand frais en Pologne afin d'accueillir les enfants de la communauté ukrainienne. L'école étant trop grande pour les seuls enfants ukrainiens, les deux communautés ont décidé de partager l'école. Toutefois des préjugés très anciens sont venus envenimer la situation. Il a fallu des mois de discussions à la Commission parlementaire sur les minorités pour trouver une solution à ce problème. Mais une solution a été trouvée, qui permettra aux enfants des deux communautés de rentrer normalement à l'école la saison prochaine, a indiqué la représentante qui a estimé que des solutions constructives peuvent toujours être trouvées quand un conflit surgit entre deux communautés.

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