En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/22005

Au Conseil de sécurité, le Secrétaire général souligne l’immense contribution des femmes à la paix et à la sécurité dans un monde « au bord du précipice »

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors du débat annuel du Conseil de sécurité sur les femmes et la paix et la sécurité, à New York, aujourd’hui:

Je vous remercie de m’avoir invité à présenter au Conseil un exposé sur cette question vitale, ainsi que de nous avoir rappelé l’importante contribution de Bertha Lutz à la Charte des Nations Unies et aux droits des femmes.

Nombre d’entre vous ont visité l’exposition présentée à l’extérieur du bâtiment de l’ONU. Vous avez vu les images de ces femmes qui incarnent le programme dont nous discutons aujourd’hui.  Des femmes qui luttent contre l’injustice, bâtissent la paix et prennent la place qui leur revient à la table des négociations.  C’est là un aperçu de l’immense contribution des femmes à la paix et à la sécurité dans le monde.  C’est aussi un témoignage du pouvoir de leadership des femmes.

Le monde doit en prendre note.  Et il doit s’en inspirer.  Car aujourd’hui, nous sommes au bord du précipice.  Les conflits font rage.  Les tensions montent.  Les coups d’État éclatent.  L’autoritarisme est en marche.  La menace nucléaire prend de l’ampleur.  Le chaos climatique exacerbe les problèmes de sécurité.  Et la méfiance empoisonne les affaires mondiales et affaiblit notre capacité à réagir.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes quant à l’état désastreux du monde dans lequel nous vivons: les dépenses militaires ont atteint un niveau record; l’ampleur des déplacements dus à la violence, aux conflits et aux persécutions atteint un niveau record; et le nombre de femmes et de filles vivant dans des pays menacés par les combats a augmenté de cinquante pour cent par rapport à 2017.

Là où les guerres font rage, les femmes souffrent.  Là où règnent l’autoritarisme et l’insécurité, les droits des femmes et des filles sont menacés.

Nous le voyons partout dans le monde: au Soudan et en Haïti, où les femmes et les jeunes filles sont brutalisées et terrorisées par la violence sexuelle; en Afghanistan, où le déni des droits fondamentaux des femmes anéantit des vies et prive les populations d’une aide vitale; et en Ukraine, où les femmes et les jeunes filles qui fuient l’invasion russe risquent d’être la proie de trafiquants et d’agresseurs.

Au Moyen-Orient, où les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par la violence, les effusions de sang et les déplacements forcés.  Des femmes et des jeunes filles font partie des nombreuses victimes des atrocités brutales commises par le Hamas.  Et plus de la moitié des victimes des bombardements incessants sur Gaza sont des femmes et des enfants.  Des dizaines de milliers de femmes enceintes essaient désespérément d’accéder à des soins de santé essentiels.

Face à ce sombre tableau, il est plus urgent que jamais de garantir la participation pleine et véritable des femmes à la paix et à la sécurité.  Vingt-trois ans après l’adoption de la résolution 1325 par le Conseil, la participation des femmes devrait être la norme, et non une préoccupation secondaire.

Or, tel n’est pas le cas.  Dans le monde entier, les femmes sont à la tête de l’action menée en faveur de la paix, de la justice et des droits.  Pourtant, bien trop d’organisations de femmes peinent à financer le travail essentiel qu’elles mènent, alors que les dépenses militaires s’envolent.  Bien trop d’auteurs de violences sexuelles demeurent en liberté. Et les femmes sont laissées de côté dans bien trop de processus de paix.

En effet, sur les 18 accords de paix conclus l’année dernière, un seul a été signé par une représentante d’un groupe ou d’une organisation de femmes.  Malgré tous nos efforts, on ne comptait que 16 pour cent de négociatrices et de représentantes dans les processus de paix dirigés ou codirigés par l’ONU.

Notre monde et notre culture sont dominés par les hommes.  Le patriarcat qui existe depuis des siècles constitue un obstacle majeur à l’égalité des genres et, par conséquent, à une culture de paix.  Partout dans le monde, les droits des femmes sont attaqués, de même que les personnes qui les défendent.  Au moins sept femmes qui ont fait un exposé au Conseil l’année dernière ont déclaré avoir subi des représailles.

La violence à l’égard des femmes –en ligne comme hors ligne– est endémique.  Elle constitue un obstacle majeur et un frein à la participation à la vie civile et politique.  Au rythme actuel, il faudra attendre encore près d’un demi-siècle avant que les femmes ne soient équitablement représentées dans les parlements nationaux.

La résolution de ce problème n’est pas une faveur faite aux femmes.  C’est une question de droits, de justice et de pragmatisme.  Le soutien aux femmes ne peut être que bénéfique pour le monde entier.  Nous savons que les processus auxquels les femmes sont associées conduisent à une paix plus pérenne.  Nous savons que les parlements où les femmes sont autant représentées que les hommes tendent à consacrer davantage de moyens à la santé, à l’éducation et à la protection sociale et à réduire la corruption.

