CEE/15

L'EAU VICTIME DE L'AGRICULTURE MODERNE

21 mai 1996


Communiqué de Presse
CEE/15


L'EAU VICTIME DE L'AGRICULTURE MODERNE

19960521

De la maladie de la vache folle au saccage des réserves d'eau

Genève, 21 mai -- "La maladie de la vache folle a eu au moins un effet positif, affirme M. K. Bärlund, Directeur de la division de l'environnement de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe (CEE-ONU), elle a poussé le consommateur à se poser des questions sur ce qu'il a dans son assiette. La réponse à cette question a aidé à enterrer l'image du paysan protecteur de la nature, pour la remplacer par un industriel de l'agriculture dont le souci premier est la rentabilité. L'eau qui est la base de cette agriculture en est l'une des premières victimes."

Pour beaucoup de pays de la CEE-ONU, la clé de l'accroissement de la production agricole passe par l'irrigation. Alors qu'en Europe du nord le pourcentage des terres irriguées demeure très faible - à peine 10% - durant les trente dernières années ce pourcentage est passé de 5 à 10% en Europe de l'est, de 10 à 25% en Europe de l'ouest et de 15 à 40% en Europe du sud. Le premier résultat de cette politique d'irrigation est l'abaissement des nappes d'eau souterraines, phénomène qui devient problématique durant les périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes qui affectent certains pays européens. Actuellement par exemple, 13% des prélèvements d'eau vont en France à l'irrigation, 30% au Danemark, 52% au Portugal, 57% en Italie et 64% en Espagne. Encore faudrait-il distinguer entre les diverses régions à l'intérieur même de ces pays. Un autre effet de l'irrigation est la salinisation des terres. En Roumanie par exemple, sur 3.2 millions d'ha irrigués, 200.000 sont actuellement salinisés.

L'intensification de la production agricole provoque non seulement une diminution du volume d'eau disponible mais aussi et surtout une dégradation de sa qualité. Le premier élément à être mis en cause est l'utilisation intensive d'engrais. Durant les 20 dernières années, l'utilisation d'engrais azotés a augmenté en moyenne de 75% en Europe. En France par exemple, elle est passée de 1.4 million de tonnes à 2.5 millions de tonnes soit une augmentation de 78%; en Suisse cette augmentation a été de 89%, au Royaume Uni de 90% et au Portugal de 95%.

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A noter que des expériences ont montré qu'en fonction de la nature des sols, du mode d'application et des conditions météorologiques, entre 10 et 60% de ces engrais ne sont pas absorbés par les récoltes et se retrouvent dans les eaux souterraines. De nombreuses sources ainsi contaminées deviennent impropres à la consommation. Dans certaines régions d'Europe, l'agriculture serait responsable de 80% de la charge en azote de l'eau.

Cette agriculture intensive signifie aussi une utilisation accrue de pesticides. On recense actuellement plus de 1000 types différents de pesticides dont les effets sur l'environnement sont très divers. La consommation d'une année à une autre est aussi fort variable. En effet, si dans la plupart des pays il semble que la consommation en volume de pesticides se soit stabilisée ou ait même décru, il s'avère que la spécificité et la nocivité des produits utilisés ont fortement augmenté. Actuellement le volume par hectare de pesticide utilisé varie énormément d'un pays à un autre. En Suède par exemple, il est inférieur à 1 kg/ha, mais dépasse 20 kg/ha aux Pays Bas. Il a été estimé qu'entre 2 et 4 % de ces pesticides se retrouvent dans les eaux souterraines. En Allemagne, en Norvège, en Suède et aux Etats Unis des taux de pesticides dépassant largement les standards d'eau potable ont été découverts dans certaines eaux de surface et souterraines.

L'élevage, plus particulièrement celui du porc, a connu durant ces 20 dernières années un développement spectaculaire. En France par exemple, le nombre de porcs a augmenté de 22%, en Finlande de 30%, en Pologne de 62%, en Belgique de 100%, en Espagne de 130%, aux Pays Bas de 140% et en Grèce de 200%. En Europe de l'ouest, il y a actuellement en moyenne un porc pour 3.8 habitants et un boeuf pour 4.2 habitants. Pour certains pays, ces chiffres atteignent des niveaux très élevés : en Belgique un porc pour 1.7 habitants, aux Pays Bas un porc par habitant et au Danemark presque 2 porcs par habitant. Cet accroissement de l'élevage a plusieurs effets. Tout d'abord, il faut consacrer une surface de plus en plus grande pour la culture d'aliment pour le bétail. Aux Pays Bas par exemple, cette surface atteint 60% du territoire. Mais il a été estimé que cinq fois cette surface est consacrée de par le monde à nourrir le cheptel néerlandais, essentiellement dans les pays en développement. Plus du tiers de la production mondiale de grain est ainsi destinée à nourrir le bétail.

Par ailleurs, l'élevage produit une grande quantité de fumier et de lisier. Ainsi aux Pays Bas, le volume de ces déchets a plus que doublé durant ces vingt dernières années. Les nitrates venant du lisier sont un des facteurs principaux de la pollution des eaux souterraines. Dans des régions de l'Europe le lisier est responsable de 20 à 40% de la charge en phosphore des eaux de surface. Dans certains pays comme le Danemark le problème atteint une telle proportion que des systèmes de stockage sont à l'étude pour éviter l'infiltration des lisiers en sous sol.

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Dans les pays d'Europe orientale, la situation est sensiblement différente, dans la mesure où du fait de la crise économique, les paysans n'ont pas les moyens de pratiquer cette forme intensive d'agriculture. L'utilisation des engrais et des pesticides y est limitée par les ressources financières disponibles. Cependant, ces nouveaux marchés de l'agriculture européenne offrent des potentialités exceptionnelles pour les entreprises chimiques productrices d'engrais et de pesticides. Il se pourrait bien que l'on voit se développer dans ces pays une forme d'agriculture qui serait désormais prohibée en Europe de l'ouest.

"Il est grand temps de repenser notre système de production agricole, affirme M. K. Bärlund. On ne peut plus continuer à produire n'importe quoi, n'importe comment. Mais cette évolution passe aussi et peut-être avant tout par une meilleure information et éducation du consommateur". Un exemple parmi tant d'autres, poursuit le représentant de la CEE-ONU, pour le consommateur européen la viande de boeuf doit être tendre et celle de veau blanche. Or, un boeuf élevé en prairie a une chair plus ferme et un veau élevé sous sa mère a une viande moins blanche. Résultat, le boeuf nourrit au pré est moins gros et sa viande se vend moins chère, quant au veau nourrit par sa mère dans les pâturages, il trouve difficilement acheteur. Et pourtant cette viande est plus saine et plus goûteuse.

Il faut que le consommateur soit sensibilisé et mieux informé sur la nature de ce qu'il mange mais aussi de la façon dont cela a été produit. Cette information, sous forme de labels, par exemple, justifiera à ses yeux le coût plus élevé d'une agriculture plus saine.

Lors d'un atelier qui doit se tenir sous l'égide de la CEE et de la FAO à Zagreb (Croatie, 20 au 24 mai 1996), les experts de nombreux pays de la région de la CEE vont se réunir afin de définir, comme il leur a été demandé par la Conférence ministérielle de Sofia fin 1995, un code de bonnes pratiques agricoles pour protéger l'eau, les sols et l'environnement en général.

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