Conseil de sécurité: en Iraq, une classe politique prise dans une impasse « totalement intenable », selon la Chef de la MANUI
Il semble que la vie politique en Iraq se répète, prise dans une « boucle manifestement incessante de jeux à somme nulle », aux dépens des besoins et des attentes de son peuple, a déclaré, cet après-midi, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour ce pays, Mme Jeanine Hennis-Plasschaert, qui n’a pu que se rendre à l’évidence: sept mois après les dernières élections, la formation d’un gouvernement se fait toujours attendre, une impasse qu’elle a qualifiée de « totalement intenable ».
Au lieu de se livrer à des « batailles de pouvoir » dépassées, la classe politique iraquienne ferait mieux, selon elle, de « se retrousser les manches » pour promouvoir la longue liste des priorités nationales en souffrance. Tout en notant que les dirigeants politiques souscrivent à la notion de dialogue ou au principe d’un autre cycle de négociations, elle a relevé que la nécessaire volonté de compromis est « douloureusement absente », en relayant le sentiment des Iraquiens ordinaires pour qui l’intérêt national est sacrifié à des considérations « étroites » relatives au contrôle des ressources et aux luttes de pouvoir.
Un constat que n’a pas renié la Présidente de l’Iraqi Al-Amal Association, Mme Hanaa Edwar, une défenseuse des droits humains qui s’est lancée dans une diatribe contre « un système politique fondé sur des quotas sectaires et ethniques, sans aucun fondement constitutionnel ou juridique, contrôlé par des blocs politiques dénués de vision nationale ». Les ressources et budgets de l’État ont été pillés pour répondre aux intérêts « étroits et personnels » de factions, a-t-elle déploré, en affirmant que la corruption a pénétré le tissu même des institutions et la souveraineté du pays a été violée par des interventions militaires et sécuritaires étrangères continues.
Le représentant de l’Iraq a mis, pour sa part, l’accent sur les efforts actuellement déployés pour former un nouveau gouvernement qui réponde aux aspirations de la population, en rejetant l’utilisation du territoire de son pays par des forces externes pour mener à bien des règlements de comptes politiques, faisant écho aux propos de la Représentante spéciale, pour qui l’Iraq ne saurait être « l’arrière-cour de la région ».
La plupart des membres du Conseil se sont alarmés de l’attaque perpétrée au Kurdistan le 13 mars – et revendiquée par le Corps des Gardiens de la révolution islamique iranienne –, à l’aide d’« au moins 12 missiles balistiques » tirés sur des secteurs résidentiels civils situés « aux alentours du nouveau Consulat des États-Unis à Erbil », faisant des dégâts matériels et « blessant légèrement » un civil, précise le rapport du Secrétaire général, que Mme Hennis-Plasschaert était venue présenter.
La Représentante spéciale a également rejeté les allégations des « Gardiens de la révolution », qui auraient visé un « centre stratégique du complot et des actes pervers sionistes » à Erbil. Et à ce nouveau « chapitre inquiétant », viennent s’ajouter les bombardements turcs et les tirs de roquette effectués par des acteurs iraqiens non étatiques, y compris contre une raffinerie pétrolière d’Erbil il y a environ deux semaines. La « messagerie par roquettes » et la « diplomatie des missiles » peuvent avoir des conséquences potentiellement dévastatrices dans un contexte postélectoral sous très haute tension, a mis en garde la Chef de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI).
Cet incident notable n’a pas été le seul à susciter les préoccupations des membres du Conseil, qui ont unanimement dénoncé les attaques asymétriques que continue de commettre Daech, principalement dans les provinces d’Anbar, de Bagdad, Babel, Diyala, Kirkouk, Ninive et Salaheddine. Du 24 février au 2 avril 2022, 69 attaques, visant principalement les forces de sécurité, lui ont été attribuées , précise le rapport, le représentant iraquien assurant que les forces de sécurité nationales se sont lancées dans une campagne de lutte antiterroriste de grande envergure, en réponse à l’activité de l’organisation terroriste.
La situation dans le district de Sinjar, foyer historique de la communauté et culture yézidie, a également été évoquée abondamment par les membres du Conseil, notamment par l’Irlande et le Mexique, qui a plaidé pour une meilleure coordination entre Bagdad et Erbil, en vue de mettre fin à la violence et promouvoir un renouveau social et économique dans cette région. La Représentante spéciale a expliqué que la mise en œuvre de l’accord de Sinjar datant d’octobre 2020 avait subi un coup d’arrêt en raison d’une discorde sur la sélection d’un nouveau maire indépendant et les fonds pour financer une nouvelle force de sécurité locale, « peut-être en raison d’ingérence dans des procédures de recrutement peu claires ».
