Conseil de sécurité: démissionnaire, le Coordonnateur spécial pour le Moyen-Orient présente ses dernières réflexions; vifs échanges entre Israéliens et Palestiniens
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La séance mensuelle que le Conseil de sécurité consacre à la « situation de Palestine » a été aujourd’hui marquée par de vifs débats. Démissionnaire, le Coordonnateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland, a présenté des « réflexions finales » alors que les membres du Conseil revenaient sur le veto mis il y a cinq jours par les États-Unis au dernier projet de résolution présenté par les 10 membres élus du Conseil ou commentaient le mandat d’arrêt lancé le 21 novembre par la Cour pénale internationale (CPI) contre, entre autres, le Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou.
C’est M. Muhannad Hadi, l’adjoint de M. Wennesland absent au début de la réunion, qui a lu le discours de ce dernier avant qu’il ne rejoigne la séance. M. Wennesland y tire un sombre bilan de la situation à Gaza, marquée par 44 000 morts du côté palestinien, tandis que 1 700 Israéliens et ressortissants étrangers ont été tués au cours des 13 mois du conflit et que 101 Israéliens sont toujours détenus dans des conditions « effroyables ». « Au milieu de l’horreur inimaginable de plus d’un an, je crains que, même après que les armes se seront tues, nous ayons perdu l’espoir d’un avenir meilleur et que nous ayons mis fin à des décennies de dur combat en faveur d’institutions », a commenté le Coordonnateur spécial.
M. Wennesland a notamment tiré l’alarme face tant au pillage des fournitures humanitaires par des groupes armés palestiniens qu’au niveau largement insuffisant d’aide humanitaire autorisée par Israël à entrer dans la bande de Gaza. À ce titre, il a exhorté Israël à remplir ses obligations en facilitant le passage de l’assistance sur l’intégralité du territoire.
Le Coordonnateur spécial s’est également inquiété de l’érosion potentielle du territoire de Gaza, notant qu’Israël semble en train de mettre en place des zones tampons sur des terres agricoles. Il s’est de même inquiété que des ministres du Gouvernement israélien aient appelé à l’implantation de colonies à Gaza.
Enfin, partageant quelques observations finales lors de sa dernière intervention devant le Conseil de sécurité, il a appelé l’audience à reconnaître que la capacité de la Palestine à gouverner son territoire est délibérément minée. Si ces efforts de sape devaient aboutir, alors l’effondrement des principes et des structures institutionnelles aurait un effet d’entraînement qui pourrait s’étendre bien au-delà du Moyen-Orient, a-t-il averti.
La même mise en garde a été également formulée, en d’autres termes, par l’État de Palestine. Gaza deviendra « soit le cimetière du droit international, soit la terre de sa résurrection », a lancé son Observateur permanent, Riyad Mansour. Dans ce cadre, il a évoqué la simplicité du choix auquel est confrontée la communauté internationale, accusant Israël de compter sur la capitulation des Palestiniens, des gouvernements du monde entier, de l’ONU et des tribunaux internationaux.
M. Mansour a aussi rappelé le mandat d’arrêt lancé par la CPI contre le Premier Ministre israélien. Celui-ci, « loin de Dreyfuss », n’est pas attaqué en justice par la Cour pour sa foi, mais pour ses crimes, a-t-il lancé. La CPI, mais aussi la Cour internationale de Justice (CIJ), le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, le Secrétaire général et les Nations Unies ne sont pas antisémites, a-t-il martelé, appelant à rejeter les tentatives visant à diffamer comme tels les efforts en faveur du respect du droit international.
« Écoutez la communauté internationale, écoutez le droit international, écoutez ce que les Nations Unies représentent », a lancé un peu plus tard M. Mansour au représentant d’Israël avant de menacer: « Nous parviendrons à vous faire écouter et comprendre, ou nous vous forcerons à écouter ».
Le représentant d’Israël lui a opposé une réponse cinglante, estimant que la CPI est devenue « un cirque » qui affaiblit le droit international et, surtout, sa légitimité en lançant un mandat d’arrêt contre des dirigeants démocratiquement élus, qui réagissent à la suite du plus grand massacre de Juifs depuis l’Holocauste. Accusant l’institution de poursuivre des desseins politiques, M. Dany Dannon l’a taxée de « terrorisme diplomatique ».
Les dommages au système international ne seront jamais réparés, a poursuivi le représentant, s’insurgeant qu’Israël soit victime d’un tel « dévoiement du droit international » alors même que le Président de la Syrie Bashar al Assad est encore au pouvoir « après la mort d’un demi-million de Syriens ». Les États-Unis ont eux aussi critiqué la décision de la CPI, arguant que cette décision dépasse les compétences de la Cour et compromet les efforts de paix.
D’autres délégations ont souhaité s’exprimer sur l’impasse dans laquelle se trouve le Conseil de sécurité en déplorant le veto des États-Unis du 21 novembre. Pour l’Algérie, la paralysie du Conseil remet en question jusqu’au sens même du multilatéralisme. Chaque heure qui passe, la machine de guerre israélienne cause des souffrances inimaginables, a déploré son représentant, qui a lancé un appel à l’action, pour que prenne fin cette effusion de sang et de racisme provoquée par la Puissance occupante.
