SOC/50

LA COMMISSION DU DEVELOPPEMENT SOCIAL DEBAT DE LA FORMULATION DE STRATEGIES INTEGREES CONTRE LA PAUVRETE

22 mai 1996


Communiqué de Presse
SOC/50


LA COMMISSION DU DEVELOPPEMENT SOCIAL DEBAT DE LA FORMULATION DE STRATEGIES INTEGREES CONTRE LA PAUVRETE

19960522 APRES-MIDI SOC/50

Des experts ont participé au débat

La Commission du développement social a tenu cet après-midi une table ronde consacrée à la formulation des stratégies intégrées pour l'élimination de la pauvreté. Des experts ont pris part à cette table ronde. Deux autres tables rondes sur le thème de l'élimination de la pauvreté, l'un des trois domaines d'actions prioritaires du Programme d'action du Sommet mondial pour le développement social, sont prévues au cours de la présente session de la Commission, qui traiteront respectivement de la satisfaction de tous les besoins humains élémentaires et de la promotion d'initiatives pour garantir l'autosuffisance des communautés.

Lors du Sommet de Copenhague, 117 chefs d'Etat et de gouvernement se sont mis d'accord pour reconnaître que le problème global de la pauvreté nécessite une mobilisation totale de la société ainsi que l'élaboration de politiques et de stratégies nationales anti-pauvreté. Un des engagements clés a été l'engagement des chefs d'Etat et de gouvernement à définir un calendrier de lutte contre la pauvreté extrême.

Au cours de la table ronde qui s'est tenue cette après-midi, la Commission a entendu les exposés des experts suivants : le Directeur de l'Institut du tiers monde de l'Uruguay, M. Roberto Bissio; M. Valimohamed Jamal, spécialiste des questions liées au marché du travail et aux ressources humaines de l'équipe consultative multidisciplinaire de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour l'est-asiatique; M. Louis Emmerij, Conseiller spécial de la Banque de développement interaméricaine; M. Gerry Rodgers, membre de l'équipe technique multidisciplinaire pour l'Amérique latine de l'OIT, et Mme Pauk Phongpaichit, représentante du Centre d'économie politique de l'Université Chulalongkorn de Bangkok.

A l'issue de leurs exposés, les experts ont entamé un dialogue avec les membres de la Commission. La Commission a, d'autre part, entendu une déclaration du représentant de l'Organisation de la Conférence islamique.

La Commission poursuivra ses travaux, demain jeudi 23 mai, à

partir de 10 heures.

-- SOC/50 22 mai 1996

Table ronde sur la formulation des stratégies intégrées pour l'élimination de la pauvreté

Exposés des experts

M. ROBERTO BISSIO, Directeur de l'Institut du tiers-monde de l'Uruguay, a mis l'accent sur la nécessité d'identifier précisément les organes chargés de surveiller l'évolution de l'élimination de la pauvreté tant au niveau régional qu'international. Au niveau international, il est indispensable de s'assurer que tous les Etats, ainsi que les institutions financières internationales et régionales feront rapport régulièrement à ces organes des progrès accomplis dans cette voie. Les questions liées à la pauvreté doivent davantage être examinées dans le cadre de l'environnement économique mondial. Il importe de donner plus d'importance à la participation de la société civile aux efforts de lutte contre la pauvreté.

M. ALIMOHAMED JAMAL, Spécialiste des questions liées au marché du travail et aux ressources humaines de l'équipe consultative multidisciplinaire de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour l'est-asiatique, a observé que le plus grand défi économique que l'Afrique ait eu à relever est la diversification de son économie pour prévenir les conséquences néfastes des fluctuations du marché mondial. Le continent africain doit s'atteler à l'intégration du secteur informel dans l'économie formelle. En Afrique, la réduction drastique du niveau des salaires, ces quinze dernières années, ne permet plus à un seul revenu de répondre aux besoins élémentaires d'une famille de trois personnes. Les travailleurs sont contraints à chercher d'autres revenus complémentaires. Si des mesures immédiates ne sont pas prises pour améliorer le secteur informel, la situation sociale continuera de se dégrader.