Dans ce contexte où l’enlisement politique et la détérioration de la crise sécuritaire se renforcent mutuellement, la Représentante spéciale a attiré l’attention sur un autre phénomène, à savoir la vague récente de tempêtes massives de poussière et de sable qui se sont abattues sur l’Iraq, dépassant de loin les précédentes. Non seulement, elles obscurcissent le ciel, mais elles poussent les populations à se mettre à l’abri, semant sécheresse, maladie et mort sur leur passage. « En d’autres termes: l’inaction climatique continue, ici aussi, d’avoir un coût énorme », a-t-elle observé.
Une remarque qui a suscité les interrogations du Brésil, qui s’est demandé quelles preuves scientifiques peuvent bien accréditer l’hypothèse selon laquelle les tempêtes de sable sont provoqués par les changements climatiques et ne sont pas le résultat d’un phénomène météorologique isolé. « Comment pouvez-vous prétendre qu’il y aura de plus en plus de tempêtes de sable? » a lancé le délégué brésilien à Mme Hennis-Plasschaert, qui l’a invitée à se rendre à Bagdad auprès du ministre compétent sur la question pour y obtenir toutes les données relatives aux liens entre changements climatiques et catastrophes naturelles.
LA SITUATION EN IRAQ (MANUI) S/2022/366 – S/2022/368
Déclarations
Mme JEANINE HENNIS-PLASSCHAERT, Représentante spéciale du Secrétaire général pour l’Iraq, a déclaré que la vie politique iraqienne se répète, prise dans une «boucle manifestement incessante de jeux à somme nulle », avant de faire le point sur la récente vague de tempêtes massives de poussière et de sable qui s’est abattue sur le pays. Celles-ci ne sont pas inhabituelles, mais dépassent de loin les précédents, obscurcissant le ciel, poussant les populations à se mettre à l’abri, semant la maladie et la mort. En d’autres termes: l’inaction climatique continue, ici aussi, d’avoir un coût énorme, a observé la haute fonctionnaire qui a prévenu que la fréquence de ces tempêtes augmentera.
Revenant à la vie politique du pays, elle a rappelé que les Iraqiens attendent toujours une classe politique qui, au lieu de se contenter de batailles de pouvoir périmées, retroussera ses manches pour promouvoir la longue liste des priorités nationales en suspens. Elle a rappelé que des élections nationales ont eu lieu il y a plus de sept mois, et que la formation d’un gouvernement se fait toujours attendre. Selon elle, les dirigeants politiques souscrivent à la notion de dialogue ou au principe d’un autre cycle de négociations, mais la nécessaire volonté de compromis est « douloureusement absente ». L’intérêt national est, encore une fois, relégué au second plan par des considérations étroites relatives au contrôle des ressources et des luttes de pouvoir, a-t-elle déploré.
Il est donc grand temps de braquer à nouveau les projecteurs sur le peuple Iraqien, et sur un programme d’action qui prévoit la prestation de services adéquats pour tous les citoyens; la fin de la corruption généralisée, du factionnalisme et du pillage des institutions étatiques; et la mise en œuvre de réformes désespérément nécessaires. Elle a également plaidé pour une diversification de l’économie; une gouvernance prévisible en lieu et place de la gestion de crise permanente; la fin de l’impunité, et la neutralisation des acteurs armés non étatiques, ce qui passe par la nécessaire réaffirmation de l’autorité de l’État.
S’agissant des relations entre Bagdad et Erbil, a-t-elle poursuivi, le « triste schéma » des négociations ponctuelles continue de prévaloir, au détriment d’un mécanisme institutionnalisé et prévisible pour le règlement global, holistique et durable de toutes les questions en suspens. Un esprit de partenariat et de coopération doit prévaloir, y compris en ce qui concerne la récente décision de la Cour suprême fédérale sur la loi du Gouvernement de la région du Kurdistan sur le pétrole et le gaz. Mme Hennis-Plasschaert a constaté que les événements du passé ont sérieusement érodé la confiance mutuelle et a souligné la nécessité de se concentrer sur des solutions qui représentent les intérêts de tous les peuples vivant dans la région du Kurdistan - que ce soit à Erbil, Dohuk ou Sulaymānīyah. Et avec les élections prévues dans la région du Kurdistan le 1er octobre de cette année, il est de la plus haute importance d’harmoniser les règles électorales pour permettre à tous les acteurs politiques d’avoir accès à l’égalité des chances, a-t-elle insisté. « Cela vaut aussi pour l’ensemble de l’Iraq: que nous l’aimions ou pas, un front intérieur faible ne crée qu’un environnement propice aux interférences externes continues ».
