LAURÉAT DU PRIX DE LA LIBERTÉ MAX SCHMIDHEINY, KOFI ANNAN SOULIGNE LA NÉCESSITÉ DE METTRE LES SCIENCES DE LA VIE AU SERVICE DU PROGRÈS HUMAIN
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LAURÉAT DU PRIX DE LA LIBERTÉ MAX SCHMIDHEINY, KOFI ANNAN SOULIGNE LA NÉCESSITÉ DE METTRE LES SCIENCES DE LA VIE AU SERVICE DU PROGRÈS HUMAIN
Il propose également d’élaborer un cadre mondial pour atténuer les risques scientifiques potentiels
On trouvera ci-après le texte intégral du discours du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, Lauréat du prix de la liberté Max Schmidheiny, à l’Université de Saint-Gall, en Suisse, le 18 novembre:
Je dois tout d’abord remercier M. Gomez de ses propos aimables et vous dire aussi combien je suis ému de recevoir le prix de la liberté. Ému mais aussi rappelé à la modestie par la qualité exceptionnelle des personnes et des institutions –de Muhammed Yunus à la Croix-Rouge– à qui il a été décerné avant moi.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour venir recevoir ce prix en personne, mais je m’étais promis de le faire avant de quitter mes fonctions de Secrétaire général et je vous sais gré de votre patience.
Je prends aujourd’hui la parole devant un auditoire distingué qui rassemble les personnalités du monde universitaire et du secteur privé, sans parler des étudiants bien sûr, nos dirigeants de demain. Je le fais avec d’autant plus de plaisir dans ce décor où s’harmonisent les promesses de l’avenir et les fondements de la tradition, dans un centre de connaissance ultramoderne, serti dans l’éternelle beauté alpestre de Saint-Gall et des montagnes et des lacs qui l’environnent.
Peut-on imaginer meilleur décor pour le grand dessein de Max Schmidheiny, qui était d’encourager l’initiative scientifique, politique, industrielle et commerciale et faire valoir la responsabilité et la liberté de chaque être humain?
Je saisis donc l’occasion qui m’est donnée de vous parler de la responsabilité et du risque, des gageures qu’il faudra remporter dans le monde scientifique d’aujourd’hui.
Max Schmidheiny est né il y a près de 100 ans, à l’aube de ce qui allait devenir « le siècle de la physique », ces 100 années de révolutions et d’avancées prodigieuses qui ont posé la question décisive pour la survie de notre espèce : comment faire pour que le progrès de la science soit pour l’homme un instrument de progrès et non une arme de destruction?
Notre siècle sera paraît-il celui de la biologie. Les interrogations que la physique suscitait au XXe siècle, la biologie du XXIe siècle les pose avec encore plus d’acuité.
Les progrès extraordinaires des sciences de la vie – la biotechnologie surtout –ont ouvert sur la condition humaine certaines des perspectives les plus prometteuses de l’histoire. Ils ont donné à nos savants de nouveaux instruments dans des domaines qui vont de la sécurité alimentaire à la santé de l’espèce humaine. Certains de ces progrès ont été réalisés ici, en Suisse, qu’il s’agisse de la lutte contre la pharmacorésistance du paludisme ou des médicaments contre le virus de la grippe.
Grâce à la biotechnologie, les chercheurs créent dans le monde entier des vaccins inédits contre les virus anciens ou d’apparition récente qui font tous les ans des millions de morts et imposent aux pays en développement un fardeau qui dépasse leurs forces.
La génétique bactérienne permet de surmonter la résistance aux antibiotiques, et les technologies liées à l’ADN produisent l’insuline qui traite le diabète.
Les chercheurs avancent rapidement dans le domaine en plein essor de la médecine génomique et promettent une solution médicale aux tragédies que sont partout dans le monde le cancer et d’autres maladies chroniques.
Ils nous aident à protéger notre milieu en étudiant la sylviculture de repeuplement et en trouvant les moyens de réduire le recours aux pesticides.
Ils se regroupent pour mettre au point une prophylaxie plus efficace contre la propagation du VIH.
La biotechnologie peut être le miroir lumineux où se reflètent les progrès de l’homme au service des besoins de son espèce.
Pour que le bilan reste positif, il faut soigneusement veiller à maintenir l’équilibre de la science.
Nous avons récemment été témoins de cette promesse qui a consisté à recomposer à partir de rien le génome entier d’un virus. On a pu le faire avec le virus de la poliomyélite et celui de la grippe espagnole, maintenant disparu mais responsable en 1918 de dizaines de millions de morts.
Voilà des travaux scientifiques menés de mains de maîtres qui, moyennant les précautions nécessaires, enrichissent notre connaissance des virus.
Mais s’ils venaient à tomber entre de mauvaises mains, nous irions à la catastrophe.
Exploitée avec négligence ou sciemment détournée, la technologie peut infliger à l’humanité les fléaux les plus terribles, soit que des agents pathogènes soient accidentellement libérés dans le milieu, soit qu’un État ou un acteur non étatique déclenche intentionnellement une épidémie.
À mesure que la recherche biologique avance et que les technologies deviennent plus facilement accessibles, le risque d’accident ou de malveillance croît de façon exponentielle. Bientôt, des dizaines de milliers de laboratoires fonctionneront dans le monde, formant une industrie de plusieurs milliards de dollars. Même un profane travaillant dans un laboratoire artisanal sera capable de procéder à des manipulations génétiques. Et plus il y aura de laboratoires qui ne seront pas soumis à des normes de sûreté biologique assez strictes, plus augmenteront les chances d’erreur et d’accident.
