SG/SM/7923

A SALZBOURG, LE SECRETAIRE GENERAL ETABLIT LE LIEN ENTRE L'ANNEE DU DIALOGUE ENTRE LES CIVILISATIONS ET LA CONFERENCE SUR LE RACISME QUI COMMENCERA A DURBAN LE 31 AOUT

28/08/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7923


A SALZBOURG, LE SECRETAIRE GENERAL ETABLIT LE LIEN ENTRE L'ANNEE DU DIALOGUE ENTRE

LES CIVILISATIONS ET LA CONFERENCE SUR LE RACISME QUI COMMENCERA A DURBAN LE 31 AOUT


On trouvera ci-après l'allocution prononcée par le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, aujourd'hui à Salzbourg en Autriche, à l'occasion du "Dialogue de Salzbourg entre les civilisations" :


C’est avec le plus vif plaisir que je me joins à vous aujourd’hui, dans le cadre de cette manifestation qui témoigne du ferme soutien accordé par l’Autriche à l’Année des Nations Unies pour le dialogue entre les civilisations.


Le thème de votre manifestation est parfaitement d’actualité. Les nations européennes, et notamment l’Autriche, sont de plus en plus polyglottes et multiculturelles. Et dans le monde entier, les contacts entre les peuples se multiplient du fait de la mondialisation.


Le moment de cette manifestation est lui aussi parfaitement choisi. Dans trois jours, en effet, débutera en Afrique du Sud la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Je me rendrai directement en Afrique du Sud à la fin de ma visite à Salzbourg.


L’Organisation des Nations Unies elle-même a été créée avec la conviction que le dialogue peut triompher de la discorde, que la diversité est un bienfait universel et que les peuples du monde sont bien plus unis par leur destinée commune qu’ils ne sont séparés par leurs identités particulières.


Les termes de « civilisation » et de « culture » ne désignent pas des phénomènes historiques constants ou immuables. Ils désignent plutôt des organismes en constante évolution, que leur interaction conduit à toujours se transformer, se développer et s’adapter à des époques et des réalités nouvelles.


Ces termes ne renvoient pas non plus nécessairement à une croyance religieuse particulière. Il est extrêmement réducteur de parler de civilisation chrétienne, ou musulmane ou bouddhiste; parler ainsi revient à dresser des barrières là où elles n’ont pas lieu d’être.


D’ailleurs, les généralisations sur les civilisations sont démenties par l’expérience contemporaine. Les migrations, l’intégration et la technologie mettent en contact de plus en plus étroit des races, des cultures et des groupes ethniques différents, renversent les vieilles barrières et créent de nouvelles


réalités. Nous sommes, aujourd’hui plus que jamais, le résultat d’une grande diversité d’influences. Nous vivons aujourd’hui plus que jamais au contact à la fois de l’étranger et du familier.


Cela ne veut pas dire que chacun de nous ne puisse pas trouver de justes motifs de fierté dans son patrimoine ou dans sa foi. Non seulement nous pouvons, mais encore nous devons le faire. Par contre, l’idée que ce qui est « nous » entre nécessairement en conflit avec ce qui est « eux » est à la fois fausse et dangereuse. Nous pouvons très bien aimer ce que nous sommes sans haïr ce que nous ne sommes pas.


En quel sens, donc, l’idée de dialogue entre les civilisations est-elle utile?


Premièrement, elle constitue un juste et nécessaire contrepoids à l’idée d’un conflit inévitable entre les civilisations. En ce sens, elle nous offre une raison d’oeuvrer en faveur de la coopération.


Deuxièmement, et plus important encore, le dialogue peut nous aider à faire la distinction entre les mensonges et les faits, entre la propagande et une analyse rigoureuse. Cela peut se révéler particulièrement utile quand on veut découvrir les véritables griefs qui sont à la base d’un conflit donné.


Les Balkans nous ont offert, au cours des 10 dernières années, des exemples tragiques et sinistres de la façon dont on peut utiliser et manipuler l’histoire pour creuser les divisions et attiser les conflits. En effet, une forme de dialogue entre les civilisations qui durait depuis des siècles y a été annihilée par la violence. Dans le cas des Balkans, une meilleure compréhension de l’histoire, de la culture et de la religion aurait pu contribuer à aplanir les difficultés de la transition du communisme à la démocratie. Dans un environnement fondé sur le respect mutuel, on aurait pu s’attaquer aux véritables questions concernant les droits et les responsabilités des uns et des autres.


Au Moyen-Orient, la complexité des questions de territoire, de nation et de propriété en jeu a été aggravée par des divergences religieuses centrées sur une terre que trois confessions tiennent pour sainte. Dans le cas du Moyen-Orient, le dialogue pourrait aider à démêler les questions dites de civilisation et de religion des questions de politique et de territoire afin de dégager des réponses et des compromis respectueux de toutes les confessions.


Je ne veux pas dire par là que de graves et réelles questions de sécurité, d’autodétermination et de dignité ne sont pas en jeu. Mais un dialogue en paroles et en actes – c’est-à-dire en actions réciproques fondées sur une prise en compte authentique des griefs de l’autre partie – peut faire la différence et aider à trouver le chemin d’une paix durable.


Dans un monde idéal, nous n’attendrions pas d’être en plein conflit pour entamer ce genre de dialogue. Nous l’entamerions chaque fois et aussitôt que l’occasion s’en présente : partout où des tensions se font jour entre des communautés, partout où existe le dénuement, partout où des gens sont engagés dans l’épreuve incontestablement difficile de vivre ensemble.


