AG/10817

ASSEMBLÉE: « NOUS SOMMES DANS UN MOMENT BRETTON WOODS », DÉCLARE LE LAURÉAT DU PRIX NOBEL JOSEPH STIGLITZ, PARTISAN D’UNE RÉFORME RAPIDE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES INTERNATIONALES

27/03/2009
Assemblée généraleAG/10817
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Assemblée générale

Soixante-troisième session

Débat thématique interactif

sur la crise économique et financière mondiale

et son impact sur le développement - matin


ASSEMBLÉE: « NOUS SOMMES DANS UN MOMENT BRETTON WOODS », DÉCLARE LE LAURÉAT DU PRIX NOBEL JOSEPH STIGLITZ, PARTISAN D’UNE RÉFORME RAPIDE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES INTERNATIONALES


Après avoir écouté les dernières déclarations du lauréat du prix Nobel d’économie 2001, M. Joseph Stiglitz, et du Président de l’Assemblée, M. Miguel d’Escoto Brockmann, l’Assemblée générale a achevé les trois jours de discussions intenses qu’elle avait organisées, en prévision de la Conférence internationale de haut niveau sur la crise financière et monétaire mondiale et son impact sur le développement, prévue en juin prochain.


« Nous sommes dans un “moment Bretton Woods” qui, comme il y a 60 ans, exige des réformes de grande ampleur », a estimé M. Stiglitz, qui préside la Commission d’experts de l’Assemblée générale sur la réforme du système monétaire et financier international dont le rapport final paraîtra au mois de mai.


Le lauréat du prix Nobel d’économie est revenu sur les 20 recommandations de la Commission, en insistant, une nouvelle fois, sur la nécessité de renforcer la réglementation financière et monétaire et de créer une nouvelle facilité de crédit, un autre système mondial de réserves et un conseil de coordination des politiques économiques.


« Le temps presse et n’oublions pas que le mieux est parfois l’ennemi du bien », a-t-il prévenu.  Cet appel a été réitéré par le Président de l’Assemblée qui a dit craindre que la lumière que certains aperçoivent déjà au bout du tunnel ne soit celle d’« un train qui fonce droit sur nous ».


Pour que la croissance, la prospérité et le progrès bénéficient à tout le monde, M. d’Escoto Brockmann a estimé qu’il faut des réglementations saines et favorables à un développement centré sur l’être humain; des systèmes commerciaux justes et équitables; des systèmes agricoles écologiquement sains; et des législations du travail qui mesurent la performance économique à l’aune du degré de prise en compte des besoins spécifiques des femmes.


L’emprise de certaines doctrines constitue le plus grand obstacle à la recherche de solutions à cette crise systémique de portée mondiale, a déclaré l’économiste français Jean-Paul Fitoussi, l’un des huit panélistes ayant participé à la table ronde de ce matin, consacrée aux mesures macroéconomiques en réponse à la crise, à l’architecture financière internationale et à la reréglementation du système financier.


L’économie de marché et le capitalisme doivent tirer leur légitimité de la démocratie, et non l’inverse, a renchéri M. Robert Johnson, économiste en chef au Sénat américain, qui a clairement souligné, à l’instar de nombreux intervenants, le rôle décisif que doit jouer son pays, en partenariat avec l’Union européenne, dans la mise en œuvre des recommandations de la « Commission Stiglitz ».


M. Johnson a préconisé « des dépenses bien contrôlées plutôt que les coupes budgétaires traditionnellement mises à l’honneur par les Gouvernements américains successifs ».  Dans un contexte d’extrême volatilité, a estimé pour sa part M. Fitoussi, la priorité doit être aussi accordée à la protection sociale, qui doit cesser d’être considérée comme une « forme de charité ».


Soulignant la responsabilité particulière des pays développés, l’ancien Ministre de la coopération de l’Équateur, M. Pedro Páez, a proposé d’établir des mécanismes financiers de recouvrement de la dette des pays les plus pauvres.  Cette mesure, soutenue par la majorité des délégations, participerait d’une architecture financière plus saine.


Dans la perspective d’un tel assainissement, M. Benno Ndulo, le Gouverneur de la Banque centrale de la République-Unie de Tanzanie, a déclaré que la réforme de cette architecture devrait remplir deux conditions préalables: séparer les intérêts politiques de l’évaluation technique, et assurer une règlementation démocratique des institutions.


