L’EXPLOITATION COMMERCIALE DES SAVOIRS TRADITIONNELS ET L’ACCES AUX PRODUITS PHARMACEUTIQUES AU CŒUR DU DEBAT SUR LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
Communiqué de presse PMA/119 |
Troisième Conférence des Nations Unies
sur les pays les moins avancés
L’EXPLOITATION COMMERCIALE DES SAVOIRS TRADITIONNELS ET L’ACCES AUX PRODUITS PHARMACEUTIQUES AU CŒUR DU DEBAT SUR LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
Bruxelles, 15 mai -- L’économie actuelle fondée sur le savoir a mis en exergue le rôle des droits de propriété intellectuelle dans le développement durable. Il y a dix ans, le nombre de brevets s’élevait à environ 15.000 contre 91.000 aujourd’hui. Partant de cette «véritable explosion de la propriété intellectuelle», la Troisième Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés -PMA III- a tenu un dialogue interactif sur le thème «propriété intellectuelle, un instrument de création de richesses». Le débat a été organisé par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et co-présidé par le Ministre malgache de l’information, de la culture et des communications,
M. Fredo Betsimifira, et le Ministre brésilien de la science et de la technologie, M. Ronaldo Sardenberg.
En dépit de leurs efforts pour ériger des systèmes de propriété intellectuelle, les PMA demeurent confrontés au manque de ressources, à la faiblesse des infrastructures en matière de propriété intellectuelle, à la pénurie de personnel qualifié et à l’insuffisance des connaissances et d’informations sur les traités et les conventions relatifs à ces droits. Lancé par le Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et Secrétaire général de PMA III, M. Rubens Ricupero, le débat de cet après-midi a fait suite à la table ronde interrégionale pour les PMA qui s’est tenue à Lisbonne les 1er et 2 février 2001 et qui a donné lieu à l’adoption de la Déclaration de Lisbonne contenant des recommandations sur la manière de renforcer les institutions des PMA dans le domaine de la propriété intellectuelle.
A Lisbonne comme, cet après-midi, à Bruxelles, la question de la protection du savoir traditionnel a été soulevée. En effet, du fait de l’absence de normes juridiques claires, les connaissances traditionnelles sont utilisées pour la fabrication de nouveaux produits sans pour autant que les détenteurs originels de ces savoirs ne profitent des avantages tirés de la commercialisation de ces produits. Une autre question importante a été celle de l’accès aux produits pharmaceutiques pour le traitement des pandémies notamment celle du VIH/Sida. A cet égard, le représentant de la Commission européenne a rappelé la décision de l’Union européenne de dissocier complètement les achats de médicaments de toutes les autres formes d’aide au développement. Rappelant aussi la demande de l’Union concernant la mise en place d’un mécanisme efficace de tarification modulée pour les principaux produits pharmaceutiques, le représentant a dit la disposition de l’Union européenne de poursuivre le dialogue sur la question ainsi sur celle du transfert des technologies.
Pour cette question comme pour d’autres, les participants au débat se sont mis d’accord pour confier le premier rôle à l’OMPI. Ainsi, le Directeur général adjoint de l’OMPI, M. Roberto Castelo a dressé les grandes lignes des actions futures de l’OMPI concernant le transfert des connaissances aux PMA; la création des richesses découlant des savoirs traditionnels, du folklore et des ressources génétiques; les activités d’invention et d’innovation dans les PMA; la promotion de l’établissement de sociétés de gestion collective; et l’aide aux petites et moyennes entreprises*. A cet égard, le Ministre malgache de l’information, de la culture et des communications a demandé la création d’un fonds de solidarité pour financer les projets en matière de propriété intellectuelle.
Demain à 9 heures 30, la Troisième Conférence de l’ONU sur les PMA tiendra un dialogue interactif sur le renforcement des capacités dans le domaine de la santé.
Propriété intellectuelle et développement : un instrument de création de richesses
Déclarations
M. RUBENS RICUPERO, Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a ouvert le débat interactif sur la propriété intellectuelle en déclarant que PMA III était un événement différent des deux premières rencontres sur la même question, parce qu’elle doit aboutir à l’adoption de recommandations tournées vers l’action. Les PMA ont besoin de mesures concrètes sur la paix et la sécurité, les investissements et autres questions importantes pour eux, et la formule adoptée pour cette Conférence vise à susciter un dialogue réel entre partenaires pour parvenir à des solutions pragmatiques. Nous ne sommes pas à la recherche de la répétition de principes de politique générale, a dit M. Ricupero. Le thème de la propriété intellectuelle comme facteur de création de richesses, qui entre dans les mandats de la CNUCED, devrait susciter un débat intéressant. Que ce débat soit modéré par un Ministre de Madagascar et un autre du Brésil, est le signe de l’intérêt que tous les pays doivent porter à la propriété intellectuelle.
