LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME REPREND L'EXAMEN DU RAPPORT DU NIGÉRIA
Communiqué de Presse
DH/G/417
LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME REPREND L'EXAMEN DU RAPPORT DU NIGÉRIA
19960709Genève, 9 juillet -- Le Comité des droits de l'homme a repris, ce matin, l'examen du rapport initial du Nigéria, entamé lors de la précédente session tenue à New York, au mois d'avril 1996.
Compte tenu des difficultés particulières rencontrées par le Nigéria pour mettre en oeuvre le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et profondément préoccupé par les exécutions récentes, consécutives à des procès qui n'étaient pas conformes aux dispositions du Pacte, le Comité avait demandé, par une décision spéciale prise le 29 novembre 1995, la présentation de ce rapport, à titre urgent. Cette décision a été prise par le Comité à la suite de l'exécution de Kenulé Saro-Wiwa et d'autres membres du «Mouvement pour la survie du peuple Ogoni». Ces personnes avaient été jugées et condamnées par le tribunal d'exception chargé d'examiner les troubles civils Ogoni.
A l'issue de l'examen préliminaire du rapport du Nigéria, auquel il a procédé à New York, le Comité avait approuvé une série de recommandations urgentes, par lesquelles il demandait, en particulier, que tous les décrets établissant des tribunaux spéciaux ou agissant en dehors des garanties constitutionnelles en matière des droits de l'homme ou agissant en dehors de la juridiction des tribunaux ordinaires soient abrogés et que tous procès devant lesdits tribunaux spéciaux soient immédiatement suspendus.
Le Comité avait recommandé, en outre, que des mesures urgentes soient prises par le Nigéria pour garantir que les personnes appelées à comparaître devant des tribunaux se voient accorder toutes les garanties relatives à un procès équitable. Il a recommandé que les chefs d'inculpation et les sentences de ces personnes soient examinées par une cour supérieure. Le Comité a enfin demandé au Gouvernement du Nigéria de l'informer, lors de la reprise de l'examen du rapport à Genève, des mesures prises pour appliquer cette série de recommandations urgentes.
Lors de la présente session, la délégation du Nigéria, conduite par M. A.H. Yadudu, Conseiller spécial pour les affaires juridiques à la Présidence de la République fédérale du Nigéria, est composée de 12 personnes.
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Dans sa déclaration de présentation, M. Yadudu a annoncé qu'une
Commission des droits de l'homme venait d'être créée au Nigéria et que cinq de ses membres l'accompagnaient. Il a réaffirmé que le Nigéria est un membre responsable de la communauté internationale qui respecte toutes les obligations internationales qu'il a contractées. Créée en 1995, la Commission nationale des droits de l'homme est composée de 16 membres venus des média indépendants, d'organisations non gouvernementales, du secteur privé et d'autres groupes d'intérêts, notamment de femmes et d'autres minorités.
A propos des mesures prises pour mettre en oeuvre les recommandations du Comité depuis la session d'avril, M. Yadudu a indiqué que, se fondant sur le rapport de la mission d'établissement des faits des Nations Unies, le Nigéria a entrepris certaines initiatives positives. Par lettre au Secrétaire général des Nations Unies, en date du 21 mai 1996, le Chef de l'État, le Général Sani Abacha, s'est engagé à amender plusieurs décrets relatifs au Civil Disturbances Act de manière à ce que les membres des forces armées ne puissent plus faire partie du tribunal d'exception et que les décisions du tribunal puissent faire l'objet d'appels. Le Nigéria a aussi restauré l'Habeas corpus aux détenus par un décret du 7 juin 1996 et demandé à la Commission de développement des régions pétrolières de déterminer les problèmes écologiques dans la région Ogoni et de trouver les moyens d'améliorer la situation.
Ces premières mesures constituent la réponse partielle du Nigéria aux recommandations de la mission d'établissement des faits des Nations Unies. D'autres aspects du rapport de mission sont en cours d'examen. En ce qui concerne les recommandations du Comité qui n'ont pas été suivies d'effet, M. Yadudu a fait observer que certains des décrets que le Comité a recommandé d'abroger sont antérieurs à l'accession du Nigéria au Pacte. Ces décrets font traditionnellement partie du régime militaire au pouvoir au Nigéria. Ils sont voués à disparaître avec le retour du pouvoir civil prévu au 1er octobre 1998.
En ce qui concerne les mesures constitutionnelles et juridiques propres à garantir l'application du Pacte, le représentant a fait observer que pratiquement tous les droits reconnus dans le Pacte sont inscrits dans la Constitution de 1979. Ils sont également consacrés dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, instrument incorporé au droit interne. en vigueur du Nigéria. La Commission nationale des droits de l'homme contribuera à l'application des dispositions du Pacte. A cet effet, M. Yadudu a demandé au Centre pour les droits de l'homme de prêter son assistance technique à la jeune institution nationale.
