MEXIQUE: LES EXPERTS TRÈS INQUIÈTS DE LA PERSISTANCE D’UNE VIOLENCE ENDÉMIQUE FAISANT OBSTACLE À LA PROMOTION DE LA FEMME
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Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes
Chambre B - 751e & 752e séances – matin & après-midi
MEXIQUE: LES EXPERTS TRÈS INQUI È TS DE LA PERSISTANCE D’UNE VIOLENCE END É MIQUE FAISANT OBSTACLE À LA PROMOTION DE LA FEMME
La persistance d’une culture machiste continue d’alimenter le cycle de la violence à l’encontre de la femme au Mexique, ont estimé aujourd’hui les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ces derniers, qui examinaient la situation de la condition féminine dans ce pays, ont cependant salué la volonté politique d’appliquer la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), véritable charte des droits de la femme à laquelle le Mexique a accédé le 23 mars 1981. La portée de cet effort est reflétée par une véritable féminisation du budget national de développement social, a ainsi déclaré l’experte de l’Égypte.
Mais les cas de violence, en particulier dans la ville de Ciudad Juarez – où est recensé depuis plus de 10 ans un nombre anormalement élevé de meurtres et d’enlèvements de femmes et de jeunes filles non élucidés- ont occupé une part essentielle des échanges entre les experts et les représentants de la délégation mexicaine.
Lors de la présentation du sixième rapport périodique de son pays, Mme PATRICIA ESPINOSA, Chef de la délégation et de l’Institut national des femmes (Inmujeres) du Mexique, a indiqué que les amendements à la Constitution adoptés en 2001 mettaient le Mexique sur la voie de la conformité avec les principaux instruments internationaux. Et cela en établissant la non-discrimination comme un droit individuel, qui, le cas échéant, peut être brandi contre l’État, des personnes ou des entités privées.
Dans le même temps, des lois supplémentaires prévoient des mesures de discrimination positive en faveur du développement de la personne humaine. La représentante a souligné à ce titre l’importance de la Loi générale pour l’égalité entre hommes et femmes. Ce dispositif vise à réguler et garantir l’égalité de genre par le biais de deux mécanismes, le Système et le Programme national pour l’égalité entre hommes et femmes. Le premier donne le cadre de travail et lie les différentes sphères gouvernementales et les citoyens, tandis que le second défini les objectifs spécifiques et les actions à mener.
Mme Espinosa a expliqué que les activités conduites au sein de l’Institut national des femmes étaient à l’origine de progrès significatifs. Six ans après son lancement, les 32 états de notre fédération sont dotés de mécanismes pour l’avancement des femmes. Ces mécanismes forment ensemble un réseau dont les parties partagent une même mission qui est d’intégrer la question du genre à tous les niveaux de l’action gouvernementale. L’autre institution de choix est le Programme national pour l’égalité des chances et la non-discrimination contre les femmes. Sous son égide, à la fin de 2006, 20 institutions fédérales –parmi lesquelles 10 ministères– auront adopté le Programme pour l’institutionnalisation de la perspective antisexiste, qui, a précisé la Représentante, a pour mandat de traquer les pratiques de discrimination dans les services publics et de les éliminer.
Au Mexique, l’inégalité est toujours la plus grande menace à laquelle nous devons faire face, la pauvreté et l’exclusion frappant davantage les femmes et les enfants, a renchéri Mme Espinosa. Le Programme d’opportunités en cours, tourné vers les pauvres, tient éminemment compte de l’égalité de traitement entre les genres. Grâce à cette initiative, 25 millions de Mexicains démunis reçoivent une aide éducative, sanitaire et alimentaire. Son évaluation prend en compte la nécessité de mettre l’accent sur l’amélioration des conditions d’existence des femmes.
Dans les zones rurales en particulier, nous œuvrons à l’accroissement de la scolarisation des jeunes filles au moins jusqu’au secondaire. Ainsi, à la fin 2004, 832% de femmes et 747% d’hommes avaient terminé leurs études secondaires. Au nombre des mesures d’encouragement à la poursuite des études, la Représentante a indiqué que, entre 2004 et 2005, sur les près de 6 millions d’étudiants bénéficiant d’une bourse, 51% étaient des jeunes filles. Le but, conformément aux Objectifs du Millénaire pour le développement, est de combattre la pauvreté extrême par le renforcement du système éducatif.
