DH/G/430

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME : LES EXPERTS ESTIMENT QUE LES MESURES ADOPTÉES DANS LE CADRE DE LA LUTTE ANTI-TERRORISTE SONT CONTRAIRES AU PACTE

26 juillet 1996


Communiqué de Presse
DH/G/430


COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME : LES EXPERTS ESTIMENT QUE LES MESURES ADOPTÉES DANS LE CADRE DE LA LUTTE ANTI-TERRORISTE SONT CONTRAIRES AU PACTE

19960726 Il poursuivra l'examen du rapport du Pérou lors d'une prochaine session

Genève, 19 juillet -- Le Comité des droits de l'homme a décidé de reporter à sa prochaine session la suite de l'examen du troisième rapport périodique du Pérou. Il a formulé des observations préliminaires concernant la première partie de l'examen du rapport du Pérou, qui porte sur les mesures générales d'application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les observations des experts ont porté sur les mesures permettant de suspendre les obligations contractées en vertu du Pacte, le droit à la vie, l'interdiction de la torture, le respect du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, les droits des détenus, le droit à un procès public.

Les membres du Comité ont souligné qu'ils sont conscients des difficultés vécues par le Pérou qui est confronté à la fois aux activités terroristes et aux narcotrafiquants. Ils ont déclaré que le Pérou est en droit de prendre des mesures pour lutter contre ces phénomènes.

Les membres du Comité ont toutefois souligné que la lutte contre le terrorisme ne saurait justifier l'adoption de mesures illégales et contraires aux obligations internationales du Pérou, comme le sont la loi d'amnistie et la juridiction accordée aux tribunaux militaires pour juger les cas liés au terrorisme. Ils ont estimé que, si le Pérou doit appliquer des mesures spéciales, il devrait déclarer l'état d'exception et respecter les droits auxquels il ne saurait être dérogé aux termes de l'article 4 du Pacte. Certains ont estimé que les mesures adoptées vont «au delà du raisonnable», en particulier au regard de la diminution des activités terroristes dont a fait état la délégation.

Un membre du Comité a déclaré que la législation péruvienne semble fondée sur le principe selon lequel la fin justifie les moyens.

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Des experts ont exprimé leur vive inquiétude en ce qui concerne l'application du Pacte au Pérou, en particulier du fait que des lois allant à l'encontre du Pacte, ou même contraires à la constitution péruvienne, puissent être adoptées. Ces loi spéciales ne sont pas appliquées pour une période limitée dans le temps mais sont des lois qui modifient la Constitution. Des membres du Comité ont aussi relevé des contradictions entre différents articles de la législation péruvienne, notamment en ce qui concerne la durée de la détention préventive. Plusieurs experts se sont inquiétés du maintien en détention de personnes innocentes, fait reconnu par la délégation. Ils se sont préoccupés du grand nombre d'erreurs judiciaires dont semble souffrir la justice péruvienne.

S'agissant de la justice militaire, les membres du Comité ont souligné que l'on ne peut s'attendre de membres des forces armées, qui sont directement impliqués dans la lutte contre le terrorisme, de faire preuve d'impartialité à l'égard de personnes poursuivies pour terrorisme.

S'agissant de la loi d'amnistie, des membres du Comité ont notamment souligné qu'elle devrait «au moins» laisser la voie ouverte à la poursuite des enquêtes sur les cas de violations des droits de l'homme et à la compensation des victimes. Les membres du Comité ont exprimé leur vive préoccupation face à l'impunité dont semblent bénéficier des agents de l'État qui se sont rendus responsables de graves violations des droits de l'homme.

Des membres du Comité ont également exprimé leurs préoccupations en ce qui concerne l'indépendance du judiciaire, s'inquiétant de ce que des organes de l'exécutif peuvent appliquer des sanctions contre les magistrats, y compris prononcer le limogeage. Ils ont pris note en particulier d'une disposition relative à l'obligation pour les magistrats d'être «reconfirmés» tous les sept ans. Ils ont regretté que le Gouvernement ait décidé de prolonger jusqu'au mois d'octobre de cette année la pratique des «juges sans visages», à laquelle il s'était engagé à mettre fin.

L'existence de dispositions prévoyant l'application de la peine capitale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme est contraire aux dispositions du Pacte à cet égard, ont fait observer des membres du Comité. La persistance des cas de torture au Pérou est également liée à la lutte contre le terrorisme et à l'insuffisance de la législation à cet égard.