TABLE RONDE: MESURES MACROÉCONOMIQUES EN RÉPONSE À LA CRISE; ARCHITECTURE FINANCIÈRE INTERNATIONALE; RERÉGLEMENTATION DU SYSTÈME FINANCIER


Ouvrant la discussion, M. JEAN-PAUL FITOUSSI, Professeur d’économie à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), est revenu sur le raisonnement qui sous-tend la recommandation faite hier par M. Joseph Stiglitz.  L’un des grands problèmes qui se posent lorsque l’on veut combattre la crise, ce sont les atteintes à la démocratie, a-t-il expliqué.  Les populations vulnérables subissent depuis des décennies les conséquences de plusieurs paradigmes, dont le paradigme « intellectuel ».  L’emprise de certaines doctrines, a-t-il précisé, représente en effet aujourd’hui le plus grand obstacle pour trouver des solutions à une crise systémique de portée mondiale.  M. Fitoussi a souligné qu’il était nécessaire qu’un gouvernement responsable puisse prendre des mesures fiscales pour stimuler l’économie.  Ce raisonnement, a-t-il fait remarquer, se heurte à la position de ceux qui pensent que de telles mesures, au lieu d’encourager la demande, conduiraient à l’hyperinflation et à la hausse des taux d’intérêt.  Du coup, on préfère renflouer à grands frais les institutions bancaires en faillite.  La Commission d’experts, présidée par M. Stiglitz, ne partage pas ce point de vue, a noté M. Fitoussi, précisant que les gouvernements continuent à appliquer les doctrines qui ont conduit à la situation actuelle.  « En défendant une certaine conception de la protection sociale, nous ne plaidons pas pour une forme de charité, mais pour la mise en place d’une assurance et d’une solidarité indispensables dans un contexte de fragilité économique », a-t-il assuré.  Ce que nous enseignent les grandes crises du XXe, et maintenant du XXIe siècles, c’est que les voies empruntées par le passé n’ont pas permis d’éviter une réelle instabilité.


En réponse à une question du représentant de l’Arabie saoudite, M. Fitoussi a déclaré qu’il convenait de poursuivre la libéralisation des échanges, pas au sens idéologique du terme, mais au sens pratique du terme.  Dans ce contexte, il est nécessaire de réfléchir à un train de mesures bien coordonnées, en particulier entre les États-Unis et l’Union européenne.  À une autre délégation qui souhaitait savoir s’il fallait privilégier les réglementations ou les mesures d’incitation, M. Fitoussi a préconisé de recourir aux deux.  Évoquant les paradis fiscaux, l’économiste a déclaré qu’il faudrait prendre des politiques très strictes à cet égard pour assainir le système financier mondial.  Concernant la protection de l’environnement, il a estimé qu’il était nécessaire de réconcilier les objectifs à court et à long termes.


M. ROBERT JOHNSON, Économiste en chef au Sénat des États-Unis, a tout d’abord rappelé que M. Joseph Stiglitz avait prédit les crises actuelles, soulignant que c’est un mérite exceptionnel dans la mesure où l’économie est une discipline faite d’incertitudes.  Certains secteurs bancaires ont pris une telle proportion dans les économies nationales que, s’ils s’effondraient, les gouvernements estiment qu’ils n’ont pas d’autre choix que de leur injecter de nouvelles ressources pour les sauver.  C’est dans ce contexte que la Commission d’experts doit s’efforcer à réfléchir aux moyens d’inverser cette tendance.  Les recommandations, qui ont été présentées ces derniers jours, insistent plutôt sur des dépenses budgétaires bien contrôlées plutôt que sur les coupes fiscales traditionnellement mises à l’honneur par les Gouvernements américains successifs depuis des décennies.  « Nous préconisons au contraire de protéger les consommateurs en mettant en place des autorités de supervision et des réglementations strictes, ainsi que des fonds de stabilisation pour limiter les risques.  Le marché et le capitalisme doivent tirer leur légitimité de la démocratie, et non l’inverse », a ajouté M. Johnson, qui a assuré qu’il faudrait cesser de s’en remettre aux « experts » qui n’ont pas su empêcher la crise actuelle de se produire.  M. FITOUSSI a renchéri, affirmant que la question qu’il fallait désormais se poser, c’est de savoir si telle ou telle réforme est de nature à renforcer la démocratie ou non.  C’est sur la base de ce changement de critères qu’il faut envisager l’adoption des mesures futures, a-t-il assuré.