Sur le plan de la santé, Mme Espinosa a indiqué que l’assurance du peuple couvrait 8,5 millions de personnes, dont 41% sont issues des communautés autochtones. Ce programme fournit des soins gratuits aux femmes les plus démunies et s’adresse également aux familles dirigées par des femmes, qui représentent 73% des 2,5 millions de familles participant à ce programme. Le pourcentage de participation des femmes aux programmes d’aide sociale a augmenté de 4% entre 2004 et 2005.
Conscient du fait que la majorité des femmes occupent toujours des emplois sous qualifiés et mal rémunérés, le Gouvernement mexicain a enrôlé 58 agences dans un programme de politique publique visant à combattre les inégalités et promouvoir la justice entre les hommes et les femmes au travail.
En ce qui concerne la lutte contre les stéréotypes qui présentent la femme comme un être inférieur et engendrent l’exercice de la violence, le Mexique a revu ses programmes scolaires et manuels à destination des élèves du primaire. Des campagnes médiatiques sont menées pour renverser les clichés sexistes colportés par les traditions patriarcales qui figent hommes et femmes dans des rôles dépassés. Le défi consistant à faire baisser les indicateurs de violences faites aux femmes nécessite des changements dans les comportements sociaux et culturels, qui, par nature, ne peuvent être obtenus à court terme. En conséquence, le Mexique a mis en place des politiques dont les mandats visent à parvenir de manière progressive et démocratique à l’éradication de la violence.
Dans le cas particulier des meurtres de femmes dans l’état du Chihuahua, la création de la Commission pour la prévention et l’élimination de la violence à l’égard des femmes à Ciudad Juarez et de la Section spéciale chargée d’enquêter sur les meurtres de femmes démontre la volonté des autorités de mener à leur terme les enquêtes policières, de punir les criminels et d’apporter réparation aux victimes et à leur famille.
M. CORNELIS FLINTERMAN, expert des Pays-Bas, a jugé difficile la compréhension des nombreux rouages mis en place par le régime fédéral du Mexique. Comment le Gouvernement garanti-t-il l’application de la Convention dans tous les états, sachant que plusieurs d’entre eux appliquent encore des lois discriminatoires? De la même manière, si un état ne promulgue pas une loi égalitaire, quelles mesures contraignantes prévoyez-vous? a-t-il demandé.
Mme MARY SHANTHI DAIRIAM, experte de la Malaisie, a salué les liens établis entre la lutte contre la pauvreté, l’éducation et la promotion de la parité entre les sexes. Elle a demandé si des mesures temporaires spéciales pour assurer de facto l’égalité allaient être instaurées.
Mme VICTORIA POPESCU, experte de la Roumanie, s’est dite impressionnée par les efforts considérables entrepris pour établir et garantir l’égalité homme/femme. Toutefois, a-t-elle signalé, le terme « équité » est fréquemment usité dans votre terminologie, alors que la CEDEF n’utilise pas ce concept, mais celui d’égalité. En outre, a-t-elle poursuivi, comment assurez-vous l’unité du vaste mécanisme national traitant de la question de la femme?
Mme NAELA MOHAMED GABR, experte de l’Égypte, s’est quant à elle félicitée du système très élaboré de collecte de données ventilées par sexes utilisé par les instances gouvernementales. Elle a également salué ce qu’elle a qualifié de « véritable féminisation du budget national de développement social au Mexique ». Cependant, l’experte s’est inquiétée du flou entourant la situation des femmes autochtones. Qui a compétence pour suivre l’évolution de ce groupe particulier? Elle a recommandé à la délégation de fournir plus de données ventilées par origine ethnique.
De son côté, Mme PRAMILA PATTEN, experte de Maurice, a recommandé l’adoption rapide de mesures temporaires spéciales pour augmenter la représentation des femmes aux postes de décision.
La délégation a répondu à cette série de questions et commentaires en expliquant, qu’au niveau des états, des mesures étaient prises pour éliminer les dispositions législatives qui ne respectent pas la Constitution et engendrent des cas de discrimination. L’application conjointe des lois et des traités internationaux contribue à harmoniser l’action gouvernementale en matière d’égalité – action menée sous l’égide de l’Institut national des femmes. La Loi sur l’égalité des genres est elle-même un moyen pour garantir une harmonisation des conditions de vie entre entités étatiques.
S’agissant des stéréotypes machistes, 40 campagnes médiatiques pour surmonter l’image rétrograde de la femme ont été menées conformément aux dispositions prévues par la CEDEF. Des incidences très nettes se font déjà sentir au niveau de l’évolution des mentalités, en particulier chez les jeunes.
