En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/5996

DEVANT LE CENTRE D'ÉTUDES STRATÉGIQUES D'ANKARA, LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOULIGNE LE ROLE MAJEUR DE L'ONU DANS LA RECHERCHE DE SOLUTIONS AUX PROBLEMES MONDIAUX

4 juin 1996


Communiqué de Presse
SG/SM/5996


DEVANT LE CENTRE D'ÉTUDES STRATÉGIQUES D'ANKARA, LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOULIGNE LE ROLE MAJEUR DE L'ONU DANS LA RECHERCHE DE SOLUTIONS AUX PROBLEMES MONDIAUX

19960604

On trouvera ci-après le texte de la déclaration que le Secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali, a faite le 31 mai, au Centre d'études stratégiques d'Ankara :

C'est pour moi un honneur que d'avoir été invité à prendre la parole au Centre d'études stratégiques. Ce centre applique la rigueur caractérisant la recherche intellectuelle aux exigences concrètes de la diplomatie.

C'est là une démarche que j'ai moi-même suivie tout au long de ma carrière universitaire lorsque je rédigeais d'abord une chronique hebdomadaire et ensuite un ouvrage sur la politique étrangère de mon pays.

Dans les années 60, mon gouvernement m'a demandé d'ouvrir un centre exactement comme le vôtre, un centre où universitaires et diplomates, professeurs et politiciens pourraient se rencontrer en toute liberté pour analyser la politique étrangère de l'Égypte et débattre de son orientation future. Les vues du Centre paraissaient dans le périodique As-Siyassah ad-Dawliyyah dont j'assurais la publication en ma qualité de directeur du Centre d'études politiques et stratégiques.

Depuis lors, mes activités professionnelles ont été multiples et variées mais je n'ai cessé de revenir au Centre pour débattre avec mes collègues et amis des orientations futures de la politique étrangère.

Je suis donc très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Vous m'avez invité à renouer avec ce qui est pour moi un aspect essentiel de l'oeuvre de ma vie, à savoir faire la soudure entre la théorie et la pratique dans les affaires internationales.

Permettez-moi de vous faire part aujourd'hui de certaines réflexions sur les perspectives à long terme des relations internationales et plus particulièrement sur la nature de la mondialisation.

- 2 - SG/SM/5996 4 juin 1996

La dynamique de la mondialisation est à l'oeuvre : elle façonne le monde dans lequel nous devons fonctionner, prépare le XXIe siècle et mobilise la créativité et les ressources de l'Organisation des Nations Unies. Mais la mondialisation n'est pas un phénomène homogène. Ce terme est un raccourci que l'on utilise pour désigner une série de phénomènes.

La mondialisation peut être salutaire. Elle permet des transferts financiers et des courants d'information grâce à un réseau de contacts non hiérarchiques. Il suffit d'avoir accès à un ordinateur personnel et à une ligne téléphonique pour pouvoir virer des sommes colossales d'un compte à l'autre et d'un continent à l'autre. Des librairies tout entières sont ainsi ouvertes aux chercheurs du monde entier. De même, la simple pression d'une ou deux touches sur un clavier permet d'obtenir instantanément les nouvelles les plus fraîches aussi bien sur les marchés financiers que sur les derniers résultats d'élections. Ces informations ne proviennent pas d'une source unique et elles échappent pratiquement à tout contrôle. Si connaissance est synonyme de pouvoir, ce pouvoir sera alors accessible à un plus grand nombre et dans des conditions plus équitables que jamais dans l'histoire de l'humanité.

Tout comme il existe une mondialisation aux effets salutaires, il existe aussi une mondialisation criminelle qui ignore non seulement les frontières des États mais aussi les limites mêmes de la légalité. La mondialisation d'une économie clandestine est en train de se développer rapidement, tirant parti d'une technologie initialement conçue pour servir l'humanité.

Le trafic de drogues illégales, le terrorisme, le trafic illicite d'armes légères, d'éléments de missiles et de composants d'armes de destruction massive de même que le blanchiment de l'argent produit par ces activités abominables participent tous d'un même processus. Il existe une économie mondiale de la criminalité qui ne peut être combattue par un État agissant seul ni même par un groupe d'États. Pour y parvenir, il faudra une conscience, un engagement et une action à l'échelle mondiale.

Le troisième type de mondialisation est la conséquence des catastrophes humaines ou naturelles qui menacent la survie de notre espèce et la stabilité du développement. Il s'agit de la mondialisation de phénomènes tels que la dégradation de l'environnement, le déboisement, la pollution de l'air et de l'eau, la propagation des épidémies et les dangers politiques et sociaux que présentent les mouvements incontrôlés de population.