Répondant à une question du représentant de la République dominicaine, M. Johnson, a indiqué qu’en effet, dès qu’un problème se pose, les « détenteurs de biens » du monde retirent leurs capitaux du marché, menaçant ainsi l’équilibre des économies.  Pour y remédier, il a préconisé de mettre en place des normes internationales communes harmonisées, ainsi qu’une monnaie de réserve internationale, afin de garantir la stabilité.  C’est la voie à suivre à condition toutefois que les États-Unis donnent le ton, a ajouté M. Johnson.  Répondant ensuite aux représentants de la Chine et du Pakistan, il a, lui aussi, expliqué que les pays les plus développés avaient une responsabilité particulière dans l’équilibre de l’économie internationale.  Il a donc encouragé les pays créanciers à prendre en charge l’intégrité du système financier et dans la dénomination d’une monnaie internationale de réserve.


À son tour, M. PEDRO PAEZ, ancien Ministre de la coopération économique de l’Équateur, a estimé que la crise financière actuelle était imputable aux pays développés.  C’est la raison pour laquelle il faudrait mettre en place des mécanismes financiers de recouvrement de la dette des pays les plus pauvres pour permettre à ceux-ci de se relever de la crise, a-t-il proposé.  Cette mesure participerait de la mise en place d’une nouvelle architecture financière internationale plus saine, a-t-il souligné.  Dans le droit prolongement de cette déclaration, l’ancien Gouverneur de la Banque de réserves de l’Inde, M. YAGA VENUGOPAL REDDY, a lui aussi estimé que la gestion des capitaux recoupait la question de la dette extérieure.  M. FRANÇOIS HOUTART,Représentant du Président de l’Assemblée générale au sein de la Commission d’experts,a rappelé pour sa part qu’il était important d’établir certaines distinctions.  Si le capitalisme exclut de ses calculs les « externalités » de son mode de fonctionnement, comme par exemple l’impact que la production industrielle peut avoir sur l’environnement et les changements climatiques, « alors il doit être remis en question ».  Plus qu’une logique d’intérêts au profit d’une minorité, l’économie doit être une activité humaine qui vise à assurer l’épanouissement des sociétés.


En tant que membre de la « Commission Stiglitz »,M. YU YONGDING, Directeur de l’Institut d’économie à l’Académie chinoise des sciences sociales, a déclaré en partager entièrement les conclusions.  Tout en se défendant de représenter le point de vue officiel du Gouvernement chinois, il a estimé avoir apporté à la Commission le point de vue de la Chine qui, a-t-il ajouté, porte une grande attention aux réformes structurelles et à la réforme de l’architecture financière internationale.


M. Yu a aussi rappelé que les pays de l’Asie de l’Est, dont la Chine, travaillent déjà à la mise en place d’une architecture financière régionale de l’Asie.  S’adressant au représentant de la Thaïlande qui demandait s’il était possible de renforcer la coopération financière régionale, il a estimé que des progrès ont été faits vers la mise en place d’une forme de fonds asiatique des marchés.  À ses yeux, de tels efforts devraient contribuer à la nouvelle architecture mondiale.


M. Yu a en outre rappelé que le statut de monnaie dominante -voire de seule monnaie de réserve- du dollar a permis aux États-Unis de dominer l’économie mondiale.  Il a cependant jugé « ridicule et inacceptable » le fait que le pays le plus riche au monde emprunte en masse et sans fin auprès de pays beaucoup plus pauvres.  Il nous faut des garanties qu’il n’y aura ni hyperinflation ni chute dramatique du dollar à l’avenir, a-t-il ajouté.  Tout en estimant qu’un tel scénario ne se produira pas, il s’est néanmoins dit « très inquiet ».  Un proverbe chinois dit qu’il « ne faut pas chercher à guérir un cheval mort », a-t-il affirmé, avant de se demander si, en fait, « nous ne cherchons pas justement en ce moment à guérir un cheval mort ».


Dans le même sens, M. BENNO NDULO, le Gouverneur de la Banque centrale de la République-Unie de Tanzanie, s’est demandé s’il est réellement possible de réformer les institutions financières internationales existantes et de les rendre assez vigoureuses, indépendantes et aptes à assurer une supervision efficace des marchés financiers.  De l’avis de M. Ndulo, il faudrait de préférence créer de nouvelles institutions, moins susceptibles d’être influencées par la politique et dotées d’un mandat pour agir de manière plus équitable.  De telles institutions devraient remplir deux conditions, a-t-il expliqué: séparer les intérêts politiques de l’évaluation technique, et assurer une réglementation démocratique des institutions.  Pour M. Ndulo, de par leur composition, les institutions financières internationales actuelles présentent un problème dès lors que les principaux pays sont mis en cause.