Toutes les agences du Gouvernement fédéral sont saisies de la problématique sexospécifique. C’est pourquoi, nous sommes passés en six ans de moins de 3% à 24% de la part du budget de l’État consacrée à l’égalité homme/femme. C’est en ce sens qu’ont été prises des mesures de discrimination positive pour diminuer les inégalités. Les statistiques ventilées dans ces domaines n’ont pas encore livré tout leur résultat.
Revenant sur les questions de terminologie, la délégation a dit que parler d’équité signifiait que le Mexique en était au stade de l’étape préalable à l’instauration d’une égalité de facto entre les sexes.
Au plan de la présence des femmes aux postes de décision, sa Représentante a fait savoir que les 32 états du pays étaient désormais dotés, au niveau municipal, d’instituts de promotion des femmes. Le but est d’installer rapidement un institut dans 230 des 400 communes que compte le pays. Ce réseau a été conçu pour résister aux changements de gouvernements.
Pour ce qui est du pourcentage de participation des femmes dans les instances politiques, la délégation a reconnu n’être pas parvenue au minimum des 30% prévus par les Nations Unies. Nous dénombrons seulement 24% de parlementaires femmes, c’est pourquoi une nouvelle réforme, visant à garantir la représentativité des femmes et leur accès aux postes parlementaires, est en cours d’élaboration. Mais l’enjeu central est de comprendre pourquoi les stéréotypes machistes si typiques de notre société persistent à bloquer les avancées sociales du Mexique. C’est à cette fin que sont organisés des ateliers de formation et de sensibilisation aux effets néfastes causés par les comportements marqués par le patriarcat.
Concernant le sort des femmes autochtones, la délégation a rappelé que le Mexique, avec 62 peuples autochtones, était l’un des plus multiculturels au monde. Dans un tel contexte, l’harmonisation de politiques dans le domaine de la santé reproductive par exemple est très compliquée. Ce problème se trouve accentué par l’extrême pauvreté qui frappe les communautés autochtones. Vingt millions de dollars ont été alloués pour développer le réseau routier de l’arrière pays. Les régions autochtones sont à présent largement désenclavées, ce qui facilite l’exploitation des ressources, une tâche particulièrement ardue qui incombait jusque-là aux femmes. L’installation de l’électricité et de l’eau potable, la scolarisation accrue des jeunes filles, l’attribution de bourses et le renforcement des services de santé, notamment maternels, ont eu un effet notable sur la réduction de la violence à l’égard des femmes.
Mme MARIA REGINA TAVARES DA SILVA, experte du Portugal, a d’abord noté le faible pourcentage de femmes aux postes importants, en particulier dans les sphères politiques et les branches consulaires. L’Institut national des femmes a certes réalisé quelques progrès, a-t-elle dit, mais il semblerait que la culture discriminatoire pratiquée par les partis politique et les syndicats empêche la promotion des femmes dans les rangs politiques et diplomatiques. Peut-être faudrait-il convenir de sanctions contre les partis politiques les plus réfractaires à la parité.
Mme Da Silva a demandé par ailleurs comment le Gouvernement fédéral faisait face aux disparitions et assassinats survenus dans la municipalité de Ciudad Juarez. Les chiffres pour la seule année 2005 sont effrayants, puisque 32 femmes ont été tuées dans des conditions atroces. Ce qu’indiquent les rapports, c’est que le phénomène est plus large, des violences du même types ayant lieu dans d’autres états.
Mme AROCHA, experte de Cuba, a déclaré que le niveau de violence de la société mexicaine inquiétait énormément le Comité. Quelles sont les causes des retards dans la conduite des enquêtes menées depuis 2003 à Ciudad Juarez? La reddition de la justice dans cette affaire en vue de dédommager, dans des délais acceptables, les victimes et les familles de victimes est défaillante. Par ailleurs, quel est exactement le rôle des états dans la lutte contre la traite des femmes?
La délégation a répété que seul le changement culturel et la prise de conscience pourraient inverser la tendance dans le domaine des relations entre les sexes. Il faut dépasser l’infériorité supposée de la femme et tous les types de comportements préjudiciables qui en découlent. Notre pays, plus qu’un autre, doit s’attacher à la défense et à la promotion des droits de la femme. Ateliers, séminaires, conférences, campagnes médiatiques: tout cela a pour visée de réduire la violence endémique en impliquant plus avant les femmes elles-mêmes à ce combat.