Ces problèmes ne sont pas le fait d'un seul État et ne peuvent être réglés par un seul État. Ce sont là des problèmes qui pèsent sur l'humanité tout entière et qui appellent un effort collectif de l'humanité tout entière.

- 3 - SG/SM/5996 4 juin 1996

Leur solution exige l'établissement de normes et règles de portée mondiale, la prise de mesures antipollution internationalement convenues, l'adoption d'accords internationaux protégeant la diversité biologique, la mise en place d'une action concertée pour enrayer les maladies et le lancement d'initiatives comme la Conférence sur les réfugiés et les migrants de la Communauté d'États indépendants que j'ai inaugurée hier à Genève.

A Istanbul, la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, Habitat II, se penchera dans les jours qui viennent sur un autre grand problème mondial, à savoir l'urbanisation et les établissements humains.

La mondialisation revêt non seulement différentes formes mais elle évolue aussi à différents rythmes. Elle est tantôt rapide - comme c'est le cas de la mise en place des réseaux d'information qui est un de ses aspects positifs ou du trafic de matières nucléaires pour citer une de ses conséquences négatives - tantôt lente. Ainsi, le réchauffement de la planète, processus relativement lent mais dont les effets pourraient à terme être encore plus catastrophiques que certains phénomènes plus immédiats.

Vu cette évolution différente, les mesures à prendre devront se situer dans un cadre temporel différent. Les gouvernements auront peut-être à entreprendre une action concertée rapide contre le trafic international des drogues illicites; en revanche, d'autres phénomènes pourront nécessiter une intervention à plus long terme telle que la réduction des émissions de carbone ou l'adoption de nouveaux modes de production et de consommation à l'échelle de la planète.

Malgré leur grande diversité, les phénomènes de mondialisation présentent néanmoins deux caractéristiques communes.

Premièrement, la mondialisation se caractérise par l'affaiblissement du contrôle exercé par l'État sur divers secteurs : finances, information, transports de biens et services, environnement, et mouvements de population.

Les tensions créées par la mondialisation sont responsables de l'éclatement des États et des sociétés, de la montée de la violence, de la multiplication des guerres civiles, de la marginalisation de groupes tout entiers dans une société donnée ou d'États dans une économie mondialisée.

Ces considérations m'amènent à aborder l'aspect politique de la mondialisation. Le monde n'est pas impuissant. Les États du monde entier et leurs peuples disposent d'un instrument qui pendant 50 ans a été soigneusement préparé à faire face aux divers problèmes que pose la mondialisation et cet instrument c'est l'Organisation des Nations Unies.

L'Organisation des Nations Unies est à la tête d'un mouvement mondial créé pour trouver des solutions aux problèmes mondiaux.

- 4 - SG/SM/5996 4 juin 1996

L'ONU répond à la fois aux exigences de souveraineté des États et aux besoins croissants de la population mondiale en matière de protection sociale. Elle a élaboré plusieurs stratégies à cette fin.

Elle offre aux États et à leurs peuples une tribune où ils peuvent débattre de leurs problèmes. Elle permet l'expression et la confrontation de diverses idées et expériences. Cet échange de points de vue à l'échelon mondial peut déboucher sur une déclaration de principes généraux, un accord sur la nature du problème et sur les éléments de sa solution.

Tel est l'objectif des conférences et sommets mondiaux que l'Organisation des Nations Unies a tenu ces dernières années. Le développement durable, les enfants, l'environnement, les droits de l'homme, la population, le

développement social et la marginalisation, la criminalité transnationale, les problèmes des petits États insulaires, la promotion de la femme, les politiques en matière d'échanges et de développement, et la semaine prochaine à Istanbul, les établissements humains et l'urbanisation, sont autant de grands problèmes mondiaux qui ont été débattus et pour lesquels des programmes d'action ont été adoptés.

Ces conférences ont réuni des représentants des États et de la société civile ainsi que d'organisations gouvernementales et non gouvernementales. Un nombre sans précédent de chefs d'État et de gouvernement y ont assisté, témoignant ainsi de leur attachement à l'Organisation des Nations Unies.

Ce mouvement mondial produit un ensemble de plus en plus vaste d'accords qui forment un programme pour les pays du monde entier. En établissant des normes et règles claires et des objectifs quantifiables, les États se sont dotés des instruments nécessaires pour combattre les incidences négatives de la mondialisation tout en en renforçant les effets positifs. Par le biais des conférences et sommets des Nations Unies, les États recouvrent le contrôle du processus de mondialisation.

Toutefois, l'Organisation des Nations Unies doit s'attaquer aux effets pervers de la mondialisation que sont l'éclatement et la marginalisation.

