MONDIAL D'UNE ACTION PRÉVENTIVE EFFICACE ET TOURNÉE VERS L'AVENIR
Communiqué de Presse
SG/SM/6535
MONDIAL D'UNE ACTION PRÉVENTIVE EFFICACE ET TOURNÉE VERS L'AVENIR
19980504 On lira ci-après le texte de l'allocution que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a prononcée le 23 avril, sur le thème de "L'enjeu de la prévention des conflits", au James A. Baker III Institute for Public Policy de l'Université Rice à Houston (Texas) :Merci Jim [l'ancien Secrétaire d'État américain James A. Baker III] pour ces paroles extrêmement aimables et généreuses. L'un des grands privilèges que j'ai eus, en ma qualité de Secrétaire général, a été de collaborer avec James Baker au sujet de l'un des différends les plus tenaces dont s'occupe l'ONU, le Sahara occidental. Je n'aurais toutefois jamais imaginé que de si grands progrès puissent être réalisés en si peu de temps depuis que Jim est devenu mon Envoyé spécial.
En quelques mois à peine, lors de quatre séries de pourparlers tenus à Lisbonne, à Londres et à Houston, Jim a obtenu l'accord des deux parties le Gouvernement marocain et le Front POLISARIO sur les problèmes en suspens qui empêchaient de mettre en oeuvre le plan de paix des Nations Unies. Ce remarquable pas en avant a revitalisé l'ensemble du processus et redonné à toutes les parties l'espoir de pouvoir bientôt parvenir à un règlement définitif de la question, y compris un référendum sur l'autodétermination du peuple du Sahara occidental. Nous vous sommes tous redevables, Jim. Merci.
J'ai choisi de vous parler aujourd'hui de l'enjeu de la prévention des conflits, car je crois qu'il est au coeur de la mission des Nations Unies durant le siècle prochain.
À une époque où l'on ferme trop souvent les yeux sur les conflits violents, qui sont trop aisément acceptés, et où l'on répugne généralement à regarder l'avenir en face, il incombe à l'Organisation des Nations Unies de devenir le centre mondial de l'action préventive.
Pour l'ONU, il n'y a pas de but plus élevé, d'engagement plus profond ni de plus grande ambition que de prévenir les conflits armés, l'alpha et l'oméga consistant dans ce domaine à protéger la vie humaine et promouvoir le développement humain. Garantir la sécurité de tous constitue, dans son sens le plus large, la mission cardinale de l'Organisation. Une action préventive authentique et durable est le moyen d'accomplir cette mission.
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Dans l'ensemble du monde actuel, et plus particulièrement en Afrique et dans d'autres parties du Sud, les guerres à l'intérieur des États constituent par excellence les conflits modernes. Ces guerres ont de plus en plus pour but essentiel d'annihiler non seulement des armées, mais aussi des civils et des groupes ethniques entiers. Il ne s'agit plus en l'occurrence de protéger des intérêts ou de soutenir des alliés, mais bien de défendre l'humanité elle-même.
Et pourtant, semble-t-il, les leçons de l'histoire ne sont jamais mises à profit. De simples désaccords ne cessent de se transformer en différends, lesquels dégénèrent à leur tour en conflits meurtriers. Personne ne tient compte des signes prémonitoires et n'entend les appels au secours. Ce n'est qu'après les massacres et les destructions que l'on intervient, en payant un coût humain et matériel beaucoup plus élevé et en sauvant un nombre de vies beaucoup plus limité.
Ce n'est que lorsqu'il est trop tard que l'on reconnaît l'utilité de la prévention.
À mon avis, trois raisons principales expliquent l'échec de l'action préventive alors que celle-ci est manifestement possible. La première est le fait qu'une ou plusieurs parties à un conflit répugnent à accepter toute intervention extérieure. La deuxième est le manque de volonté politique au niveau le plus élevé de la communauté internationale. La troisième est l'absence de stratégie intégrée de prévention des conflits au sein du système des Nations Unies et de la communauté internationale.
La volonté politique d'agir est ici le facteur le plus important. Faute d'intervenir lorsque cela est nécessaire, aucune amélioration de la coordination ni aucune détection rapide ne se traduiront par des actes.
Tous les États Membres en situation de conflit doivent reconnaître que, loin d'empiéter sur leur souveraineté, l'alerte rapide et la diplomatie préventive visent au contraire à appuyer et à restaurer l'autorité légitime et l'ordre mondial. Tout doit donc être mis en oeuvre pour assurer une action préventive. Heureusement, la vocation de l'Organisation en matière de prévention est aussi vieille que la Charte elle-même.