M. LOUIS EMMERIJ, Conseiller spécial du Président de la Banque interaméricaine de développement (Washington D.C), a indiqué qu'il y avait eu jusqu'à présent davantage d'initiatives visant à mesurer le niveau de pauvreté que d'élaborations de stratégies concrètes visant à son élimination. Pour traiter le problème de la pauvreté efficacement, il est nécessaire de créer de nouvelles sources de revenus, d'augmenter la productivité du travail, de diversifier le secteur économique et de promouvoir une meilleure redistribution des richesses. En outre, il convient d'accorder une haute priorité à l'éducation et à la formation. L'éducation de base n'apporte pas de solutions à tous les problèmes. L'accent est trop mis sur les solutions à "court terme". Il convient de canaliser les énergies vers le long terme, et de s'atteler à la démarginalisation durable des exclus, en mettant en place de nouveaux types de politiques structurelles, qui rendraient l'économie plus vigoureuse, stimuleraient la productivité et les emplois productifs, et assurerait la satisfaction des besoins élémentaires. Aucune politique de ce type n'a encore été mise au point. C'est au seul secteur privé qu'incombe,

aujourd'hui, la responsabilité de créer des emplois. Les gouvernements devraient jouer un rôle beaucoup plus grand dans ce domaine. Le Programme d'action de Copenhague est certes

"mirifique", et rien n'y a été oublié; cependant ce n'est pas de cette façon que l'on élabore des politiques pragmatiques. Pour réaliser les objectifs qui y sont fixés, il est essentiel de définir les grandes lignes des stratégies à suivre.

M. GERRY RODGERS, membre de l'équipe technique multidisciplinaire pour l'Amérique latine de l'OIT, a concentré son exposé sur l'exclusion sociale dans le contexte du monde du travail et des marchés. Cette question a été au centre de l'attention du Sommet de Copenhague. L'exclusion sociale est un phénomène réversible. Des recherches sont en cours sur les moyens qui s'offrent et les politiques à mettre en place à cette fin, aux niveaux national et international. Des mécanismes visant à promouvoir la réintégration des exclus sont nécessaires, en particulier sur le marché du travail et dans les sphères étatiques. Le Gouvernement brésilien, par exemple, a identifié ce problème, et a demandé aux institutions locales de définir les actions qu'ils convient d'entreprendre à cette fin, et d'évaluer les ressources qui seront nécessaires. D'autres pays de la région ont mis en place des comités ou des organes nationaux afin de coordonner toutes les initiatives allant dans ce sens.

Mme PASUK PHONGPAIICHIT, représentante du Centre d'économie politique de l'Université Chulalongkorn (Bangkok, Thaïlande), a, quant à elle, insisté sur le fait que la croissance économique n'entraîne pas automatiquement l'élimination de la pauvreté. L'expérience de la Thaïlande en est la preuve. En dépit d'un taux de croissance relativement élevé ces dernières années, les problèmes d'exclusion et d'injustice sociale ont toujours la même ampleur que ceux que l'on peut observer au Brésil, ou dans d'autres sociétés aux prises avec les difficultés inhérentes aux politiques d'ajustement structurel. Si les possibilités d'emploi se sont multipliées dans tous les secteurs d'activité, les offres font de plus en plus appel à du personnel qualifié, et l'on importe de plus en plus de main d'oeuvre étrangère dans le pays, dans la mesure où la main d'oeuvre thaïlandaise manque souvent des aptitudes nécessaires pour les postes proposés. Pendant que le gouvernement, de plus en plus conscient de ce problème, réfléchit aux mesures qu'il conviendrait de prendre pour enrayer cette tendance, les réseaux de solidarité communautaires se renforcent au sein même des groupes défavorisés. Ce sont ces réseaux qu'il convient de soutenir. Il faut tirer parti de la transition entre la réflexion et l'action gouvernementale pour faire tomber la méfiance de l'Etat vis-à-vis des réseaux communautaires, et envisager un nouveau partenariat entre la société civile et les gouvernements, qui encouragerait les structures étatiques à déléguer toute une série de fonctions aux institutions communautaires.