Poursuivant, la Représentante spéciale a indiqué que la revendication par le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) du lancement, le 13 mars, des tirs de missiles balistiques à courte portée, a ouvert un autre chapitre inquiétant, notant qu’aucune preuve des allégations selon lesquelles le lieu pris pour cible à Erbil était « le centre stratégique du complot et des actes pervers des sionistes » n’a été trouvée. Bien que les deux parties soient actuellement engagées dans un dialogue et ne souhaitent pas aggraver le problème, l’Iraq rejette à juste titre l’idée qu’il puisse être traité comme « l’arrière-cour de la région », avec des violations systématiques de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. Les bombardements turcs et iraniens dans le Nord en sont un autre exemple. Elle s’est également alarmé des tirs de roquette lancés par des acteurs armés Iraqiens opérant en dehors du contrôle de l’État, y compris sur une raffinerie de pétrole à Erbil il y a environ deux semaines. Ces attaques visent à saper la sécurité et la stabilité de l’Iraq dans un environnement postélectoral déjà extrêmement instable et politiquement chargé, a-t-elle alerté. Le fait est que la « messagerie par roquettes » et la « diplomatie des missiles » peuvent avoir des conséquences potentiellement dévastatrices, a signalé Mme Hennis-Plasschaert.
Passant à la situation dans le Sinjar, elle a déploré la discorde portant sur les dispositifs sécuritaires, les prestations de service public et une administration unifiée. Elle a rappelé que l’accord de Sinjar, signé par Bagdad et Erbil en octobre 2020, a été perçu par beaucoup comme une lueur d’espoir. Mais à ce jour, il n’y a pas d’entente sur la sélection d’un nouveau maire indépendant et les fonds pour une nouvelle force de sécurité locale restent bloqués, peut-être en raison d’ingérence dans des procédures de recrutement « peu claires ». Outre l’existence de divisions importantes et la fragmentation des communautés locales, elle a jugé important de noter que Sinjar s’est de plus en plus transformé en une arène pour les perturbateurs externes et nationaux. Aussi Bagdad et Erbil doivent assumer leurs responsabilités et travailler de toute urgence ensemble pour améliorer la vie des populations et promouvoir le retour volontaire et digne des personnes déplacées dans leurs foyers.
Pour ce qui est de la question des ressortissants koweïtiens et de pays tiers disparus et des biens koweïtiens disparus, y compris les archives nationales, la Représentante spéciale a indiqué que ces derniers mois, le Ministère iraqien de la défense a intensifié ses efforts pour atteindre de nouveaux témoins et qu’au moins deux nouveaux témoins potentiels se sont présentés au cours de cette période. Cela démontre que redoubler d’efforts pour obtenir de nouvelles informations sur les témoins et insister sur l’acquisition d’analyses d’images satellites des États Membres concernés sont des étapes essentielles pour clore ce dossier crucial et sensible, a conclu Mme Hennis-Plasschaert.
Mme HANAA EDWAR, Présidente de l’Iraqi Al-Amal Association, a expliqué qu’elle œuvrait sans relâche depuis 2003 à reconstruire la conscience sociale sur les principes des droits humains et de l’égalité de genre. Son organisation, a-t-elle précisé, a ainsi fait progresser la reconnaissance des droits parmi les jeunes femmes et hommes, les minorités et les communautés vulnérables, des succès qui ont été reflétés par les manifestations pacifiques en cours depuis 2011, lesquelles ont atteint leur apogée lors du soulèvement d’octobre 2019 à 2020.
Aujourd’hui cependant, après presque 20 ans, les indicateurs montrent un déclin dramatique des questions économiques, sociales, culturelles, sanitaires et environnementales en Iraq. « Tout cela sous l’égide d’un système politique fondé sur des quotas sectaires et ethniques, sans aucun fondement constitutionnel ou juridique, contrôlé par des blocs politiques qui manquent de vision nationale pour diriger le pays », a-t-elle dénoncé. En outre, il existe selon elle un manque de confiance entre les partis, les autorités dirigeantes et les institutions elles-mêmes. Les ressources et les budgets de l’État ont été pillés pour satisfaire les intérêts « étroits et personnels » des factions, a encore accusé la militante, pour qui la corruption a pénétré les institutions de l’État et la souveraineté du pays a été violée par des interventions militaires et sécuritaires étrangères continues.
