DH/G/429

LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME POURSUIT L'EXAMEN DU RAPPORT DU PÉROU

26 juillet 1996


Communiqué de Presse
DH/G/429


LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME POURSUIT L'EXAMEN DU RAPPORT DU PÉROU

19960726

Genève, 19 juillet -- Le Comité des droits de l'homme a poursuivi, ce matin, l'examen du troisième rapport soumis par le Pérou en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'examen du rapport, entamé hier, a permis au Comité d'entendre des informations complémentaires apportées par la délégation du Pérou dirigée par le Ministre de la justice du Pérou, M. Carlos Hermoza Moya.

Ce matin, les experts ont fait de nombreuses observations et soulevé des questions concernant la suspension des garanties constitutionnelles et la fonction du pouvoir judiciaire. Les experts ont fait valoir que les garanties comme l'habeas corpus, indérogeables en situation d'urgence, ont été suspendues, ce qui est contraire aux dispositions du Pacte. «La justice anonyme», pratiquée au Pérou, constitue une menace aux principes fondamentaux d'indépendance et d'impartialité du pouvoir judiciaire. Pour les experts, il importe de savoir qui nomme «les juges sans visages», et de quel organe ils relèvent. Outre le double emploi qui peut exister entre le Conseil de la magistrature et le nouveau Conseil de coordination des juges, les experts se sont demandé si le Conseil de coordination n'aurait pas été créé comme un moyen de pression de l'exécutif. Pourquoi les juges doivent-ils être certifiés de nouveau après une période de sept ans?

La loi d'amnistie adoptée par le Congrès en juin 1995, ont souligné les experts, a provoqué des protestations internes et internationales au regard des nombreux cas d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées qui n'ont pas fait l'objet d'enquêtes. Selon les membres du Comité, les lois d'amnistie sont incompatibles avec l'obligation de l'État de poursuivre les responsables de cas de torture, de disparitions et d'exécutions sommaires dont se sont rendus coupables des agents de l'État. Certains experts ont souhaité savoir s'il y avait une consultation populaire préalable aux lois d'amnistie. Ils ont rappelé que le Comité avait exprimé, lors de l'examen du deuxième rapport du Pérou, ses inquiétudes à l'égard de la concentration des pouvoirs aux mains de l'exécutif, affaiblissant l'indépendance, l'impartialité et les fonctions du pouvoir judiciaire. Le Pérou envisage-t-il d'annuler ces lois antérieures, encore en vigueur, qui confèrent tous pouvoirs à l'exécutif, ont demandé les experts.

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Se fondant sur les rapports des organisations non gouvernementales, notamment Amnesty International, et vu le degré de violence dans le pays, certains experts ont demandé pourquoi la capture des chefs terroristes du Sentier lumineux et du MRTA n'a pas été effectuée plus tôt, pourquoi les juges n'ont pas été mieux protégés, pourquoi la justice péruvienne applique un traitement différent aux terroristes. Quel est le statut du projet de loi sur la grâce présidentielle. Près de 5000 personnes auraient été arrêtées pour actes terroristes. Selon quels critères certaines d'entre elles pourront- elles bénéficier de la grâce?

Les experts ont dit leur rejet total du terrorisme, sans pour autant pouvoir accepter que les droits de l'homme des terroristes ne soient pas respectés. Ainsi « il est inacceptable» a déclaré le Président du Comité, «que M. Guzman, dirigeant du Sentier lumineux, ait été exposé au public dans sa cellule, comme une bête de foire. Ceci est un traitement dégradant et humiliant.»

Répondant aux questions des experts sur les moyens mis en oeuvre pour lutter contre le terrorisme, M.Hermoza Moya, Ministre de la justice du Pérou, a évoqué la période sombre, sans précédent en Amérique latine, traversée par le Pérou. L'État avait à lutter contre un ennemi sans visage qui vouait le pays à la destruction totale. Il n'était pas possible de dialoguer avec «cette bande de déments», a souligné le Ministre, rendant hommage au courage des forces armées péruviennes qui ont lutté contre ces délinquants subversifs. Le processus de pacification, entrepris en 1992, a résulté en une diminution des actes de terrorisme, le retour de nombreuses personnes déplacées et en une nette amélioration de la situation économique du pays.