Dialogue entre les délégations et les experts

Le représentant des Pays-Bas, reconnaissant la pertinence de la création d'emplois dans la lutte contre la pauvreté, a toutefois jugé plus complexe les problèmes de lutte contre la pauvreté. Il a affirmé que l'un des acquis de Copenhague a été justement de faire une analyse approfondie de la complexité de ces problèmes. Les Pays-Bas ont publié un document, qui fait la lumière sur la réalité sociale du pays. Il ressort que l'on assiste à une perte du potentiel humain qui empêche certaines catégories sociales de faire face aux exigences d'une société complexe. Partant, le gouvernement a esquissé des stratégies

d'intégration sociale et de lutte contre la pauvreté dont la mise en oeuvre se déroule en coopération avec divers groupes sociaux. Pour améliorer cette participation, le gouvernement organise des colloques qui visent l'adoption de mesures devant être mises en oeuvre d'ici à l'an 2000. Le représentant a indiqué que son pays a entrepris une collecte de journées et d'informations sur les origines réelles de la pauvreté.

Le représentant du Swaziland, intervenant sur la question de la création d'emplois, a attiré l'attention sur la question importante des arrêts de travail injustifiés.

Pour sa part, la représentante de la Jamaïque, soulignant l'importance du secteur informel, a souhaité savoir quelle est la contribution réelle de ce secteur à la croissance économique et au développement. Etayant ces propos, la représentante de la Confédération internationale des syndicats libres, s'est demandé s'il convient d'intégrer le secteur informel à l'économie formelle. Le dynamisme de l'économie informelle est, a-t-elle affirmé, un miroir aux alouettes qui permet de perpétuer l'exploitation des travailleurs. Prenant la parole à son tour, la représentante de l'Autriche a souhaité savoir dans quelle mesure le changement social peut bénéficier aux femmes.

Répondant aux diverses questions, l'experte de l'Université Chulalongkorn s'est prononcée en faveur de la promotion du secteur informel. Dans une économie à croissance élevée, a-t-elle souligné, le secteur informel fait partie intégrante de la locomotive de développement. Toutefois, elle a reconnu que du point de vue des salaires, les gouvernements exploitent la situation en reportant, sans cesse, l'intégration de ce secteur à l'économie formelle. A la question de l'Autriche, l'experte a affirmé que les changements sociaux ne bénéficie aux femmes que dans la mesure où ils sont accompagnés de changements politiques.

L'expert de l'OIT pour l'Asie de l'Est a précisé qu'il est des figures économiques qui montrent que la croissance économique ne donne pas forcément lieu à la création d'emplois. L'expert de l'OIT pour l'Amérique latine, citant en exemple le cas des Etats-Unis qui connaît un taux de chômage relativement bas, a pourtant affirmé que les statistiques montrent que

ces vingt dernières années, les revenus de plus 50% de la population ont diminué de manière sensible. Il convient donc de faire la distinction entre l'emploi d'une part, et les revenus crées, d'autre part. Par ailleurs, l'expert a fait observer que la régionalisation de l'économie a des conséquences déterminantes sur le flux des travailleurs ayant relativement peu de compétences. Or les analystes économiques ont tendance à séparer les problèmes économiques. Répondant, d'autre part, à la question posée par la Jamaïque, et a affirmé que le potentiel du secteur informel est énorme et que, dans l'immense majorité des pays du Sud, il constitue le principal créateur d'emplois. Le représentant s'est dit convaincu qu'à long terme, il y aura convergence entre secteur informel et économie formelle.

Le représentant du Département des affaires sociales des Etats-Unis a argué que la pauvreté peut être liée à un problème structurel, au fatalisme des pauvres, eux-mêmes, ou à une éducation peu satisfaisante. Fondant son opinion sur les recherches universitaires, il a indiqué que les stratégies nationales, pour être efficaces, doivent tenir compte de tous ces paramètres. La représentante de la Zambie s'est interrogée

sur la manière de créer une environnement international propice au partenariat. Elle a souligné que le fait que certains pays consacrent 40% de leur recette au paiement du service de la dette a forcément une incidence négative sur la courbe de la pauvreté. La représentante de la République de Corée a souhaité en savoir davantage sur le rapport entre la croissance économique et l'intégration à l'économie mondiale. Il est clair, a-t-elle dit, que les pays qui adoptent des stratégies d'adhésion à l'économie mondiale avancent plus rapidement que ceux qui s'excluent. Quels sont alors les effets réels de la mondialisation du commerce sur la croissance économique des pays en développement.