C’est aussi ce qu’a fait observer le représentant de la coalition d’ONG Social Watch.  A-t-on réellement la capacité de mettre en place une forme de surveillance qui, si elle avait existé, aurait permis d’éviter la crise? a-t-il demandé.  Pour lui, les institutions financières internationales actuelles ont le pouvoir de discipliner les petits pays, mais n’ont pas le courage de dire aux dirigeants des économies les plus puissantes quand les choses ne vont pas chez eux.  Ce qui est ensuite choquant, c’est qu’on assiste à un « effet Titanic »: les passagers de la première classe, à savoir les riches, surmontent les obstacles alors que la majorité des passagers de la troisième classe, c’est-à-dire les pauvres, sombrent car, ceux qui sont les plus affectés par la crise n’ont pas de filet de sécurité pour remonter à la surface.


M. Yu ayant rappelé que le Gouverneur de la Banque centrale de Chine a proposé la création d’une nouvelle monnaie de réserve internationale, composée comme un « panel » des principales monnaies actuelles, M. Johnson a jugé bon que les Chinois aient soulevé cette question en ce moment.  La Commission ne rejette pas du tout cette idée, a-t-il affirmé, en réponse à une délégation qui avait demandé pourquoi cette dernière ne se prononçait pas.  Il a vu dans une telle monnaie un moyen de réduire les risques de déflation.  Sa valeur sera déterminée avant tout par les États-Unis, les autres grandes économies et les grands créanciers comme la Chine ou le Japon, qui ont un intérêt majeur dans l’intégrité financière des États-Unis, du simple fait de l’importance de leurs avoirs en dollars.


M. Yu, comme la représentante de la Chine et de nombreuses autres délégations, a souhaité un renforcement des systèmes de réglementation des flux de capitaux, comme le préconise la Commission d’experts.  À défaut, les conséquences peuvent être très graves et ce sont les pays en développement, qui ne sont pas responsables de cette situation, qui en pâtissent le plus, a affirmé la représentante de la Chine.  C’est ce que le représentant de Social Watch a qualifié d’« effet Titanic »: les passagers de la première classe, les riches, survivent alors que la majorité des passagers de la troisième classe, les pauvres, meurent car, dans la mesure où ils sont sérieusement touchés par la crise, n’ont pas de filet de sécurité pour remonter à la surface.


Pour éviter une telle catastrophe, le représentant de Social Watch a demandé le démantèlement de « l’économie de casino » et M. Yu a estimé qu’il ne faudrait pas « faire de sentiment à l’égard des spéculateurs ».


En revanche, interrogé par le représentant de la Thaïlande sur des systèmes d’alerte rapide à concevoir et à mettre en place pour réagir rapidement aux menaces de crise, M. Yu s’est montré perplexe.  « Vous faites trop confiance aux économistes: en tant qu’économiste moi-même, je n’ai jamais eu confiance en moi dans ce domaine », a-t-il plaisanté, rappelant qu’il avait, dans le passé, prédit une crise financière à un certain moment alors qu’elle ne s’était jamais produite.


Déclarations de clôture


M. JOSEPH STIGLITZ, Président de la Commission d’experts sur la réforme du système monétaire et financier international, est revenu sur ses recommandations dont les 10 premières sont des mesures à court terme visant à stimuler l’économie mondiale et les 10 dernières, des mesures à long terme qui visent à prévenir la résurgence de crises similaires.  Les solutions à la crise, a-t-il reconnu, ne peuvent se résumer en 20 points mais il faut bien commencer quelque part. 


Aujourd’hui, les solutions les plus viables sont celles qui s’articulent autour des mesures d’incitation fiscale et du renforcement de la réglementation.  Mais à moins que les pays en développement ne bénéficient d’une aide substantielle, il leur sera difficile de jouer le rôle qui leur revient dans la reprise économique.  On ne dispose pas toujours de la marge de manœuvre nécessaire pour mettre en œuvre les politiques indispensables à ce stade. 