Prenant ensuite la parole pour des observations liminaires, M. ROBERTO CASTELO, Directeur général adjoint de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), a dit que les documents soumis aux délégations pour la tenue de ce débat avaient été conçus avec le soutien de la CNUCED. Comment peut-on mettre le système des droits de propriété intellectuelle au service et au bénéfice des PMA? a-t-il demandé, ajoutant qu’il fallait faire un bilan, sur cette question, de l’action de la communauté internationale depuis la dernière Conférence sur les PMA. Le développement technologique, notamment en matière de communication et d’information, a contribué ces dernières années à la marginalisation des PMA. Le nombre de brevets s’élevait à environ 15 000 il y a dix ans au niveau mondial, alors qu’aujourd’hui, il est de 91 000. Il y a donc eu une véritable explosion de la propriété intellectuelle et de la prise de brevets et patentes. L’OMPI compte dans ses rangs tous les PMA du monde, qui y ont autant de droits que les autres pays. Les connaissances sont devenues le premier moteur de l’économie mondialisée. Il faudrait aller, a dit M. Castelo, au-delà de la simple intégration des PMA dans la mondialisation, car lorsqu’on est intégré, il faut aussi être un acteur actif. L’acquisition des technologies doit se faire de manière pertinente et sélective, et de manière rapide, car les technologies sont périssables.
La pauvreté des PMA appelle une assistance coordonnée des pays riches en matière de transfert de connaissances, si l’on veut obtenir des résultats tangibles. Avant cette Conférence, l’OMPI a tenu quatre réunions régionales pour le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Asie, et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Les réunions ont débouché sur une rencontre à Lisbonne, où il a été conclu que la question de la propriété intellectuelle devait être discutée pour être mise au service du développement. L’«Académie de l’OMPI», fondée par notre direction actuelle, est un outil conçu pour faciliter la divulgation et la circulation des connaissances a indiqué M. Castelo. Notre bibliothèque réunit toutes les publications scientifiques et techniques pour les mettre à la disposition des chercheurs du Sud. Lorsqu’on discute aujourd’hui de questions de propriété intellectuelle : biotechnologie, savoirs traditionnels etc., il est clair que ces sujets intéressent les PMA, et nous devons préparer les responsables de ces pays à comprendre ces questions qui les concernent.
On se souvient des mots de M. Thabo Mbeki, Président de l’Afrique du Sud, qui à la Havane, a dit que le développement, c’était donner aux familles les moyens de vivre dans la dignité. Les droits de propriété intellectuelle sont un élément fondamental de mise en œuvre de cette vision. L’OMPI a développé un programme de formation à distance par Internet pour aider les étudiants, chercheurs et officiels des pays en développement, à comprendre la question dont nous traitons. L’OMPI a aussi créé un réseau mondial sur la propriété intellectuelle, qui inclut les PMA. Les pays en développement doivent bénéficier des mêmes outils que ceux dont se servent les pays riches. Il ne doit pas y avoir de développement au rabais, et l’OMPI a l’ambition de soumettre à ses Etats membres la proposition de créer une banque de données de droits de propriété, pour donner aux PMA et à leurs ressortissants les moyens de récupérer les recettes de droits d’auteur que le monde développé leur doit, leurs connaissances étant en ce moment exploitées sans rien en retour. Les ressources génétiques et biologiques, et les richesses des folklores populaires, de l’artisanat, des médecines traditionnelles, sont d’autres domaines dont les PMA pourraient tirer avantage.
M. FREDO BETSIMIFIRA, Ministre de l’information, de la culture et des communications de Madagascar, a constaté que de toute évidence, le village planétaire est mal préparé à digérer démocratiquement les fruits du progrès. Partant, pour lui, la question est de savoir comment l’OMPI peut faire valoir le point de vue selon lequel la propriété intellectuelle peut constituer un levier du développement. Le Ministre a voulu que la troisième Conférence examine les nouvelles opportunités qui s’offrent en mettant l’accent sur la volonté d’appropriation des PMA. Dans ce cadre, il a mis l’accent sur la nécessité de protéger le savoir traditionnel. La mise en valeur des institutions et des connaissances humaines, a-t-il souligné, dépend d’un environnement national favorable et d’un climat international propice.
