DH/G/426

LE RAPPORTEUR SPECIAL SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME AU BURUNDI ESTIME QUE LA SITUATION EST DEVENUE INTENABLE

19 juillet 1996


Communiqué de Presse
DH/G/426


LE RAPPORTEUR SPECIAL SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME AU BURUNDI ESTIME QUE LA SITUATION EST DEVENUE INTENABLE

19960719 Il revient d'une mission dans le pays qu'il a menée du 1er au 17 juillet 1996

GENEVE, le 18 juillet -- M. Paulo Sérgio Pinheiro (Brésil), Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Burundi, a déclaré, à l'issue de sa troisième mission dans le pays, que «les victimes au Burundi se comptent aujourd'hui par centaines et milliers de morts à la fois».

Le Rapporteur spécial, qui a mené cette mission du 1er au 17 juillet 1996, ajoute que «la situation est devenue intenable». «L'armée burundaise contrôle de moins en moins l'activité de ses militaires sur le terrain et est aux prises avec des rebelles ou bandes armées, dont les attaques répétées et étendues à la plupart des provinces du pays infligent de lourdes pertes aux militaires. Les populations civiles, en particulier les femmes, les enfants et les personnes âgées, sont victimes d'un cycle incessant d'exactions et de représailles de la part des bandes armées et de membres des forces armées».

Le Rapporteur spécial exprime sa plus vive indignation devant l'aggravation de la situation conflictuelle au Burundi et recommande instamment à la communauté internationale d'exercer les pressions les plus énergiques qui soient sur les belligérants pour que cessent immédiatement les violences et les massacres au Burundi. La communauté internationale ne saurait tolérer plus longtemps l'évolution catastrophique de la situation des droits de l'homme au Burundi, avec son cortège d'assassinats ciblés, d'arrestations arbitraires ou de disparitions forcées, et d'actes de pillage, de banditisme, ou de destructions de biens privés. L'insécurité généralisée dans laquelle s'enfonce toujours davantage le pays, le climat de peur, de haine et d'exclusion qui prévaut entre les Burundais, sans oublier l'impunité qui envenime les relations humaines et paralyse toute l'action gouvernementale, servent et maintiennent en place ceux-là mêmes qui ont intérêt à ce que le chaos au Burundi se perpétue, au détriment des citoyens épris de démocratie et soucieux d'un retour à l'Etat de droit dans leur pays.

La troisième visite du Rapporteur spécial fait suite à la cinquante-deuxième session de la Commission des droits de l'homme qui, dans sa résolution 1996/1, a renouvelé le mandat de M. Pinheiro pour un an et le prie de faire rapport à la prochaine session de l'Assemblée générale qui s'ouvre

en septembre 1996 et à la cinquante-troisième session de la Commission en 1997. Au cours de sa mission au Burundi, le Rapporteur spécial a rencontré les autorités politiques, judiciaires et militaires du pays, des dignitaires religieux, les chefs des missions diplomatiques accrédités au Burundi, et divers représentants des agences du système des Nations Unies ou d'organisations internationales non gouvernementales, ainsi que les associations de la société civile burundaise. Il s'est également rendu à Gitega et à Ngozi pour y rencontrer les autorités civiles, militaires et judiciaires locales, de même que les représentants de la Mission internationale d'observation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) au Burundi (MIOB). Enfin, il a visité à Bujumbura le quartier de Kinama et deux camps de déplacés hutu dans la zone de Kamenge.

À l'issue de son séjour au Burundi, le Rapporteur spécial dresse un bilan très sombre de la situation. La dérive du pays s'accentue. À tout moment, la situation peut dégénérer brutalement et provoquer un désastre humanitaire sans précédent dans toute la région des Grands Lacs. On constate une accélération du rythme des attaques des bandes armées ou rebelles dans l'ensemble du pays contre des positions militaires, accompagnée d'une multiplication des ripostes de l'armée qui se soldent par de nombreuses victimes parmi les populations civiles.

Les rebelles sembleraient mieux organisés au cours de leurs attaques et recoureraient à un matériel plus sophistiqué pour certains d'entre eux. Néanmoins, les armes couramment utilisées demeurent souvent artisanales et rudimentaires, dans l'ensemble, infligeant des blessures parfois très difficiles à soigner, en raison de la grande variété de projectiles non conventionnels utilisés. Pris pour cibles, les militaires ne sembleraient plus à même de maîtriser la chaîne de commandement de l'armée à travers le pays. Les soldats prendraient souvent des initiatives en dehors de tout cadre hiérarchique.