En Iraq, a poursuivi l’intervenante, l’État de droit a été remplacé par la prolifération des armes aux mains des tribus et des groupes armés, sur fond d’impunité, et les citoyens ont recours aux négociations tribales pour résoudre leurs différends plutôt qu’aux tribunaux. Elle a décrié la politisation du système judiciaire, qui se traduit par des jugements sévères à l’encontre des défenseurs des droits humains, des journalistes et des manifestants pacifiques sur la base d’accusations malveillantes, allant parfois jusqu’à la peine de mort. En outre, aucune enquête n’a été publiée au sujet des assassinats organisés et les attaques violentes dont ils ont fait l’objet et qui ont été attribuées à des « groupes armés inconnus ». Le sort de nombreux militants et journalistes détenus et enlevés reste inconnu, sans parler des milliers de personnes disparues de force, pour lesquelles le système judiciaire n’a pris aucune mesure concernant leur cas ou rendu justice à leurs familles, pendant que des criminels sont condamnés à des peines légères, voire graciés.
La crise de défiance du peuple à l’égard de la classe politique dirigeante, des autorités et des institutions publiques s’est approfondie. Même lors des élections d’octobre 2021, le taux de participation n’a pas dépassé 35% selon les estimations les plus généreuses. Face à cette réalité, la réforme et le changement sont devenus une nécessité urgente, a plaidé Mme Edwar, qui en a appelé à la communauté internationale pour qu’elle fasse pression, « avant qu’il ne soit trop tard », sur les autorités iraqiennes et les acteurs politiques pour qu’ils travaillent sérieusement à mettre fin à cette impasse et aux divisions entre eux. « Il est également important d’inclure les organisations de la société civile dans une telle initiative afin d’activer leur rôle dans la défense des droits de la personne, des libertés publiques et de la souveraineté de la loi, et de demander la fin de l’impunité et la promotion de la coexistence pacifique, de la transparence, de la responsabilité, de la bonne gouvernance et du développement durable », a-t-elle insisté.
M. MOHAMED ISSA ABUSHAHAB (Émirats arabes unis) a dit attendre avec intérêt la formation d’un nouveau gouvernement iraquien et l’a invité à faire fond sur les avancées d’ores et déjà enregistrées. Il l’a aussi encouragé à poursuivre le dialogue de qualité qui s’est noué entre l’Iraq et les pays voisins, comme l’a montré le sommet d’Aqaba en mars dernier, au cours duquel les questions régionales et l’atténuation des conséquences de la crise mondiale ont été abordées. Au titre des défis qui demeurent, il a cité les attaques de Daech, au nombre de 69 sur la période couverte par le rapport à l’examen. Il a condamné les récentes attaques iraniennes, en dénonçant toute ingérence dans les affaires intérieures de l’Iraq, et appelé au respect des principes du droit international. Ces attaques risquent de saper la paix et la sécurité régionales, a-t-il alerté. La population iraquienne continue d’avoir besoin de la communauté internationale, a conclu le délégué, en détaillant l’appui fourni par son pays à l’Iraq, notamment la reconstruction de moquées et d’églises à Mossoul.
M. BING DAI (Chine), qui a exhorté les parties iraquiennes à accélérer la formation d’un gouvernement, a demandé à la communauté internationale d’aider l’Iraq à poursuivre la lutte contre Daech et à consolider les acquis dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Il a plaidé pour un rapatriement accéléré des combattants étrangers en Iraq, avant de saluer le fait que l’Iraq ait pu établir des relations de bon voisinage avec les pays de la région. Face aux difficultés actuelles dues aux problèmes économiques et à l’impact des changements climatiques, la communauté internationale, a insisté le représentant, doit aider le pays à amorcer sa transition vers l’énergie propre, avec l’aide de l’équipe de pays des Nations Unies. Quant à la Chine, a-t-il conclu, elle se réjouit de la présence de ses entreprises en Iraq et de la contribution qu’elle a pu apporter à la lutte contre la pandémie en Iraq.
M. FERGUS JOHN ECKERSLEY (Royaume-Uni) a condamné l’attaque au missile balistique iranien du 13 mars 2022 contre Erbil avant de réitérer son soutien à la sécurité et à la stabilité de l’État irakien. Il a salué les efforts du Gouvernement irakien pour atténuer les pires effets des changements climatiques, y compris la création récente d’un Comité chargé de superviser la préparation des stratégies. Il a remercié les agences des Nations Unies pour leur soutien et exhorté les pays de la région à travailler avec le Gouvernement irakien sur l’accès à l’eau.