S’agissant du cas précis de Ciudad Juarez – qualifié de « féminicide » par sa représentante - la délégation a précisé que les ressources financières avaient augmenté de manière à ce que les autorités puissent, dans un premier temps, identifier avec précision l’identité des victimes. En 2005, une enveloppe de 31 millions de dollars a été affectée à l’indemnisation des victimes et de leur famille. La politique nationale s’est traduite par un renforcement de la présence fédérale à Ciudad Juarez. Le programme en cours s’appuie sur trois axes principaux, la recherche et la comparution en justice des coupables, la prise en charge des victimes et le renforcement du tissu social de la communauté.
Le Gouvernement de l’état de Chihuahua bénéficie ainsi d’un programme de sureté publique coordonné par une police fédérale préventive qui officie en coopération avec les acteurs de la société civile, chargés notamment de patrouiller dans les zones où la criminalité est la plus élevée. En 2005 et 2006, a précisé la délégation, ce sont près de 70 000 femmes qui ont été formées à la prévention des agressions sexuelles et des violences. Toutefois, il faut admettre qu’il est frustrant de noter que, entre 1995 et 2000, seulement trois femmes et fillettes disparues ont été retrouvées et ont pu regagner leur foyer, et cela au prix d’un effort collectif énorme. Pour autant, le système de renseignement RAID a permis la mise à jour de 339 dossiers relatifs aux assassinats de près de 400 femmes perpétrés en 13 ans. Cette avancée met à disposition des juridictions les éléments visant à déterminer l’auteur du crime, la cause de la mort et son mobile.
La violence au Mexique est structurelle, a repris la délégation. Elle est le fruit de systèmes patriarcaux qui pèsent de tout leur poids sur le développement culturel du Mexique. Les indicateurs les plus récents montrent la prévalence de la violence contre les femmes dans notre pays, notamment familiale. Dans 47% des 55 000 foyers sondés dans le cadre d’une étude, il est fait état de violences physiques, économiques, physiques ou sexuelles. Seule l’éducation pourra entrainer un renversement des valeurs en vigueur.
On ne connaît pas encore le nombre précis de victimes de la traite, a poursuivi la délégation. Vingt-deux des 32 états considèrent que ce trafic doit être sanctionné, en particulier celui impliquant des enfants destinés au marché de la pédophilie. En 2005, 51 sentences ont été prononcées dans le cadre de procédures de démantèlement de réseaux de traites des êtres humains. Pour ce qui est de la situation des femmes migrantes, la législation nationale prévoit que les victimes puissent bénéficier d’un statut spécial les autorisant à séjourner dans le pays le temps de la procédure judiciaire.
Plusieurs experts ont par ailleurs stigmatisé les conditions de travail précaire des femmes dans les entreprises de l’industrie « maquiladora », les zones franches basées dans le Yucatán. L’humanisation des chaînes de montage ne semble pas achevée à ce jour. Il est indispensable d’adopter des mesures pour que cessent les tests de grossesses pratiqués en dehors du droit du travail dans ces manufactures d’un autre temps. Qu’en est-il également de la situation de l’emploi des femmes rurales et autochtones?
La délégation a répondu que l’amélioration des conditions de travail des femmes dans l’industrie maquiladora se poursuivait. Dans 20 unités du Yucatán, 413 coordinatrices sociales ont été chargées d’humaniser les chaînes de montage. Les entretiens menés dans le cadre du Programme d’organisation productive des femmes autochtones a montré que celles-ci se disaient motivées pour se lancer dans des projets professionnels en phase avec leurs ambitions personnelles. S’agissant de la santé des femmes autochtones, chez qui l’on trouve les taux de mortalité maternelle les plus élevés, il apparaît urgent de prendre en compte les problèmes de malnutrition à l’origine de l’affaiblissement immunologique alarmant de cette population.
Outre la Chef de la délégation, les membres suivants ont pris la parole: M. Martin de la Rosa Medellin, représentant du Secrétariat pour le développement social; Mesdames Maria Guadalupe Morfin et Teresita Gomez de Leon del Rio, membres de la Commission pour la prévention et l’éradication de la violence à l’égard des femmes de Ciudad Juarez; M. Xochitl Galvez, Directeur général de la Commission nationale pour le développement des peuples autochtones; M. Hipolito Trevino Lecea, Secrétaire principal de la Commission de l’Institut national des migrations; et M. Lorena Rosalba Martinez Verduzco, Sous-Secrétaire au Secrétariat national du travail.
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