A son tour, M. RONALDO SARDENBERG, Ministre brésilien de la science et de la technologie, a estimé que le moment est venu de contribuer à l’intégration des PMA dans la nouvelle économie mondiale fondée sur le savoir et dans laquelle les technologies modernes sont au cœur des progrès économiques. Commentant les recommandations de l’OMPI, il a pris note de la Déclaration de Lisbonne qui, selon lui, constitue une plate-forme « concise et pertinente » pour la suite des évènements. Il a aussi abordé la question du savoir traditionnel pour appeler à la protection des droits des communautés locales. Cette forme du savoir, a-t-il dit, n’est pas seulement une base pour la médecine et l’agriculture mais aussi un élément important du mode de vie des sociétés. Ce savoir, a-t-il insisté, joue un rôle dans la protection de la biodiversité et la répartition des bénéfices. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que la valeur économique de ce savoir n’augmentera qu’avec les progrès de la recherche et du développement. Venant au VIH/sida pour conclure, M. Sardenberg a affirmé que les programmes de lutte contre le VIH/sida que le Brésil a mis au point peuvent être transposés à d’autres PMA.
Débat
Le représentant d’Haïti a exprimé sa reconnaissance à l’OMPI pour son soutien à la création d’un bureau de droits d’auteur à Haïti et pour la création du Bureau pour les PMA au siège de l’OMPI elle-même. Haïti souhaite que l’expérience qui existe en Jamaïque en matière de protection des droits culturels soit transposée en Haïti pour protéger la richesse de la culture créole du pays qui peut être une source de revenus substantiels. Haïti veut que ses artistes puissent décemment vivre de leur métier et de leur imagination et souhaitent que les tribunaux spéciaux soient à l’écoute des contentieux qui existent entre différentes sociétés de droits d’auteurs.
Réagissant à cette intervention, M. CASTELO, Modérateur du débat, a dit que la Jamaïque avait bénéficié de la notoriété de sa musique reggae, qui est à nulle autre pareille, pour recouvrer les droits de propriété intellectuelle non seulement de ses artistes, mais aussi de la musique reggae elle-même, reconnue comme un label national, et qui est interprétée à travers le monde. Les revenus tirés de ces droits sont aujourd’hui de plusieurs millions de dollars chaque année. Prenant la parole après lui, le représentant du Burkina Faso a proposé que les droits de propriété intellectuelle soient enseignés dans les programmes scolaires dans le secondaire et le supérieur. Le Burkina Faso soutient la déclaration ministérielle de Lisbonne. M. Fredo Betsimifira a estimé que des mesures devaient être prises pour assurer que les dossiers en contentieux dont avait parlé le représentant d’Haïti soit traités par des professionnels. Quant au recouvrement et à la distribution des ressources tirées du paiement des droits d’auteur, Madagascar a mis en place un système de partenariat unissant les structures officielles aux artistes. Ce système a cependant ses insuffisances, qui pourront être surmontées avec une informatisation de la gestion des dossiers.
Le représentant du Mozambique a informé les participants au débat que son pays avait déjà créé un cadre de protection de la propriété intellectuelle qui a pour ambition d’atteindre l’efficacité de celui qui existe dans des pays plus développés. Il a demandé que le portugais soit introduit comme langue de travail à l’OMPI pour permettre aux pays lusophones de mieux travailler avec cette institution. Répondant à cette intervention, M. Ronaldo Sandenberg, a dit que l’usage du portugais prôné par le Mozambique recevrait sans aucun doute le soutien de la Conférence des pays lusophones.