Le représentant a jugé urgente une réforme économique pour que l’Iraq soit capable de fournir des moyens de subsistance et des services essentiels à la prochaine génération d’Iraquiens. Un nouveau gouvernement pourrait accélérer et mettre en œuvre le programme ambitieux de réforme et donner la priorité à l’amélioration du climat des affaires. Le représentant s’est inquiété de la situation des 1,2 million de personnes déplacées. Il a exhorté le Gouvernement à travailler en étroite collaboration avec le Coordonnateur humanitaire des Nations Unies, notamment en garantissant des documents d’état civil à tous les déplacés qui doivent pouvoir recouvrer leurs droits. Enfin, il a encouragé le Gouvernement iraquien et le Gouvernement régional du Kurdistan à poursuivre leur dialogue.
Mme ALICIA GUADALUPE BUENROSTRO MASSIEU (Mexique) a dénoncé les 70 attaques perpétrées entre février et avril de cette année en Iraq, attribuées à Daech. Saluant les efforts de la Coalition contre ce groupe terroriste, elle a rappelé que les activités antiterroristes doivent toujours être menées dans le plein respect des normes du droit international, du droit international humanitaire et des droits de l’homme. La situation sécuritaire dans le Sinjar est une autre source de consternation pour le Mexique, a avoué la représentante qui a plaidé pour une meilleure coordination entre Bagdad et Erbil, en vue de mettre fin à la violence et promouvoir un renouveau social et économique. Elle a ensuite jugé regrettable que plus de sept mois après les élections, il n’y ait toujours pas de gouvernement en Iraq. Elle a également appelé Bagdad et Erbil à résoudre, dans le cadre constitutionnel, le différend concernant la législation sur la gestion du pétrole et du gaz. Mme Buenrostro a espéré que d’autres États suivront l’exemple de l’Iraq, en rapatriant et en réinstallant les familles du camp de Hol en Syrie. Elle a par ailleurs salué l’activisme diplomatique de Bagdad pour renforcer la coopération régionale, en matière de gestion des ressources en eau.
M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) s’est dit préoccupé par la situation politique et sociale en Iraq. Les agissements extérieurs empêchent la normalisation en Iraq, a relevé le délégué, en déplorant que l’Iraq devienne un théâtre où s’affrontent les acteurs régionaux. Il a souhaité la formation d’un nouveau gouvernement iraquien et appelé à répondre aux tensions ethno-confessionnelles. Le représentant russe a aussi déploré la persistance des attaques de Daech et insisté sur l’importance d’une bonne coordination des efforts antiterroristes, dans le plein respect de la souveraineté de l’Iraq. Il a dit que son pays continuera d’œuvrer au renforcement des capacités de l’Iraq, en rappelant la coopération de longue date qui existe entre son pays et l’Iraq.
M. MARTIN GALLAGHER (Irlande) a exhorté les acteurs politiques iraquiens à former rapidement un gouvernement qui réponde aux besoins et aux aspirations légitimes de tout le peuple iraquien. Ce dernier, a-t-il souligné, est confronté au spectre d’une insécurité alimentaire croissante. Il est important que les femmes iraquiennes soient pleinement impliquer à tous les aspects du processus politique et que les aspirations de la jeunesse iraquienne soient prises en compte. Le représentant a condamné les attaques de missiles du 13 mars sur Erbil, revendiquées par le Corps des Gardiens de la révolution islamique d’Iran. Il s’est dit préoccupé par la recrudescence des attaques attribuées à Daech et troublé par la situation dans le Sinjar. Il a appelé Bagdad et Erbil à mettre en œuvre des dispositifs de sécurité, en étroite consultation avec les Yézidis et les autres communautés de Sinjar. Il a appelé à la retenue, au dialogue et au respect de l’intégrité territoriale de l’Iraq.
Le représentant a en outre souligné l’importance cruciale de l’établissement des responsabilités pour les violations des droits de l’homme en Iraq, y compris celles commises contre les manifestants, les militants, les journalistes, les défenseurs des droits humains et les femmes. Il s’est dit aussi troublé par les meurtres, les enlèvements, les cas de tortures et les violences sexuelles perpétrés contre des LGBT par des groupes armés en Iraq. Il faut, a-t-il martelé, mettre fin à la culture de l’impunité qui enhardit les auteurs des violations et prive les victimes et les survivants de leur droit à la justice. Cinquième pays au monde le plus vulnérable aux changements climatiques, l’Iraq, a-t-il poursuivi, est confronté à une myriade de problèmes: pénurie d’eau, températures extrêmes, désertification, sécheresse, absence d’énergie propre. Les tensions communautaires autour des ressources en eau et l’exode vers des zones urbaines mal équipées ne sont que deux exemples des risques et des problèmes qui peuvent aggraver la situation humanitaire et l’instabilité en Iraq, a dit le représentant, estimant que les efforts déployés pour parer à ces risques doivent tenir compte de l’impact disproportionné des changements climatiques sur les femmes et les filles.