Des membres du Comité ont estimé que le Pérou devrait démontrer une plus grande volonté politique de s'acquitter de ses obligations internationales, notamment aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Certains ont en outre regretté l'attitude de la délégation à l'égard des organisations non gouvernementales, qui ont un rôle important à jouer dans le cadre de la lutte contre les violations des droits de l'homme.

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En début de séance, les membres du Comité ont soulevé des questions supplémentaires sur la réparation aux victimes des violations des droits de l'homme. Ils ont souhaité savoir si des mécanismes globaux de compensation ont été envisagés. À propos de la réfutation par la délégation péruvienne de l'impartialité des informations établies par les ONG, ils ont souhaité pouvoir avoir accès aux rapports du Comité international de la Croix-Rouge sur les conditions de détention au Pérou.

S'agissant des procès de terroristes, ils ont désiré savoir comment les avocats procèdent, s'ils ne peuvent passer plus de 15 minutes par semaine avec les détenus. Par ailleurs, comment peut-on garantir l'égalité des procès, si les avocats de la défense n'ont pas accès aux preuves ?

Certains experts ont noté qu'un grand nombre de leurs questions étaient restées sans réponses, notamment celles qui portent sur les garanties constitutionnelles suspendues sous l'état d'urgence. À cet égard, ils ont demandé si la Cour constitutionnelle fonctionnait et si elle remplissait ses fonction qui consiste à statuer sur l'anticonstitutionalité des lois. Les juges sont-ils assurés d'être certifiés tous les sept an, ont encore demandé les experts. Ils ont désiré savoir s'il y avait compatibilité entre les dispositions du Pacte et les lois péruviennes.

M. Hermoza Moya, Ministre de la justice du Pérou, a précisé que les deux groupes subversifs ont été traités également puisqu'ils sont coupables des mêmes délits. Jusqu'au 5 avril 1992, les pouvoirs judiciaires n'ont pu fonctionner normalement en raison du climat d'extrême violence. L'État s'est vu contraint d'adopter une politique défensive qui a permis la capture des dirigeants terroristes. Les arrestations sont le résultat d'enquêtes. Les vigiles paysannes, «rondas campesinas», ont été instaurées pour défendre la vie des paysans harcelés par les terroristes.

A propos des «juges sans visage», M. Hermoza Moya a expliqué que le Pérou se trouvait en plein processus de pacification. Le système des tribunaux «sans visage» disparaîtra quand ce processus de pacification sera plus avancé. En principe cette procédure devrait prendre fin au mois d'octobre 1996. Cette législation a un caractère temporaire. S'agissant de la loi sur les repentis, dont ont bénéficié 4 000 terroristes, elle a été complétée par une loi d'amnistie dans un souci d'équilibre. La loi pour les repentis a touché un plus grand nombre de personnes que la loi d'amnistie, fait observer le Ministre. Les effets de l'amnistie concernent des délits déterminés. Les indemnisations sont versées par l'État aux victimes. Le montant des indemnisations sont calculées par les tribunaux civils. Les cas des prisonniers dits «innocents» seront traités, a affirmé le Ministre, conformément au droit et à la justice. La restructuration des services judiciaires a pour but de redonner une crédibilité de la justice. Cette réorganisation a été approuvée par 90% des personnes consultées directement concernées par les réformes judiciaires.

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M. Hermoza Moya a indiqué que l'état d'exception a été levé dans plusieurs région du pays. Il n'y aura plus de raison de les maintenir une fois le processus de pacification achevé. Le défenseur du peuple commencera son travail au mois de septembre. Le pouvoir exécutif n'intervient pas dans la nomination des juges. C'est le Conseil de la magistrature qui nomme les juges et qui peut les destituer. L'indépendance du pouvoir judiciaire est absolu, ni le pouvoir exécutif ni le législatif ne peuvent s'ingérer.

A propos des rapports de la Croix rouge, M. Hermoza Moya a rappelé qu'ils étaient confidentiels. Il a qualifié de fructueux le dialogue qui s'est établit depuis hier entre la délégation et le Comité, s'engageant à faire parvenir au Comité des réponses complémentaires.

Le Comité des droits de l'homme reprendra ses travaux lundi 22 juillet à 10 heures pour examiner, en séance privée, des «communications» individuelles qui lui sont soumises.

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