Il y a des lueurs d’espoir.  On trouve dans le rapport de cette année des bonnes pratiques et des exemples de réussite dans la mise en œuvre des priorités concernant les femmes et la paix et la sécurité.  En Colombie, on observe une parité des genres dans les négociations de paix.  En Iraq, en République centrafricaine et en Syrie, des auteurs de violences sexuelles sont traduits en justice.

L’ONU est déterminée à collaborer avec les pays pour faire progresser les questions relatives aux femmes et à la paix et à la sécurité.  Dans le cadre de nos opérations, nous venons en aide aux femmes, mettons en lumière le travail essentiel qu’elles accomplissent et faisons résonner leur voix.  Le Fonds des Nations Unies pour les femmes, la paix et l’action humanitaire a contribué à aider plus d’un millier d’organisations locales de femmes depuis sa création en 2016. Nous avons également progressé pour ce qui est de la représentation équilibrée des genres dans les missions de maintien de la paix.  Il n’en reste pas moins que le monde doit de toute urgence combler le fossé qui existe entre les discours et la réalité en ce qui concerne la question des femmes et de la paix et de la sécurité.

Le débat que nous consacrons chaque année à cette question est souvent celui qui compte le plus grand nombre d’interventions.  Mais les progrès tardent à se concrétiser, stagnent, voire reculent.  Il nous appartient dès maintenant de mettre en œuvre l’ensemble des priorités concernant les femmes et la paix et la sécurité.  Parce que les femmes en ont assez d’être exclues des décisions qui façonnent leur vie; parce qu’elles en ont assez que leur travail ne soit pas reconnu; parce qu’elles en ont assez des menaces et de la violence; parce qu’elles en ont assez de promesses non tenues.  Les femmes exigent des mesures concrètes qui permettent d’aller réellement de l’avant.

Premièrement, il faut prendre des mesures pour que les femmes participent aux pourparlers de paix.  J’encourage les gouvernements qui contribuent à la médiation des conflits à fixer des objectifs ambitieux en ce qui concerne les femmes dans les équipes de négociation.

Deuxièmement, il faut mettre de l’argent sur la table.  Si nous voulons être solidaires des actrices du changement, si nous voulons soutenir les femmes qui endurent des conflits, si nous voulons lever les obstacles à la participation et si nous voulons que les organisations de femmes obtiennent des résultats, nous ne devons pas lésiner sur les moyens. Or, d’après les derniers chiffres, l’aide financière allouée à l’égalité des genres dans les situations de conflit est en déclin.  J’exhorte les pays qui octroient une aide publique au développement à en consacrer quinze pour cent à l’égalité des genres.  De plus, quinze pour cent des fonds destinés aux activités de médiation doivent servir à promouvoir la participation des femmes.

J’engage également ces pays à allouer -au strict minimum- un pour cent de l’aide publique au développement à l’assistance directe aux organisations de femmes qui se mobilisent pour la paix.  La campagne « Invest-in-Women » (Investir dans les femmes) du Fonds pour les femmes, la paix et l’action humanitaire vise à collecter 300 millions de dollars d’ici à la fin de 2025.  Je vous invite à consacrer toute votre énergie à cet effort.

Troisièmement, nous devons prendre des mesures concrètes pour que les femmes participent pleinement, effectivement et sur un pied d’égalité à tous les niveaux de la prise de décisions concernant la paix et la sécurité, ainsi qu’à tous les échelons de la vie politique et civile.  Cela suppose de promouvoir une représentation équitable des femmes au sein des administrations nationales et locales et des parlements.

J’ai été premier ministre et chef d’un parti politique.  Je sais que les quotas, les objectifs et les mesures incitatives fonctionnent.  Il nous faut une législation solide et complète pour lutter contre les violences à l’égard des femmes -à la fois en ligne et hors ligne- et pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient leurs auteurs.

Il nous faut aussi tirer le meilleur parti du Sommet de l’avenir, qui se tiendra l’année prochaine, pour faire avancer la question des femmes, de la paix et de la sécurité.  En effet, le Sommet est l’occasion de réformer et de redynamiser le multilatéralisme pour qu’il permette de relever les défis d’aujourd’hui.  En prévision du Sommet, la note d’orientation sur le Nouvel Agenda pour la paix que j’ai établie met le leadership et la participation des femmes au centre de la prise de décisions.  Je vous invite à examiner attentivement les propositions qui y sont faites.

Dans un monde en plein chaos, les minutes sont comptées avant le vingt‑cinquième anniversaire de la résolution 1325.  Un quart de siècle suffit amplement pour réaliser des progrès.  Il faut traduire l’énergie, l’engagement et l’attention de cette salle en changements sur le terrain et en argent sur la table.  Ce n’est plus le moment d’hésiter, de tergiverser ou d’attendre.

À compter d’aujourd’hui, nous devons soutenir les actrices du changement dont nous exposons fièrement les portraits à l’extérieur de ce bâtiment.  L’état du monde l’exige.  Et les femmes et les filles n’en attendent pas moins, et ce à juste titre.

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.