M. T. S. TIRUMURTI (Inde) s’est félicité des discussions en cours entre les partis politiques iraquiens pour la création d’un nouveau gouvernement capable de prendre les mesures nécessaires pour répondre aux attentes des Iraquiens, en particulier des jeunes et des femmes. Il a aussi salué la détermination du gouvernement à mettre en œuvre la stratégie nationale de lutte antiterroriste afin d’éradiquer la menace que représente le groupe Daech et d’autres groupes terroristes en Iraq. Particulièrement préoccupé par la capacité de Daech de lancer des attaques, il a exhorté le Conseil de sécurité à se concentrer sur l’éradication de ce fléau notamment en offrant des formations appropriées aux forces de sécurité iraquiennes. « La possession d’armes par des groupes non étatiques échappant au contrôle de l’état reste une préoccupation », a insisté le représentant de l’Inde. Il a ensuite salué la coopération entre l’Iraq et le Koweït afin de parvenir à un règlement de la question des nationaux koweïtis portés disparus et la restitution des biens.
Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a jugé urgent que les forces politiques fassent les compromis nécessaires pour trouver un accord sur la nomination d’un Premier Ministre et la formation d’un gouvernement. Il en va de même pour la nomination d’un Président de la République, a-t-elle ajouté, rappelant que les dossiers qui attendent le prochain gouvernement sont nombreux, dont les enjeux sécuritaires. Elle a condamné l’attaque menée par l’Iran à l’aide de missiles balistiques le 13 mars dernier, une atteinte « inacceptable » à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Iraq. Elle a dit accorder une attention particulière à la situation du Sinjar, et a appuyé les efforts du Gouvernement iraquien, au plus haut niveau, pour appliquer l’accord relatif à la sécurité, la gouvernance et la reconstruction du district.
Par ailleurs, le cessez-le-feu entre les forces armées iraquiennes et certains groupes armés doit être durable et permettre le retour des plus de 4 000 familles contraintes de quitter le district à la suite de l’escalade qui s’est produite entre fin avril et début mai, a appelé de ses vœux la déléguée. Elle a souligné que la bonne coopération entre le Gouvernement fédéral et la région autonome du Kurdistan est essentielle. La représentante a aussi encouragé l’Iraq et le Koweït à poursuivre leur coopération. Elle a par ailleurs relevé que l’Iraq a connu ces derniers jours des tempêtes de sable impressionnantes, qui ont donné lieu à de nombreuses hospitalisations, et dont la fréquence n’a fait qu’augmenter ces dernières années, conséquence manifeste du réchauffement climatique et de la désertification. Elle s’est toutefois félicitée que l’Iraq soit devenu signataire de l’Accord de Paris à la fin de l’année dernière.
M. MICHEL XAVIER BIANG (Gabon), au nom des A3, a salué les élections législatives pacifiques qui se sont déroulées en Iraq et qui ont représenté une source d’espoir pour le peuple iraquien, en dépit du contentieux électoral subséquent. Il a regretté la persistance des tensions, en insistant sur la fragilité du processus politique en Iraq. Il a appelé les acteurs à surmonter leurs divisions et à mettre en œuvre les réformes nécessaires, notamment pour faire face aux conséquences des changements climatiques. Il a appelé à un dialogue structuré entre Bagdad et Erbil et salué l’appui fourni par la MANUI. Les femmes iraquiennes sont prêtes à jouer un rôle de leadership, y compris dans « l’arène politique », a-t-il ajouté. Il a déploré la persistance des attaques terroristes de Daech, ainsi que les tensions entre la Région du Kurdistan et le Gouvernement fédéral. Il a condamné les opérations conduites en Iraq par des acteurs extérieurs et souligné la nécessité que le pays ne se transforme pas en arène d’affrontements entre ces acteurs. Le délégué a salué l’ouverture du centre d’appui aux femmes victimes de violence à Mossoul, avant de détailler l’acuité de la crise climatique en Iraq, marquée par des tempêtes de sable et des sécheresses. Les acteurs doivent réfléchir à un partage de l’eau, qui est souvent source de conflit, a-t-il ajouté.
Mme TRINE SKARBOEVIK HEIMERBACK (Norvège) a regretté que, sept mois après les élections parlementaires en Iraq, aucun progrès n’ait été réalisé dans la formation d’un nouveau gouvernement, « une impasse politique qui doit cesser ». Notant qu’un gouvernement intérimaire n’est pas en mesure de relever pleinement les multiples défis auxquels ce pays est confronté, elle a jugé essentiel que tous les acteurs politiques iraqiens prennent les mesures nécessaires pour former rapidement un gouvernement et œuvrer de concert à l’avènement d’un Iraq plus pacifique et prospère. Elle a espéré que la participation des femmes sera reflétée dans le nouveau gouvernement, avant d’exhorter le Gouvernement fédéral et le Gouvernement régional du Kurdistan à développer leur dialogue et à résoudre les questions en suspens.