À Bujumbura, les milices tutsi seraient devenues plus agressives, en manifestant dans la rue ou en se livrant à des exercices d'auto-défense, qui dégénèreraient parfois en actes d'intimidation à l'égard des passants. Par ailleurs, un certain nombre de hutu, chassés de leurs quartiers à Bujumbura, auraient rejoint les rangs de la rébellion en province. Dans les campagnes, les collines seraient souvent dévastées par des déplacés tutsi qui se mêlent aux militaires pour aller piller les biens des populations hutu voisines.

Le plus souvent, ces tueries ou massacres se dérouleraient sans témoins. En raison de l'insécurité croissante ou de menaces proférées à leur encontre, de nombreuses organisations non gouvernementales ont quitté le pays ou ont réduit leurs activités; certaines des agences des Nations Unies ont été contraintes de revoir à la baisse leurs programmes. De fait, les informations sur les conséquences humanitaires découlant du conflit qui déchire actuellement le Burundi ne couvrent pas plus de 20 % du territoire national, dont de vastes pans échappent désormais à tout système de surveillance international.

- 3- DH/G/426 19 juillet 1996

L'odieux assassinat de trois délégués du CICR, le 4 juin 1996, à Mugina, province de Cibitoke, et l'absence à ce jour d'investigations approfondies, menées de façon indépendante et objective pour en déterminer les auteurs, n'ont fait qu'accentuer la détérioration des conditions de travail des organisations d'assistance humanitaire. Cette violation flagrante des dispositions des Conventions de Genève de 1949 et des Protocoles additionnels de 1977 concernant la protection due aux sociétés ou aux actions de secours, ratifiés par le Burundi, suscite les plus vives inquiétudes quant à la capacité des autorités à honorer les engagements pris.

En outre, depuis plusieurs mois, divers intellectuels, cadres politiques et responsables provinciaux ou commerçants hutu font l'objet d'une élimination systématique par le biais d'assassinats sélectifs, que ce soit à Bujumbura ou dans certains chefs-lieux des provinces. À ce jour, aucune enquête approfondie n'a abouti pour dénoncer les auteurs de ces assassinats, souvent bien connus des communautés locales auxquelles ils appartiennent. À cet égard, le Rapporteur spécial rappelle les pertes que la communauté tutsi endure également, en particulier celles que subissent les militaires ou leurs familles, suite aux attaques des bandes armées.

Malgré la réouverture des trois chambres criminelles de Bujumbura, Gitega et Ngozi, le système judiciaire burundais se débat dans des difficultés institutionnelles et matérielles sans précédent pour accomplir sa mission. C'est avec une profonde consternation que le Rapporteur spécial a appris que parmi les 150 cas instruits lors des deux premières sessions des chambres criminelles, en mars et en juin dernier, 89 condamnations à mort avaient été prononcées et 36 peines à perpétuité infligées, sans l'assistance d'avocats et sans que les condamnés aient une compréhension réelle des charges retenues contre eux. La précarité des conditions d'enquête et d'instruction des dossiers laisse à penser qu'il s'agit d'une justice sommaire et expéditive, soulignant l'impunité régnante au Burundi, et n'offrant aucune perspective de réparation aux victimes des actes poursuivis.

Le Rapporteur spécial adresse un appel pressant à la communauté internationale pour que celle-ci adopte une attitude très ferme à l'égard du Burundi et de ceux qui recourent à la lutte armée, et les enjoigne instamment à mettre fin sans délai aux violences et aux tueries dans le pays. Les récentes initiatives prises par l'ancien Président Julius Nyerere, ainsi que le processus enclenché lors du Sommet d'Arusha, début juillet, et soutenu par le Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA à Yaoundé, tenu du 8 au 10 juillet 1996, doivent être impérativement soutenus par la communauté internationale. Toutefois, celle-ci ne saurait se dérober aux responsabilités qui sont les siennes, en cas de refus par les autorités burundaises de mettre en oeuvre les engagements pris à Arusha. La communauté internationale devrait alors considérer l'application de sanctions au Burundi. Elle pourrait en outre envisager des sanctions à portée collective en vue de réduire l'assistance internationale ou de suspendre certains programmes des Nations Unies.

- 4- DH/G/426 19 juillet 1996

Le Rapporteur spécial tient à rendre hommage au travail courageux effectué par les agences des Nations Unies et d'autres organisations internationales au Burundi en faveur des victimes du conflit. De plus, il soutient sans réserve l'action du Haut Commissaire aux droits de l'homme au Burundi, notamment dans le cadre de la mission d'observation qu'il a mise sur pied à partir du mois d'avril. Le Rapporteur spécial considère que les activités des premiers observateurs des droits de l'homme ont déjà un impact très positif et espère vivement que leur nombre pourra être augmenté de façon à ce qu'ils puissent être déployés dans les provinces où les conditions de sécurité le permettent.

* *** *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.