Revenant aux difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre effective du Pacte, M. Yadudu a mentionné notamment la difficulté de réconcilier certaines lois antérieures au Pacte; la trop grande confiance que fait le Comité à des sources d'information peu digne de foi; la lourde charge de travail que pose à certains États l'établissement de rapports périodiques à des intervalles rapprochés. En outre, la population et le Gouvernement du Nigéria ont le sentiment que le Comité des droits de l'homme tend à formuler des critiques très sévères à l'égard des pays en développement, réservant son indulgence aux pays développés, mettant en doute sa crédibilité même.
- 3 - DH/G/417 9 juillet 1996A propos des garanties et réparations offertes en situations d'urgence, M. Yadudu affirme qu'aucun état d'urgence n'a été proclamé au Nigéria depuis que le pays a accédé au Pacte. Les règles en vigueur dans les prisons du Nigéria sont, selon lui, similaires aux Règles minima des Nations Unies. Les restrictions à l'exercice de la liberté d'expression se limitent à celles qu'autorise la loi dans l'intérêt de la sécurité et de l'ordre publics.
S'agissant d'allégations selon lesquelles le Nigéria aurait interdit à certaines organisations non gouvernementales d'assister aux travaux du Comité, le représentant a nié de telles informations. Il s'est dit «étonné» de ces allégations. Depuis qu'une lettre a été envoyée par le Président du Comité aux autorités nigérianes, une enquête a été ouverte pour déterminer les raisons qui ont empêché une ONG nigériane d'assister à la session du Comité en avril dernier à New York.
Commentaires des membres du Comité
En dépit des explications et des assurances apportées par la délégation du Nigéria, la plupart des experts ont exprimé leurs préoccupations persistantes face à la situation des droits de l'homme dans ce pays. Ils se sont élevés contre l'avis du Nigéria selon lequel le Comité aurait une attitude critique systématique vis-à-vis des pays en développement.
Ils ont jugé insuffisantes les mesures prises jusqu'ici pour donner suite aux recommandations de la mission d'établissement des faits, notant en outre que les recommandations du Comité n'avaient pas reçu l'attention escomptée. Certains experts ont insisté sur la nécessité d'abroger tous les décrets portant création de tribunaux spéciaux: les amender ne suffit pas. Les personnes détenues sans jugement doivent être libérés sans délai. Il faut aussi prévoir des dédommagements pour ces personnes. Les membres du Comité ont de nouveau noté qu'il y avait un écart considérable entre la situation dans le pays et l'obligation qui incombe au Nigéria aux termes du Pacte de respecter et de garantir les droits énoncés dans cet instrument.
Les experts ont noté avec inquiétude que peu de précisions ont été apportées concernant la détention au secret et la suppression de l'habeas corpus. Il y a encore 19 Ogoni détenus au secret au titre du décret de 1987. Que va-t-il leur arriver, puisque ce décret n'a pas été abrogé? Il y a lieu de s'inquiéter lorsque l'on sait que M. Clement Tusima est décédé, en détention, des suites de son diabète et faute de soins. Environ 5300 prisonniers auraient trouvé la mort, ces dernières années, dans les prisons du Nigéria en raison des mauvaises conditions de détention et de mauvais traitements.
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En ce qui concerne la situation des droits de l'homme en général, et du respect des dispositions du Pacte en particulier, les experts ont estimé que la «sécurité juridique» des citoyens est menacée au Nigéria. De nombreuses dispositions constitutionnelles ont été suspendues, sans qu'un état de siège ait été proclamé, rendant ainsi toutes les mesures adoptées illégales au regard du Pacte. Ils ont fait état de mesures d'intimidation de la part du Service de la sécurité de l'État. Ils ont demandé si MM. Ayo Obe et Joseph Otteh, membres de la Civil Liberties Organisation, avaient pu récupérer leurs passeports, confisqués à l'aéroport, les empêchant d'assister à l'examen du rapport du Nigéria à la dernière session du Comité.
A propos de la condition de la femme et des jeunes filles, les experts se sont inquiétés du fait que la polygamie soit encore légale et en vigueur au Nigéria. Ils ont demandé si les pratiques traditionnelles sur les petites filles avaient encore cours, et comment ces mutilations génitales affectent le taux de mortalité féminine. Notant que l'avortement est interdit par la loi, ils ont souhaité savoir comment cette interdiction
affecte aussi le taux de mortalité chez les femmes.
Des préoccupations ont été par ailleurs exprimées sur les expulsions des étrangers en situation illégale, sur l'indépendance et la liberté des organisations non gouvernementales, sur les restrictions à la liberté d'expression. Les experts se sont demandés quelles sont les possibilités d'appel qu'ont les trois journaux suspendus par décret présidentiel.
Le Comité des droits de l'homme poursuivra l'examen du rapport du Nigéria, cet après-midi, à 15 heures.
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