Dans chaque mission diplomatique et chaque projet de développement qu'entreprend l'ONU, celle-ci s'attache à mener une action préventive. Au fil des ans, le Secrétaire général a exercé avec succès ses bons offices dans le domaine de la diplomatie préventive. Cette pratique ne date pas d'hier mais les perspectives de progrès ne cessent de s'élargir.
Lors de ma première année en tant que Secrétaire général, j'ai renforcé nos efforts en matière de rétablissement de la paix à Chypre, au Timor oriental, en Afghanistan et dans la région africaine des Grands Lacs, sans parler du Sahara occidental. Il s'agit là de différends de longue date dont
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les racines sont profondes et difficiles à extraire. Nous continuerons à rechercher de nouveaux moyens permettant de rétrécir le fossé dans chaque cas et de promouvoir une paix durable qui puisse assurer la sécurité et la prospérité de toutes les parties.
La stratégie de prévention opérationnelle des Nations Unies fait appel à quatre types d'activités essentielles : l'alerte rapide, la diplomatie préventive, le déploiement préventif et l'action humanitaire avancée. La stratégie de prévention structurelle des Nations Unies implique trois autres domaines d'action : le désarmement préventif, le développement et la consolidation de la paix.
Tous ces efforts sont guidés et inspirés par la promotion des droits de l'homme, la démocratisation et la bonne gouvernance, qui sont autant de fondements de la paix. D'ores et déjà, le déploiement préventif a exercé un effet remarquable dans la région explosive des Balkans. Il ne s'agit certes là que d'un simple "cordon de police" mais la Force de déploiement préventif des Nations Unies (FORDEPRENU) montre, par le rôle qu'elle a joué jusqu'ici dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, que le déploiement préventif, doté d'un mandat et d'un appui adéquats, peut décider de la guerre ou de la paix.
Le désarmement préventif est une autre mesure dont l'importance doit être reconnue et renforcée. L'ONU a désarmé des combattants lors de diverses opérations de la paix, allant du Nicaragua au Mozambique.
Une action urgente est également indispensable pour endiguer les mouvements illicites d'armes classiques. En particulier, il faudrait s'attacher davantage à arrêter la prolifération des armes légères et de petit calibre qui alimentent la plupart des guerres actuelles. Dans le cadre de mon programme de réformes, j'ai donc créé le Département des affaires de désarmement, qui est chargé de diverses tâches nouvelles. Le "microdésarmement" figurera au premier rang de ses préoccupations et il faudra collaborer avec les gouvernements afin de mettre l'accent sur le trafic de ces armes.
Par ailleurs, détruire les armes d'hier fera qu'elles ne pourront plus être utilisées demain. C'est ce que l'ONU s'est efforcée de faire en Iraq, où les inspections de la Commission spéciale des Nations Unies ont permis de détruire un nombre d'armes de destruction massive plus élevé que celui qui a été enregistré durant toute la guerre du golfe Persique.
C'est pour appuyer la mission de la Commission spéciale des Nations Unies que je me suis rendu à Bagdad afin d'obtenir de l'Iraq qu'il se conforme aux exigences de la communauté internationale. Je suis allé à Bagdad, dûment autorisé par tous les membres du Conseil de sécurité, pour rechercher une solution pacifique à la crise. Celle-ci a été évitée, du moins pour le moment.
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Le mandat du Conseil de sécurité a été réaffirmé. Les droits d'accès des inspecteurs des Nations Unies ont non seulement été rétablis, mais aussi élargis de manière à inclure tous les sites quels qu'ils soient. L'autorité du Président exécutif de la Commission spéciale des Nations Unies a été reconnue et renforcée. L'accord auquel nous sommes parvenus n'a pour seul et unique but que de veiller à ce que l'Iraq s'acquitte de toutes ses obligations. Rien de plus ni rien de moins ne permettra d'achever le processus de désarmement prescrit par l'ONU, accélérant ainsi la levée des sanctions conformément aux résolutions du Conseil de sécurité.
L'accord conclu à Bagdad n'a été ni une "victoire" ni une "défaite" pour quiconque, qu'il s'agisse d'une personne, d'un pays ou d'un groupe de pays. Il est manifeste que l'Organisation des Nations Unies et la communauté mondiale n'ont rien perdu, n'ont rien cédé et n'ont rien abandonné d'essentiel. Toutefois, du fait qu'a été empêchée, au moins pour le moment, la reprise des hostilités dans le golfe Persique, ce sont la paix, la raison et le règlement des conflits par la voie diplomatique qui ont enregistré une victoire.
Il a toutefois été clairement montré que, pour réussir, la diplomatie doit être appuyée aussi bien par la force que par l'équité.