Le représentant du Soudan a soulevé la question du financement des stratégies nationales. Parlant des institutions financières, il a estimé que ces dernières restent souvent tributaires de la volonté et des politiques de certains gouvernements influents. D'autre part, stigmatisant le rôle accru des sociétés multinationales, il s'est opposé à la tendance qui consiste à réduire le rôle des Etats au profit du secteur privé. Précisant ces observations, le représentant du Pakistan s'est demandé comment intégrer les sociétés multinationales aux stratégies nationales de lutte contre la pauvreté. Il a sollicité des conseils sur la manière de mettre en oeuvre des programmes d'ajustement structurel. La représentante de la Côte d'Ivoire a fait remarquer que le poids de la dette du continent africain mobilise à lui seul 497 milliards de dollars qui correspondent au produit intérieur brut du pays. Comment ces pays peuvent-ils allouer des ressources à la création d'emplois et faire face à la lutte contre la pauvreté, s'est-elle interrogée. Elle a indiqué que son pays consacre au remboursement de sa dette extérieur, dix fois le montant du budget de la santé. Le représentant de la Chine a souhaité que les stratégies de lutte contre la pauvreté tiennent dûment compte du fait que la pauvreté est différente selon qu'elle soit rurale, urbaine, dans un pays développé ou dans un pays en développement.

La représentante de l'organisation non gouvernementale Health Age International a insisté sur la manière dont les médias décrivent trop souvent la pauvreté en la présentant comme un état quasi "criminel". Ne pourrait-on pas plutôt utiliser les médias pour éliminer ces clichés qui continuent à se répandre dans nos sociétés, et à entreprendre une sensibilisation différente des populations à ce problème fondamental de la pauvreté?

Répondant à ces questions, l'expert de l'Institut du tiers monde a fait savoir que son Institut a l'intention de publier, prochainement, une liste des pays qui ont pris des mesures concrètes pour appliquer les recommandations de Copenhague en ce qui concerne l'élimination de la pauvreté. S'agissant du rôle de la presse dans ce domaine, l'expert de la Banque de développement interaméricaine a considéré qu'il est effectivement important de s'assurer le soutien de la presse et d'établir un véritable partenariat avec elle, tout en évitant de tomber dans les travers du sensationnalisme. Il a précisé que la croissance ne peut servir à l'élimination de la pauvreté que si la politique nationale qui la favorise s'accompagne de schémas permettant une vaste redistribution de ses bénéfices. Donnant des détails sur l'expérience thaïlandaise, l'experte de l'Université de Chulalongkorn a notamment expliqué que le Gouvernement de ce pays est en train de mettre au point sa première stratégie intégrée de développement. Différentes stratégies ont été retenues, mais les planificateurs sont

parvenus à la conclusion suivante : il est difficile de mettre en place des actions intégrées qui favorisent à la fois la croissance économique et le développement social. Les hauts fonctionnaires de l'Etat sont encore réticents aux stratégies en la matière. L'expert de l'OIT pour l'Asie de l'est a, quant à lui, insisté sur le fait que la croissance économique des pays était liée à la croissance des marché mondiaux. Si le miracle économique des pays asiatiques n'a pas permis de résoudre les problèmes de pauvreté, c'est en partie en raison d'une croissance économique qui ne s'est pas accompagnée d'une forte croissance de l'emploi.

Déclaration

M. ANSAY, Organisation de la Conférence islamique, a attiré l'attention de la Commission sur un texte, adopté par la Conférence en décembre 1995, qui a défini comme priorité l'élimination de la pauvreté. Ce texte, a expliqué le représentant, exhorte les pays en développement et les pays développés à coordonner leurs efforts. Il s'agit pas seulement de sémantique, a-t-il précisé, mais de la volonté collective de travailler de concert avec la communauté internationale en vue de mettre au point une action de lutte contre la pauvreté. La Conférence a exprimé le voeu de voir des programmes communs qui uniraient ses efforts à ceux des Nations Unies pour endiguer le fléau de la pauvreté. Une approche équilibrée de lutte contre la pauvreté, a-t-il encore précisé, consisterait à définir les priorités nationales et à renforcer les microactivités par le biais d'une aide financière et technique. Les bailleurs de fonds traditionnels qui ne proposent que des programmes à court terme doivent revoir leur politique tant il est vrai que le développement social nécessite des mesures à long terme.

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