Ils doivent obtenir des fonds par le biais de prêts certes, mais aussi de dons.  Car, a expliqué le lauréat du prix Nobel d’économie 2001, il serait injuste que des pays en développement qui viennent à peine de se libérer de la dette se voient contraints de supporter un nouveau fardeau.  Ce serait d’autant plus injuste que ce sont les victimes innocentes de la situation actuelle.  Dans ce contexte, il est important que les fonds soient fournis par différents canaux. 


Certains mécanismes traditionnels comme le Fonds monétaire international (FMI) posent problème parce qu’ils accordent des prêts et non pas de subventions.  En plus, par le passé, le FMI a mis en place un certain nombre de politiques de réglementation qui sont à l’origine de la crise actuelle.  Si l’on doit saluer les réformes et les mesures annoncées, il ne faut désormais pas oublier que l’héritage historique d’institutions financières internationales comme le FMI ne disparaîtra pas du jour au lendemain.  Les pays en développement garderont longtemps une certaine méfiance vis-à-vis du Fonds. 


Il est donc important, a insisté M. Stiglitz, de mettre en place d’autres mécanismes d’aide comme des institutions régionales qui sont bien souvent plus proches des pays et mieux au fait de leurs besoins.  On peut aussi, a-t-il dit, créer une nouvelle facilité de crédit, tout en remaniant les institutions existantes car les deux mécanismes sont importants et la création de nouvelles institutions peut se faire très rapidement.  Compte tenu de la lenteur des réformes dans les institutions existantes, il faut garder à l’esprit que tout retard pourrait se révéler fatal pour les pays en développement.


« Nous devons également, a poursuivi le lauréat du prix Nobel, renforcer la réglementation.  En l’occurrence, il a mis l’accent sur les risques inhérents à une réforme superficielle par opposition à des réformes approfondies.  Les forces qui ont provoqué la crise actuelle sont toujours à l’œuvre et seules des réformes approfondies pourraient les faire disparaître.  Les marchés sont habiles, a-t-il prévenu.  S’ils ont pu créer des produits aussi sophistiqués, ils peuvent aussi fabriquer une réglementation qui ne prévoit pas les garanties nécessaires. 


Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un mécanisme de contrôle d’ensemble mais aussi des instruments permettant d’intervenir directement lorsque les problèmes se présentent.  La nouvelle réglementation doit être globale et s’appliquer à toutes les institutions au risque de voir une explosion des arbitrages, des mesures qui dérogent à certains principes ou des systèmes parallèles dans le milieu bancaire.  La réglementation doit avoir des formes précises comme une commission de sûreté en matière de produits financiers et des arrangements institutionnels de contrôle des nouveaux produits financiers. 


Il faut changer la situation actuelle où les institutions financières ne sont pas capables de gérer les risques et de répartir les capitaux.  Pour illustrer ses propos, M. Stiglitz a rappelé que dans certains pays, le secteur financier représente 30% de l’économie.  Il a aussi prôné la mise en place d’agences de notation plus responsables car l’un des grands problèmes est l’incitation aux risques.  Il faut également réglementer la concurrence pour prévenir une expansion des entreprises dont la nature monopolistique leur permet d’échapper à tout contrôle.  La réglementation vise la bonne gouvernance des sociétés qui n’étaient même plus au service des actionnaires. 


Quant au nouveau système mondial de réserves que la Commission d’experts qu’il préside a aussi proposé, le lauréat du prix Nobel a rappelé que c’est une idée très ancienne que Keynes avait prôné, il y a plus de 70 ans, en espérant que le FMI contribuerait à la concrétiser.  Mais l’idée s’est heurtée à un veto, a aussi rappelé M. Stiglitz.  Or, a-t-il plaidé, c’est quelque chose de profitable pour tous les pays, débiteurs ou créanciers, et surtout pour les pays qui ont accumulé des réserves importantes et qui s’inquiètent de leur valeur et de leur stabilité. 


Cette tendance à la déflation née de l’accumulation de réserves énormes affecte le monde entier, a fait remarquer M. Stiglitz, estimant que d’autres arrangements doivent être envisagés sans que cela donne lieu à une inflation.  La transition vers ce nouveau système peut s’effectuer de telle façon qu’on puisse maintenir, voire renforcer, la stabilité et la force de l’économie mondiale.  Ce système doit être le fruit d’un consensus mondial et mis au point rapidement avant que les forces politiques et économiques ne se remettent en marche, et que les choses reprennent leur cours habituel.