C’est là l’une des principales motivations qui sous-tendent la Conférence mondiale contre le racisme. Nous voulons renforcer la lutte contre l’intolérance, en utilisant pour moyens le droit, l’éducation et le développement économique et social. Et nous voulons le faire avant que la multiplication des griefs et des préjugés n’échappe à tout contrôle et que d’autres peuples ne se retrouvent sur un champ de bataille à mener des guerres dont ils ne veulent pas et qu’ils n’ont pas les moyens de financer.


La Conférence se veut un appel à passer à l’action. Car l’intolérance est aussi largement répandue autour du monde qu’elle est pernicieuse.


Mais le problème n’est pas seulement de diagnostiquer le mal. Il faut aussi le traiter.


Nous ne devons pas démissionner face à la discrimination sous prétexte qu’elle fait inéluctablement partie de la nature humaine. De même qu’on peut apprendre aux gens à haïr, on peut en effet leur apprendre à traiter l’autre avec dignité et respect.


Nous ne devons pas non plus accepter l’intolérance sous prétexte qu’elle serait une conséquence inévitable de la pauvreté, de l’injustice ou d’un mauvais gouvernement. Il nous est parfaitement possible, en effet, de changer ces données.


Nous ne devons pas enfin rester passifs face à des discours incendiaires sous prétexte que les mots ne peuvent pas vraiment blesser. Les discours incendiaires ouvrent en effet trop souvent la voie à des actions hostiles qui, à leur tour, se prêtent à une escalade qui conduit à des actes de violence, à des conflits et à pire encore.


Nous devons tous monter au front. Les gouvernements, en ce qui les concerne, peuvent faire en sorte que des garanties constitutionnelles, législatives et réglementaires soient en place. Ils sont aussi les mieux placés pour s’attaquer aux problèmes comme le chômage qui alimentent l’intolérance. Les présidents et les premiers ministres devraient prendre la tête d’un dialogue national dans ce domaine.


L’éducation a, bien entendu, un rôle crucial à jouer. Mais l’éducation n’est pas le domaine réservé de l’école. Certains pays ont ainsi pris des mesures particulières en vue de faire recruter des journalistes immigrants par leurs sociétés de radiotélédiffusion nationales et régionales. Le secteur privé peut, de son côté, sensibiliser le public par ses propres pratiques en matière de recrutement et dans d’autres domaines. Et l’éducation doit commencer à la maison, car c’est là que bien des comportements racistes trouvent leur origine.


Cette entreprise a bien entendu une dimension internationale. Ainsi, ce sont souvent des traités signés sous les auspices des Nations Unies qui inspirent les législations nationales. Et notre action en faveur du développement, nos opérations de maintien de la paix, nos programmes de défense des droits de l’homme et d’aide humanitaire reposent tous sur le principe d’égalité.


À l’heure actuelle, une partie du travail le plus important dans ce domaine est effectué par les Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. Les condamnations récentes pour faits de génocide, viols, crimes de guerre et crimes contre l’humanité représentent des progrès importants dans la lutte pour la responsabilité pénale et contre l’impunité. J’espère vivement que nous atteindrons bientôt les 60 ratifications nécessaires pour que le Statut de la Cour pénale internationale entre en vigueur et que la Cour trouve sa place dans le système juridique international.


J’espère aussi que l’Autriche participera activement à la Conférence de Durban et fera bénéficier les autres nations de son expérience en matière de lutte contre la discrimination et l’intolérance.


Cette conférence tentera de déboucher sur une déclaration et un programme d’action assortis de recommandations précises, pratiques et orientées vers l’avenir sur les moyens grâce auxquels les États et la société civile pourraient préserver le siècle qui commence d’un racisme qui a tellement meurtri le siècle précédent.


Pour cela, nous devons jeter un regard sans complaisance sur nous-mêmes et sur les défauts des sociétés que nous avons édifiées. La Conférence devra aussi regarder le passé en face, mais, surtout, elle devra contribuer à définir de nouvelles orientations dans la lutte future contre le racisme.


Parallèlement à la riche diversité des civilisations, des cultures et des sociétés du monde, il existe aussi, j’en suis convaincu, une civilisation mondiale que nous sommes appelés à défendre et à diffuser au seuil d’un nouveau siècle.


C’est une civilisation qui se caractérise par son attachement aux droits et libertés universels, sa tolérance à l’égard des dissidences et sa conviction que les individus, partout, ont le droit de se prononcer sur la façon dont ils sont gouvernés.


C’est une civilisation fondée sur la conviction que la diversité est une raison de se réjouir et non d’avoir peur. Car en vérité beaucoup de guerres ont leur origine dans la peur que les gens ont de celui qui est différent d’eux. Il n’y a que par le dialogue que l’on peut surmonter cette peur.


L’ONU, quand elle est au meilleur d’elle-même, est une enceinte où le dialogue entre les civilisations peut s’épanouir et porter ses fruits dans tous les domaines de l’activité humaine. Au début du mois de décembre, l’Assemblée générale consacrera au dialogue une session extraordinaire qui offrira une nouvelle occasion de poursuivre le combat contre les stéréotypes et les malentendus et pour la compréhension mutuelle et la réconciliation.


Il faut que ce dialogue entre les civilisations se poursuive au-delà de l’année qui porte son nom. L’un des principaux enseignements que l’ONU a tirés de son premier demi-siècle d’existence est en effet que, faute d’un dialogue quotidien au sein des nations et entre elles, il ne saurait y avoir de paix et de prospérité durables. Je me réjouis à la perspective d’essayer avec vous de donner son vrai sens au dialogue et de trouver le chemin d’une coexistence pacifique et durable.


Je vous remercie.


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