DÉCLARATION FAITE PAR LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL LORS DU CONGRES MONDIAL DU CONSEIL DES ENTREPRISES POUR LES NATIONS UNIES
On trouvera ci-après le texte de la déclaration que le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, M. Boutros Boutros-Ghali, a faite le 23 mai lors du quatrième Congrès mondial du Conseil des entreprises pour les Nations Unies :
C'est avec un très grand plaisir que je me trouve parmi vous aujourd'hui à l'occasion du quatrième Congrès mondial annuel du Conseil des entreprises pour les Nations Unies. Je tiens à remercier personnellement le Président, M. Brookfield, et tous ses collaborateurs de l'excellent travail qu'ils ont accompli et qui a permis de resserrer encore les liens qui unissent l'Organisation des Nations Unies et le monde des affaires.
Je me réjouis de voir qu'un nombre aussi important de représentants des milieux commerciaux et industriels ont voulu assister cette année au Congrès, qui est parrainé par le Groupe Chubb et The Economist.
Le thème de votre rencontre, l'influence des médias et des télécommunications, m'intéresse tout particulièrement. L'évolution récente des techniques de télécommunication a eu de profondes répercussions sur notre compréhension de l'actualité mondiale.
Nous vivons désormais à l'ère de l'accès immédiat à l'information et du reportage en temps réel. Aujourd'hui, le rêve que nous caressions de pouvoir recueillir instantanément des informations par simple pression sur un bouton est devenu réalité. Si nous voulons aller plus loin encore et créer une véritable société de l'information mondiale, nous devrons tous nous mobiliser en un effort concerté.
Je me félicite du caractère inéluctable des mutations technologiques. Ce faisant, je tiens toutefois à faire une mise en garde. Les progrès réalisés dans les techniques de l'information ont déjà eu des incidences profondes tant au niveau des individus que des gouvernements. Pour la plupart, ces changements ont été positifs. J'estime pour ma part qu'il n'est ni possible ni souhaitable de faire marche arrière. Mais le moment est venu en revanche de faire le point et d'examiner les effets que ces mutations peuvent avoir sur nos vies.
Au niveau de l'individu, l'influence des technologies nouvelles s'exerce de diverses façons. Le réseau Internet offre de nouvelles possibilités éducatives qui permettent à ses utilisateurs de s'instruire tout au long de leur vie. La télévision par satellite propose au consommateur un éventail de choix saisissant. Ces techniques peuvent constituer un outil précieux en faveur de l'épanouissement de l'individu.
Il reste toutefois que l'enthousiasme suscité par la thèse de l'épanouissement de l'individu doit être replacé dans son vrai contexte. Même dans les pays les plus développés, tout le monde ne sera pas en mesure de tirer parti de ces nouvelles techniques. Par exemple, le nombre de foyers équipés d'un ordinateur personnel risque d'augmenter moins rapidement. Dans le monde en développement, il est encore difficile d'imaginer l'émergence d'une population équipée d'ordinateurs et formée aux techniques informatiques.
Au niveau des gouvernements, les reportages diffusés par les médias peuvent avoir de lourdes incidences sur la conduite des relations internationales. Le rôle que joue la télévision en attirant l'attention sur certains événements ou sur certaines questions est un facteur qui intervient constamment dans la diplomatie mondiale, et l'on ne peut que s'en réjouir.
Le monde a assisté en spectateur horrifié aux conflits qui ont ravagé la Somalie et la Bosnie, dont les images apparaissaient quotidiennement sur les écrans de télévision. Pour la Somalie, on peut dire que la politique étrangère de l'ONU a été influencée par les images effrayantes que la télévision montrait de Mogadishu.
L'information est donc l'un des moteurs des relations internationales. Il n'en demeure pas moins cependant que certaines nouvelles reçoivent plus d'attention que d'autres. Parce qu'ils opèrent un tri, les médias ne sont pas toujours impartiaux et le tableau qu'ils dressent des événements mondiaux n'est pas toujours complet ni équilibré.
Je ne veux pas dire par là que les médias devraient couvrir absolument tous les problèmes et refléter toutes les nuances de l'opinion. Les journées n'ayant que 24 heures, il va de soi qu'ils doivent établir des priorités. Une couverture sélective de l'actualité, axée sur le sensationnel plutôt que sur l'information, peut néanmoins nuire à la diplomatie.
Aujourd'hui, les gouvernements doivent réagir instantanément aux événements. Dans les pays démocratiques en particulier, ils ne peuvent s'offrir le luxe d'ignorer l'influence de la télévision sur l'opinion publique.
L'ONU n'est pas à l'abri de telles pressions. Nous sommes au coeur d'une activité médiatique considérable et il n'est pas étonnant que les médias accordent beaucoup de place à nos activités de maintien de la paix. Cela leur permet de faire de bons titres. Il n'en demeure pas moins que cette couverture sélective peut donner aux spectateurs une image déformée de l'action de l'ONU. Au mieux, ils reçoivent un tableau incomplet des programmes que mène l'Organisation dans les domaines de l'aide humanitaire et du développement.
La révolution médiatique pose de nombreux défis à l'ONU. Par exemple, nous devons veiller à ce que nos ressources et notre énergie ne soient pas détournées des zones qui ne sont pas sous les projecteurs de l'actualité. Nous sommes également contraints de collaborer étroitement avec les médias, pour sensibiliser le public, mais aussi pour influencer la prise de décisions au niveau international. Dans les deux cas, nous devons relever le défi.
Cette sélectivité des médias et les conséquences qu'elle entraîne ne datent pas d'hier et tous les dirigeants du monde, ainsi que l'ONU, doivent en accepter la réalité. Les nouvelles techniques médiatiques exercent en outre une pression grandissante sur la diplomatie contemporaine. Elles exigent notamment une réaction et des commentaires instantanés, ce qui n'est pas le moindre des défis qu'elles posent.
On ne fait pas de la bonne diplomatie à coup de phrases lapidaires ou en organisant des conférences de presse à la hâte. La diplomatie doit, ou devrait, être une oeuvre de patience et les reportages retransmis en direct aux gouvernements risquent de faire dérailler le processus diplomatique.
Les responsables doivent souvent réagir à des nouvelles retransmises en dehors de tout contexte, voire à des nouvelles inexactes. Même lorsque le contenu de ces nouvelles est entièrement exact, il est en général préférable que les dirigeants et les diplomates aient le temps de réfléchir et de faire les analyses nécessaires.
Il s'agit essentiellement d'un problème d'équilibre. Les progrès réalisés dans les communications mondiales et les techniques d'information offrent des possibilités qui auraient fait rêver la génération précédente. Mais le moment est venu de réfléchir aux incidences de cette évolution sur la conduite des relations internationales.
En bref, nous devons reconnaître que les exigences de la diplomatie et celles des médias modernes sont parfois incompatibles.
Je vous suis très reconnaissant de la possibilité que vous m'avez donnée de prendre la parole et je serais heureux de répondre à quelques-unes des questions que vous voudrez bien me poser.
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