Le Ministre péruvien a affirmé que la peine de mort n'existe pas au Pérou. Les seules peines appliquées par les tribunaux, même dans les cas de terrorisme aggravé, sont des peines de restriction de liberté. Le Ministre a reconnu que des personnes «innocentes» sont détenues au Pérou, mais que ces cas seront «révisés». Par ailleurs, le Gouvernement péruvien entend répondre aux besoins des populations autochtones.

Le Ministre a réfuté avec emphase les informations rapportées par Amnesty International qui traitent de la situation des «prisonniers politiques et de conscience», au lieu d'utiliser la terminologie consacrée de «délinquants subversifs». En outre, a ajouté le Ministre, les informations révélées par Amnesty International sont des informations de seconde main et donc contestables. Il est erroné d'affirmer, comme le fait Amnesty International, que la torture et les mauvais traitements sont encore pratiqués au Pérou. Le Comité international de la Croix-Rouge peut en témoigner. M. Hermoza Moya a indiqué que les Rapporteurs spéciaux sur la détention, sur les exécutions extrajudiciaires et sur les disparitions forcées ont été invités à se rendre au Pérou pour se rendre compte de la situation in situ.

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Les lois d'amnistie, a expliqué le Ministre, s'inscrivent dans le processus de la pacification du pays. Ces lois ne peuvent être considérées comme des lois d'impunité. Pour ce qui est de «la justice sans visage», le Ministre de la justice a rappelé que plus de 300 juges ont été assassinés au Pérou; ils avaient jugé, à visage découvert, des terroristes. Les tribunaux «sans visage» ne sont pas des tribunaux anonymes. Dans le but de protéger les juges, la «justice sans visage» utilise des noms de code au lieu des noms véritables de magistrats de carrière.

Selon M. Hermoza Moya, la durée de la détention provisoire, fixée à 15 jours par la loi, n'est pas un blanc seing donné aux forces de police. Dans cet intervalle, le ministère public est tenu informé de l'arrestation et de l'interrogatoire des prévenus. La création de nouveaux organes judiciaires, tel le Conseil de coordination judiciaire, répond à la nécessité de restructurer la fonction judiciaire et d'améliorer le fonctionnement de la justice au Pérou.

M. Luis Reyes Morales, Directeur des droits de l'homme au Conseil national des droits de l'homme, a indiqué qu'il y avait eu des progrès entre 1994 et 1996 concernant des personnes disparues. Des centaines de cas ont pu être élucidés grâce au système de dénonciations, alors que 1800 cas sont encore en instance. À la suite des observations du Comité en 1992, le Gouvernement a pris des mesures d'assouplissement de la législation antiterroriste. D'autres mesures ont été adoptées en 1995, dont la décision de mettre fin, au cours de 1996, à la pratique des «juges sans visage». Plus de 4000 repentis ont bénéficié de ces mesures d'assouplissement.

Un expert s'est élevé contre les critiques faites par la délégation péruvienne à l'égard des organisations non gouvernementales dont le travail et les efforts pour sensibiliser l'opinion publique ne peuvent être contestés. Le même expert a fait valoir que les mêmes accusations de mauvais traitements au Pérou ont été portées par la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Un autre expert, soulignant l'importance de la contribution des ONG, a souhaité que la délégation péruvienne dise comment les forces de sécurité peuvent lutter contre le terrorisme sans manifestations de torture. Certains experts ont noté que le rapport du Pérou n'étant pas satisfaisant, il était heureux que les ONG, comme Amnesty International, donnent des éléments d'informations permettant de se faire une idée sur la réalité au Pérou.

Le Comité se réunira cet après-midi à 15 heures pour terminer l'examen du rapport du Pérou.

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