Le nombre sans précédent de guerres civiles et de conflits internes depuis la création de l'Organisation il y a 50 ans témoigne de l'éclatement du système mondial que forment les États. L'Organisation des Nations Unies, qui était chargée en tout de trois opérations de maintien de la paix avant la fin de la guerre froide, mène aujourd'hui 21 opérations de ce type.

Avec l'éclatement des États, des bandes de francs-tireurs placées sous la conduite de seigneurs de la guerre apportent la destruction et la mort à des civils innocents. Comment peut-on vraiment espérer voir aboutir des négociations de paix lorsque les gouvernements sont des alliances instables regroupant des factions belligérantes divisées selon des considérations ethniques ou tribales ou sur la base de l'appartenance de tel ou tel clan.

- 5 - SG/SM/5996 4 juin 1996

Les soldats de la paix doivent désormais s'aventurer dans des situations potentiellement hostiles, négocier des cessez-le-feu, apporter des secours à la population civile, protéger les convois humanitaires et aider les réfugiés et les personnes déplacées victimes de conflits internes.

Lorsque les armes se taisent enfin, l'Organisation des Nations Unies s'efforce de consolider cette paix fragile en offrant une aide au développement, en participant à l'organisation et à la tenue d'élections et en facilitant la réinstallation des civils qui rentrent chez eux.

Telles sont les conséquences de l'éclatement sur le terrain. Telles sont les tâches actuelles et futures qui incombent à l'Organisation des Nations Unies en tant que mécanisme collectif pour corriger les effets négatifs des phénomènes de mondialisation et des tensions sociales dont ils s'accompagnent.

Quelles recommandations touchant l'action à mener pouvons-nous formuler à partir de cette analyse?

Il nous faut tout d'abord renforcer le rôle de l'Organisation dans les efforts entrepris pour créer une vision commune des problèmes auxquels

sera confronté le monde de demain, et élaborer des normes communes et des politiques concertées. Il s'agira forcément de problèmes mondiaux qui ne peuvent être réglés qu'à l'échelon mondial : la réglementation de l'utilisation des voies de communication et leur répartition, l'eau, le trafic généralisé d'armes illégales, le terrorisme, les maladies revêtant de nouvelles formes particulièrement virulentes, les déplacements massifs de population. L'action mondiale de l'Organisation des Nations Unies renforce la souveraineté des États tout en réduisant les dangers de la mondialisation.

L'ONU doit ensuite rechercher les moyens de prévenir l'éclatement des États et des sociétés, grâce au renforcement de la coopération économique, ou au développement du régionalisme ou encore aux efforts de démocratisation de l'environnement international. Par-dessus tout, il lui faudra jouer un rôle de premier plan dans les efforts visant à inverser le processus de marginalisation de sociétés tout entières et à leur faire bénéficier des avantages de la mondialisation.

Enfin, la pièce maîtresse du système international doit demeurer l'État qui est seul capable de prévenir la rupture de l'ordre causé par les tensions créées par la mondialisation. Ce faisant, les États tels qu'ils sont organisés doivent permettre une représentation plus large des nouveaux acteurs sur la scène internationale : les organisations non gouvernementales, le secteur privé, les milieux universitaires, les parlementaires et les autorités municipales. Ce sont eux en effet qui permettront de combler le fossé entre les niveaux mondial et local.

- 6 - SG/SM/5996 4 juin 1996

Les soldats de la paix turcs ont l'occasion d'apprécier le prix du chaos et de l'éclatement en Somalie et dans l'ex-Yougoslavie. Ils ont fait don de leur vie en Somalie et en Bosnie-Herzégovine. Vos soldats de la paix peuvent aujourd'hui observer les bienfaits de l'action multilatérale, que ce soit à la frontière entre l'Iraq et le Koweït, en Géorgie, en Bosnie et en Croatie, ou encore dans l'ex-République yougoslave de Macédoine. Les observateurs militaires, officiers et agents de la police civile turcs participent à l'édification du système international de l'après-guerre froide. Ils peuvent nous dire quel est le coût de l'éclatement. Ils peuvent aussi nous dire quels sont les bienfaits de la paix. Ils sont, tout comme les populations qu'ils servent, une source de fierté non seulement pour leur propre pays mais aussi pour l'Organisation des Nations Unies.

Le monde entre dans une phase tout à la fois riche de possibilités et grosse de dangers. L'Organisation des Nations Unies est la seule organisation à composition universelle qui soit capable d'oeuvrer aussi bien pour la paix que pour le développement et la démocratisation.

L'Organisation des Nations Unies attend d'être utilisée comme elle est censée l'être. Grâce à votre érudition, à votre sagesse et à votre volonté réelle d'agir, l'Organisation aidera véritablement l'humanité à créer un avenir meilleur pour tous.

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