Il n’existe pour l’instant aucun régime international de protection qui permettrait de gérer ce risque. Les scientifiques font certainement de leur mieux pour respecter les normes qui fixent la notion de responsabilité dans la recherche, mais l’effort entrepris pour harmoniser ces normes à l’échelle mondiale prend du retard par rapport au rythme effréné auquel avance la science elle-même et à l’évolution de ses pratiques.
C’est pourquoi ces derniers mois j’ai avancé l’idée de créer une instance mondiale de dialogue. Cette instance pourrait étudier comment faire en sorte que les avancées de la biotechnologie soient utilisées par tous pour le bien public, comment faire en sorte que les efforts faits par les pays pour tirer parti de la biotechnologie ne soient pas entravés par des obstacles inutiles, et comment apprendre à gérer les risques potentiels. Cette instance rassemblerait les diverses parties prenantes – les industriels, les scientifiques, les praticiens de la santé publique, les gouvernements et le public au sens large – afin de mettre au point un programme commun en partant de la base.
Déjà, de nombreux gouvernements et milieux spécialisés se sont félicités de cette idée. J’estime que le moment est venu de la développer.
Aujourd’hui, je voudrais envisager une initiative qui viserait à répondre plus en détail à deux questions principales:
Premièrement, comment tirer parti des bienfaits de la biotechnologie et de la recherche en sciences de la vie pour améliorer la vie des gens dans le monde? Il s’agit notamment d’améliorer la santé de l’homme et sa sécurité alimentaire et, ce faisant, de favoriser la croissance économique et de réduire les inégalités dans le monde. Il faudra pour cela rendre les technologies disponibles, encourager la transparence et promouvoir la coopération.
Deuxièmement, comment élaborer un cadre mondial pour atténuer les risques potentiels? Des suggestions ont été faites quant à la manière d’affronter les nombreux dilemmes auxquels se heurte la communauté des sciences de la vie face à ces risques. Ces suggestions vont des mesures volontaires, comme la promotion d’une culture de conscience à partir de laquelle des codes de conduite pourraient être élaborés, à des mesures juridiques, comme la création de nouveaux organes de régulation chargés de superviser les recherches délicates. Comment parvenir à un consensus pratique sur les mesures appropriées est une problématique qui exige un débat mondial ciblé.
Ces questions sont déjà examinées dans diverses instances. Le Comité international de la Croix-Rouge a essayé de porter le problème à l’attention des gouvernements, des milieux industriels et de la communauté scientifique. Le Centre international pour le génie génétique et la biotechnologie a rédigé un code de conduite à l’usage des scientifiques travaillant dans le domaine de la biotechnologie. Des organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé et de nombreuses académies des sciences nationales ont aussi travaillé dans des domaines connexes. Pour compléter ces efforts, les scientifiques eux-mêmes doivent être activement engagés dans le processus.
Et parmi les gouvernements, un dialogue international sérieux a commencé dans le cadre du suivi de la Convention sur les armes biologiques. Dans deux jours, les États parties à la Convention se réuniront à Genève pour leur sixième conférence d’examen. Je les exhorterai alors à ne ménager aucun effort pour mettre à contribution et développer leurs synergies et leurs capacités communes.
Nous sommes arrivés à un point semblable à celui où, durant les années 50, des citoyens, scientifiques, diplomates et fonctionnaires internationaux visionnaires se sont rendu compte de l’énorme impact potentiel de la puissance nucléaire. Le défi était alors d’utiliser la puissance de l’énergie nucléaire à des fins civiles tout en empêchant que les armes nucléaires ne se répandent. Le résultat a été la création de l’Agence internationale de l’énergie atomique et, finalement, l’adoption du Traité sur la non-prolifération nucléaire.
La réponse au dilemme que pose la biotechnologie sera très différente. Mais ce dilemme appelle une approche tout aussi visionnaire. Cette approche nécessitera des solutions novatrices adaptées à la nature de la science, et elle pourra avoir davantage en commun avec les mesures visant à lutter contre la cybercriminalité qu’avec l’activité menée pour maîtriser la prolifération nucléaire. Il faudra qu’elle garantisse que l’humanité ne soit pas privée des énormes avantages qu’offre la biotechnologie.
L’Organisation des Nations Unies est bien placée pour encourager, coordonner et faciliter une initiative en vue d’examiner ces questions. Elle a la composition universelle, la gamme de partenariats et la capacité de vulgarisation qui sont nécessaires. Elle a les moyens d’amener un large éventail de participants à la table du dialogue et de les y maintenir.
Pour réussir, nous avons besoin que vous nous inspiriez et nous appuyiez tous – universitaires, personnalités de la société civile, chefs d’entreprise et étudiants. Nous avons besoin de l’esprit de découverte et d’apprentissage qui anime les grandes institutions comme la vôtre. Nous avons besoin de l’esprit d’entreprise et de responsabilité individuelle qui motivait Max Schmidheiny, et qui motive encore aujourd’hui des milliers de gens comme lui.
Je vous remercie de m’avoir écouté aujourd’hui. Je remercie encore la Fondation pour l’honneur qu’elle m’a fait. Et je vous remercie tous de l’appui que vous avez apporté à l’Organisation des Nations Unies pendant les 10 ans où j’en ai été le Secrétaire général.
Je vais maintenant essayer de répondre à vos questions.
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