Le lauréat du prix Nobel 2001 est aussi revenu sur l’idée de créer un conseil de coordination des politiques économiques.  Personne n’imaginerait gérer une grande économie comme celle des États-Unis sans un certain degré de coordination.  Pourquoi, alors, face à une économie mondialisée, aucun organe de coordination n’existe? s’est-il interrogé.  En attendant un tel conseil, toutes les institutions économiques et financières doivent mettre en œuvre des réformes importantes en matière de gouvernance, tout en étant amenées à rendre des comptes, non seulement aux gouverneurs des banques centrales et aux ministres des finances, mais également à tous.  Il faudra aussi identifier les lacunes et les défaillances de l’architecture économique actuelle, dont les problèmes de défauts de paiements, de banqueroutes ou de restructuration de la dette.  


La version finale du rapport sera publiée en mai, a annoncé le Président de la Commission d’experts.  La réforme des institutions financières ne se fera pas en l’espace de quelques jours ou de quelques mois, a-t-il reconnu, mais le rapport donne tout de même des orientations pour guider le processus.  « Nous connaissons, a-t-il conclu, une période semblable à celle qui a présidé à la création des institutions de Bretton Woods, il y a 60 ans.  Nous sommes dans un « moment Bretton Woods », qui exige des réformes de grande ampleur ».  Les notions d’architecture financière ou économique internationale et les appels à leur réforme avaient été lancés en 1997 et 1998, mais les grandes puissances espéraient bien que ces appels resteraient à l’état de simple rhétorique.  « Il faut espérer que cela ne soit pas le cas aujourd’hui car, a insisté M. Stiglitz, nous ne sommes plus dans la situation où des crises périphériques en Asie et en Amérique latine menaçaient le centre.  Cette fois-ci, la crise est partie du centre.  Le temps presse et n’oublions pas que le mieux est parfois l’ennemi du bien ».


« Nous sommes tous conscients, a rassuré M. MIGUEL D’ESCOTO BROCKMANN, Président de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale, de l’urgence de la crise qui s’étend autour de nous ».  Les trois jours de tables rondes, s’est-il félicité, ont montré, une nouvelle fois, que l’Assemblée, le système des Nations Unies et ses partenaires du secteur privé, de la société civile et du monde universitaire peuvent se réunir pour identifier les problèmes et explorer des solutions qui reflètent les préoccupations de tous les États Membres. 


Revenant au rapport de la Commission d’experts, il s’est félicité que les recommandations sur les droits de tirage spéciaux ou la règlementation des flux de capitaux aient reçu le soutien de nombreuses délégations.  Il a donc demandé aux experts de continuer à analyser les informations et les tendances mondiales qui aideront les États à prendre des décisions informées dans les mois à venir. 


Le Président a souligné à son tour le fait que les turbulences économiques actuelles sont probablement le prélude à une instabilité accrue qui risque de compliquer la relance.  Malheureusement, la lumière que certains voient au bout du tunnel pourrait bien être celle d’un train qui fonce droit sur nous.  « Nous devons nous montrer courageux et développer une vision pour réaliser les objectifs pour lesquels l’ONU a été fondée ».  Les États ont certes le droit de défendre leurs intérêts nationaux mais pas au détriment des droits légitimes des autres.  Les plus vulnérables d’entre nous ne peuvent plus continuer à être les boucs émissaires et les victimes.  Ils doivent devenir les parties prenantes légitimes qu’ils sont.  Il faut faire en sorte que les droits et les chances ne soient plus le privilège exclusif des sociétés influentes. 


En définitive, a dit M. d’Escoto Brockmann, il revient à l’Assemblée générale de s’assurer que tous les pays, grands ou petits, riches ou pauvres, aient l’occasion de participer à un processus légalement constitué et inclusif.  Une prise de position collective implique un pouvoir partagé et avec le pouvoir, vient la responsabilité.  La route ne sera pas facile, a-t-il prévenu.  Pour que la croissance, la prospérité et le progrès bénéficient à tout le monde, ils ne peuvent être fondés sur des modes de consommation insatiable mais plutôt sur des institutions saines de réglementation financière et monétaire.  Il faut des institutions qui ne compromettent pas mais permettent plutôt la formulation de


politiques de développement inclusives et centrées sur l’être humain; des systèmes commerciaux fondés sur les principes de justice et d’équité; des politiques agricoles durables, rationnellement écologiques et favorables aux petits exploitants agricoles; et des législations du travail qui déterminent la performance économique à l’aune du degré de prise en compte des besoins spécifiques des femmes. 


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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