L'accord avec l'Iraq a également rappelé à l'ensemble du monde pourquoi l'Organisation des Nations Unies a été créée en premier lieu : pour prévenir l'éclatement de conflits inutiles alors que la volonté de la communauté mondiale peut être satisfaite par le diplomatie; pour chercher et trouver des solutions internationales aux problèmes internationaux; pour assurer le respect du droit et des accords internationaux par une partie récalcitrante, sans jamais porter atteinte à la dignité de cette dernière ou à sa volonté de coopérer; et pour veiller, en l'occurrence, par des inspections sur place et des négociations, à garantir la destruction d'armes de destruction massives, ce que ne sauraient accomplir des bombardements aériens.
Si cet accord est pleinement appliqué et aboutit à terme à une nouvelle ère dans le golfe Persique, si cette action diplomatique, appuyée par l'équité, la fermeté et la force, subit avec succès l'épreuve du temps, nous disposerons d'un précédent durable et inappréciable pour l'Organisation des Nations Unies et la communauté mondiale.
L'accord a enfin montré que, pour être durable, l'action préventive doit être appuyée par toutes les parties et menée à bien par les peuples et les parties eux-mêmes. Leur rôle et leur responsabilité sont fondamentaux.
La prévention à long terme peut néanmoins être facilitée par de nombreux éléments de la communauté internationale. Il y a des cas où l'ONU, qui jouit d'une légitimité universelle sans pareille, doit prendre les devants.
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D'autres cas se présenteront où, en raison de son expérience historique et de sa proximité géographique, une organisation régionale ou sous-régionale sera le mieux en mesure de prévenir des actes de violence meurtrière. Quoi qu'il en soit, l'Organisation des Nations Unies est prête à appuyer ces efforts et à coordonner les programmes d'aide multilatéraux.
Les politiques en matière de prévention que j'ai indiquées plus haut l'alerte rapide, la diplomatie, le déploiement et le désarmement préventifs ne réussiront que si l'on s'attaque aux causes profondes du conflit avec la même volonté et le même discernement. Ces causes sont souvent d'ordre économique et social. La pauvreté, le sous-développement endémique et l'inexistence ou la faiblesse des institutions font obstacle au dialogue et incitent à la violence.
Un long processus de développement économique durable, mené dans le calme et fondé sur le respect des droits de l'homme et des gouvernements légitimes, est essentiel pour prévenir les conflits.
L'ONU du XXIe siècle doit devenir le centre mondial d'une action préventive efficace et tournée vers l'avenir. Je consacrerai tous mes efforts à cet objectif et suis heureux de constater qu'un certain nombre d'États Membres ont ouvert la voie. Les pays donateurs, non moins que les pays déchirés par des conflits, ont reconnu ce qu'il en coûtait de négliger la prévention et combien il était avantageux de lui donner la première place.
Selon un proverbe chinois, il est difficile de trouver de l'argent pour des médicaments, mais facile d'en trouver pour un cercueil. Les conflits ethniques et intérieurs aux États qui se sont déroulés durant les 10 dernières années n'ont fait que souligner l'actualité de ce proverbe.
N'avons-nous pas vu suffisamment de cercueils du Rwanda à la Bosnie et au Cambodge pour payer le prix de la prévention? N'avons-nous pas appris assez durement et assez souvent qu'il est possible, si nous le voulons, de prévenir des conflits meurtriers? N'avons-nous pas entendu le général Roméo Dallaire dire que 5 000 soldats de la paix auraient pu sauver 500 000 vies au Rwanda? Nous n'avons plus d'excuses. Nous n'avons plus d'excuses pour l'inaction ni d'alibi pour la négligence coupable. Nous savons souvent même avant les victimes d'un conflit le sort qui les attend. Nous le savons car notre monde ne fait maintenant qu'un aussi bien dans la douleur que dans la prospérité. C'est maintenant qu'il faut cueillir les fruits de l'action préventive. Les enjeux, les possibilités et les besoins sont trop nombreux.
Les fondateurs de l'Organisation des Nations Unies ont rédigé notre Charte en ayant une vision réaliste de la nature humaine. Ils ont vu de leurs propres yeux que l'humanité pouvait mener une guerre d'une brutalité et d'une cruauté sans précédent. Ils ont été avant tout témoins de l'échec de la prévention, alors même que celle-ci était encore possible et que tout indiquait qu'une guerre allait éclater.
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À l'aube d'un siècle nouveau, nous devons reprendre à notre compte la conviction profonde de nos fondateurs que la prévention est possible et que l'humanité peut tirer les leçons de son passé.
Pour ma part, j'envisage l'ONU comme une grande organisation qui mette l'action préventive au service de la sécurité universelle. Une prévention efficace permettra de parvenir à la sécurité de l'être humain sous tous ses aspects économiques, politiques et sociaux.
Les générations à venir sauront ainsi que nous avons eu la volonté de leur épargner le fléau de la guerre.
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