En tant que PMA, a dit le représentant du Cambodge, notre pays a reçu l’aide de l’Académie de l’OMPI en matière d’aide à la compréhension des règles de propriété intellectuelle. Dans le cadre du réseau WIPONET, nous travaillons en vue de renforcer la participation de notre pays au système international tout y prouvant la défense de nos intérêts nationaux. Intervenant après lui, la représentante de la Guinée a dit que depuis les Conférences sur les PMA tenues à Paris, le sort des populations des PMA s’était aggravé. Les PMA ont besoin d’un renforcement des capacités humaines en matière de droits d’auteur et de propriété intellectuelle. La Guinée demande donc à l’OMPI de l’aider à former des cadres dans ce domaine, et elle appelle les pays qui en ont les moyens à accorder des bourses d’études à des étudiants dans ce domaine. Notre délégation soutient l’adoption d’une convention sur les savoirs traditionnels, dont le texte est à l’étude en ce moment à l’OMPI. La Guinée attache aussi la plus grande importance à l’accès aux médicaments essentiels en faveur des populations affectées par les maladies infectieuses et autres pandémies.
Le représentant de Madagascar a souligné l’importance du transfert de technologies vers les PMA. Madagascar aimerait connaître les actions engagées par l’OMPI sur cette question depuis le sommet de Lisbonne. La création d’un fonds de solidarité en faveur des PMA et la création d’un poste de procureur avaient été proposées à Lisbonne. Madagascar aimerait savoir ce qu’il en est advenu.
Quand on parle de transfert de savoir, on parle d’un sujet important lui a répondu M. Roberto Castelo, qui a ensuite dit que l’OMPI avait créé des mécanismes pour concrétiser cette recommandation dans le cadre de son Académie. Les activités de formation à distance par Internet sont aussi des mesures de transfert de savoir, a-t-il estimé. Le renforcement de ces programmes dépendra des ressources budgétaires disponibles, et l’OMPI espère que des pays donateurs l’assisteront dans cette tâche. Prenant la parole après lui, le représentant du Yémen a souhaité que l’interaction entre les PMA et l’OMPI en matière de protection des savoirs traditionnels soit renforcée, au vu de la valeur commerciale des applications de ces connaissances.
A sa suite, le Ministre du commerce et de l’industrie du Tchad s’est réjoui que son pays ait été sélectionné par l’OMPI pour bénéficier des activités du réseau d’informations numériques WIPONET. Le Tchad appuie la déclaration de la Guinée en ce qui concerne l’accès des populations aux médicaments essentiels, a dit le Ministre, et il soutient les conclusions de la réunion régionale qui s’est tenue à Yaoundé au Cameroun sur l’accès des malades du sida aux médicaments rétroviraux. Un accord a été signé à Bangui par les membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle. Le Tchad aimerait que l’OMPI aide les pays africains à mieux maîtriser les différents aspects de cet accord et des éléments dont il traite.
Intervenant à son tour, le représentant de la Commission européenne est intervenu sur la question du transfert des technologies en se déclarant disposé à poursuivre le dialogue avec les PMA. Pour ce qui est de l’accès aux soins médicaux, il a rappelé les initiatives de l’Union européenne et insiste sur la nécessité de poursuivre le dialogue. Pour sa part, la représentante de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a souligné le rang de priorité qu’il faut donner à la mise en place des infrastructures.
M. SANDENBERG a estimé, en conclusion, que le débat interactif a pu démontrer que le concept de la propriété intellectuelle, en tant qu’instrument de création de richesses, devait être lié à toutes les questions de développement. Les demandes faites par les Etats en matière de renforcement de leurs capacités humaines et institutionnelles, et leur appel à une aide pour la modernisation de leurs législations grâce au réseau mis en place par l’OMPI, sont une démonstration de l’importance qu’ils attachent à cette question, a dit M. Sandenberg.
Intervenant à son tour pour faire des remarques de clôture, M. BETSIMIFIRAF a estimé que le développement de cadres juridiques et réglementaires est indispensable dans les PMA, si ces pays veulent tirer parti des régimes de propriété intellectuelle. La création de synergies institutionnelles pour favoriser la collaboration entre différents départements ministériels et autres organes d’un même pays sur la question des droits de propriété intellectuelle favoriserait le respect et la promotion de ces droits. Quant au transfert de technologie, il peut se faire de manière rapide quand on met les technologies concernées entre les mains d’une population jeune et avide de nouveauté et d’innovation. Concernant les questions relatives aux propositions faites à Lisbonne sur la création d’un fonds de solidarité en faveur des PMA, et sur la création d’un poste de procureur des droits de propriété intellectuelle, dont le titulaire veillerait à la défense des intérêts des pays qui n’ont pas eux-mêmes les capacités pour le faire, elles démontrent tout l’intérêt que la communauté internationale accorde au potentiel de ces droits en matière de mobilisation de ressources et de la création de richesses.
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