Sur le plan sécuritaire, Mme Heimerback a appelé toutes les parties à faire preuve de retenue, se disant alarmée par la récente escalade des tensions et des affrontements dans le Sinjar, qui ont profondément affecté la communauté yézidie locale et entraîné le déplacement de milliers de civils. Elle a salué les efforts accrus des autorités iraqiennes –en coopération avec la MANUI– pour réintégrer les familles iraqiennes déplacées dans leurs communautés d’origine. La déléguée a ensuite appuyé la poursuite de l’assistance technique fournie par la Mission pour soutenir les priorités du gouvernement en matière d’action climatique, alors que le pays souffre de sécheresse.
Pour la représentante, des efforts soutenus pour faire progresser les droits humains, la justice, la responsabilité et l’État de droit sont nécessaires pour mettre fin aux cycles de violence qui alimentent le conflit en Iraq. Elle s’est dit préoccupée par les progrès limités dans les enquêtes relatives aux manifestations de 2019 et les retards accumulés dans la nomination de commissaires au sein du Haut Conseil iraqien des droits de l’homme. Elle a recommandé que des budgets suffisants soient alloués à la mise en œuvre complète de la loi sur les survivants yézidis, afin de leur garantir d’accéder à tous les avantages pertinents.
M. JOÃO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a rappelé certains des objectifs de la MANUI notamment l’autonomie gouvernementale, le rétablissement de l’état de droit, la stabilité politique, la viabilité de la démocratie iraquienne et le renforcement des institutions iraquiennes. Citant le rapport du Secrétaire général, il a noté des signes prémonitoires. L’aide humanitaire, a-t-il prévenu, ne saurait se substituer au rôle du Gouvernement d’assurer les services publics. Le Gouvernement iraquien doit véritablement s’approprier son rôle de protection des citoyens et l’aide internationale au rétablissement de la sécurité doit rester dans le cadre strict des résolutions du Conseil de sécurité et bénéficier du consentement préalable du Gouvernement iraquien. La lutte contre le terrorisme, a poursuivi le représentant, ne saurait rogner sur la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq. Il a dénoncé les derniers événements dans la région qui sont en contradiction avec les principes de bon voisinage, la Charte des Nations Unies et l’autorité du Conseil de sécurité. Les différends politiques dans les régions et entre celles-ci et le Gouvernement fédéral doivent être réglés par le dialogue et conformément à l’état de droit, a conclu le représentant.
Mme ALBANA DAUTLLARI (Albanie) a regretté les difficultés relatives au processus de formation du gouvernement, insistant sur l’importance de parvenir à un gouvernement inclusif et uni, avec une participation significative des femmes, pour répondre aux aspirations légitimes du peuple iraquien. Elle s’est dit très préoccupée par la situation sécuritaire dans le pays, y compris les dernières attaques et la menace posée par Daech. S’agissant des relations entre Bagdad et Erbil, la représentante a noté l’avis de la Cour suprême iraquienne en date du 15 février 2022 jugeant inconstitutionnelle une loi de 2007 sur le pétrole et le gaz promulguée par le gouvernement de la Région du Kurdistan. Après avoir mis l’accent sur l’impact des changements climatiques en Iraq, qui est le cinquième pays le plus vulnérable au climat au monde, la représentante de l’Albanie s’est dit impatiente de renouveler et de renforcer le mandat de la MANUI .
M. RODNEY M. HUNTER (États-Unis) a appelé les dirigeants iraquiens à former un gouvernement, en déplorant que les élections législatives pacifiques n’aient pas abouti à une telle formation. Celles-ci avaient pourtant été organisées en réponse au mécontentement des Iraquiens face au disfonctionnement de leur Gouvernement, a-t-il rappelé. Il a souligné que le prochain gouvernement devra tracer la voie du développement en Iraq, éradiquer la corruption et mettre un terme à la politisation des institutions démocratiques et des processus administratifs. Il a également demandé que les responsables de violences lors des manifestations qui ont eu lieu dans le pays rendent des comptes. Le prochain gouvernement devra aussi appuyer la réintégration des ressortissants iraquiens du camp de Hol en Syrie, et prévoir un budget pour la loi sur les survivants yézidis afin d’appuyer le relèvement de la communauté yézidie dans le Sinjar. Après avoir appelé à la levée des obstacles juridiques et culturels qui entravent la pleine participation des femmes dans la main-d’œuvre, le représentant a souligné l’acuité de la crise climatique en Iraq, marquée notamment par des tempêtes de sable. Il a insisté sur les conséquences disproportionnées pour les femmes de cette crise et souhaité la pleine participation de ces dernières aux efforts visant à y remédier. Enfin, le délégué des États-Unis a rappelé que la MANUI est un partenaire fondamental de l’Iraq et demandé qu’elle soit dotée d’un mandat robuste.
M. MOHAMMED HUSSEIN BAHR ALULOOM (Iraq) a assuré que les partis politiques iraquiens poursuivent leurs efforts pour former un nouveau gouvernement qui réponde aux aspirations de la population. Il a indiqué que son gouvernement a demandé le déploiement d’observateurs pour les élections législatives prévues en octobre dans la Région du Kurdistan. S’agissant de la situation sécuritaire, il a annoncé qu’en avril 2022, les forces iraquiennes ont lancé une campagne à grande échelle contre Daech. Le Gouvernement, qui s’est engagé à rapatrier les détenus dans le camp de Hol en Syrie, continue de coopérer avec la communauté internationale pour lutter contre le terrorisme. Le délégué a appelé à ne pas utiliser son pays comme un terrain pour des règlements de comptes politiques, dénonçant notamment les violations turques et iraniennes de son territoire. Il a aussi informé que le bombardement iranien de la ville d’Erbil le 13 avril 2022 a entraîné de lourdes pertes civiles.
Pour le représentant, les efforts de l’Iraq, en coordination avec la communauté internationale, ont contribué au rétablissement de la stabilité dans les zones libérées, à la reconstruction d’infrastructures et au retour d’une grande partie des personnes déplacées. Le Gouvernement poursuit ses efforts pour éviter une crise alimentaire en mettant en œuvre des travaux d’urgence pour remédier notamment à la pénurie d’eau. Il a aussi élaboré un budget pour le projet de transformation numérique. S’agissant de l’autonomisation des femmes, le Gouvernement a lancé l’examen de la mise en œuvre du deuxième plan national de mise en œuvre de la résolution 1325 (2000). Concernant la lutte contre la pandémie de COVID-19, le Gouvernement se penche sur la couverture vaccinale de tout le pays.
Le représentant a aussi évoqué la lutte contre la désertification et les changements climatiques en indiquant que l’Iraq a accueilli le 7 février 2022 la 36ème session de la Conférence régionale de la FAO pour le Proche-Orient (NERC 36) portant sur la création de systèmes agroalimentaires plus respectueux de l’environnement et plus résilients pour atteindre les ODD. La deuxième Conférence internationale de Bagdad sur l’eau, consacrée aux changements climatiques, s’est ensuite tenue du 5 au 7 mars 2022. Il a appelé la MANUI et la communauté internationale à aider l’Iraq dans sa lutte contre la désertification et à faciliter le dialogue avec ses voisins dans le but d’assurer une répartition équitable de l’eau.
Pour ce qui est de la relation avec le Koweït, le représentant a fait savoir que le ministère des affaires étrangères continue de collecter des témoignages, des microfilms et d’autres matériels et recherche également toute personne ayant des informations sur les lieux de sépulture supposés d’Iraquiens, de Koweïtiens, ou de ressortissants d’États tiers, ainsi que sur les lieux où se trouvent les biens ou les archives koweïtiens.
Reprenant la parole, la Représentante spéciale du Secrétaire général, a indiqué que la pénurie d’eau, la salinisation des eaux et des terres ainsi que la désertification représentent une menace quotidienne, précisant que la diminution des ressources en eau était liée aux changements climatiques mais aussi aggravé par l’appauvrissement des cours d’eau par des pays voisins. Après avoir souligné la gravité croissante des tempêtes de sable, la dignitaire a dit la nécessité de programmes nationaux et régionaux pour comprendre les causes profondes de ces dégradations environnementales et s’y attaquer.
De quelles preuves scientifiques disposons-nous pour affirmer que les tempêtes de sable sont le fruit des changements climatiques et non le résultat d’un phénomène météorologique isolé, a demandé le représentant du Brésil. Comment pouvez-vous prétendre qu’il y aura de plus en plus de « tempêtes de sable ? » a-t-il lancé à la Représentante spéciale.
La Représentante spéciale a invité le représentant du Brésil à se rendre à Bagdad auprès du ministre compétent sur la question qui pourra lui fournir toutes les illustrations scientifiques sur les liens entre changements climatiques et phénomènes météorologiques.