Attribuant à l’inaction du Conseil de sécurité un rôle dans chaque épisode sanglant traversé par la région, la Fédération de Russie a estimé que ce sont les États-Unis qui l’empêchent de s’acquitter de son mandat. « Le veto américain de mercredi dernier démontre qu’Israéliens et Américains ne s’intéressent ni au sort des Palestiniens ni à la libération des otages », a ajouté le délégué russe. La Chine a également exprimé ses regrets après un veto qui, pour elle, a empêché le Conseil de sécurité d’adopter une résolution visant à un cessez-le-feu à Gaza. Au contraire, le représentant israélien s’est de nouveau félicité de ce que le Conseil de sécurité n’ait pas adopté le texte présenté, estimant qu’il abandonnait à leur sort les otages.
La question de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a également été soulevée, et plus particulièrement les récentes dispositions israéliennes prises à son encontre. La Fédération de Russie a exhorté Israël à revenir sur sa décision de retirer à l’agence toute possibilité d’agir sur le terrain, faute de quoi ce qui reste de Gaza s’effondrera. Dans cette décision, mais aussi dans le mépris d’Israël pour la résolution 2735 (2024) et les tentatives d’annexion de la Cisjordanie, le délégué a vu une volonté de mettre la région face au fait accompli. Le Royaume-Uni a lui aussi dénoncé les lois récemment adoptées par le Parlement israélien contre l’UNRWA, estimant qu’elles menacent gravement la réponse humanitaire à Gaza et pourraient paralyser les services de santé et d’éducation. Enfin, les États-Unis ont appelé à accroître l’assistance humanitaire pour répondre aux besoins urgents, notamment via l’agence onusienne.
Un autre problème évoqué à plusieurs reprises tient à la dérogation qui permet au système bancaire israélien de coopérer avec les banques palestiniennes, laquelle arrive à échéance à la fin du mois. M. Wennesland a appelé Israël à cesser d’utiliser le renouvellement de cette dérogation comme une menace, ce qui risque d’aggraver l’instabilité économique, à l’instar d’autres mesures unilatérales qui compromettent la stabilité budgétaire de l’Autorité palestinienne.
Les États-Unis et le Royaume-Uni se sont fait l’écho de cette requête. Les premiers ont préconisé une prolongation des services bancaires offerts à l’Autorité palestinienne pour éviter son effondrement économique, et le second a également exhorté Israël à libérer les recettes fiscales retenues, se déclarant particulièrement inquiet de la situation économique en Cisjordanie.
La situation en Cisjordanie a elle aussi fait l’objet de discussions, plus particulièrement autour de la question des colonies. Les États-Unis ont ainsi réitéré leur opposition aux propositions d’annexion de la Cisjordanie, ainsi qu’aux violences perpétrées par les colons israéliens contre des civils palestiniens, estimant que celles-ci contreviennent au droit international et risquent de compromettre la stabilité régionale.
Le délégué américain a notamment fait observer que son pays a imposé des sanctions à 17 individus —dont 3 la semaine dernière— et à 16 entités — notamment l’organisation Amana— qui exproprient des terres en Cisjordanie et y installent des colonies illégales. M. Wennesland a quant à lui dénoncé certains ministres israéliens qui se sont mobilisés en faveur de l’annexion de la Cisjordanie occupée. Il a tenu à rappeler qu’une telle entreprise constitue une violation du droit international et doit être fermement rejetée.
Pour sa part, la France s’est exprimée au sujet du Liban. Elle a souhaité que soit renforcée l’action de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), qui doit pouvoir exercer sa liberté de mouvement, « tout en restant dans le cadre de son mandat ». De la même manière, le Gouvernement libanais doit poursuivre le déploiement de ses forces armées au sud du fleuve Litani. Sur ce dernier point, le représentant a rappelé que la Conférence de Paris du 24 octobre dernier avait permis de mobiliser 200 millions de dollars, en sus de 800 millions de dollars pour l’aide humanitaire. « C’est dans cet esprit que la France reste pleinement engagée et poursuit activement ses contacts avec les différents acteurs pour parvenir à un cessez-le-feu et à une stabilité durable le long de la Ligne bleue », a-t-il signalé.
La fin de la séance a été marquée par une série d’échanges directs entre l’Observateur permanent de l'État de Palestine et le représentant israélien. « Vous n’écoutez pas les voix des membres du Conseil de sécurité. Certains d’entre eux vous conseillent en solidarité avec vous mais vous ne les écoutez pas », a notamment lancé le premier au second. « Quand parlerez-vous au Hamas? » a répliqué le représentant israélien, ajoutant: « Ce que je vous propose, c’est l’avenir, c’est de débattre de l’avenir des Palestiniens à Gaza. Mais pour cela, il faut dire non, non pas à Israël, mais au Hamas. Si vous voulez avancer, vous devez dire non au Hamas et oui à la coopération ».
En fin de séance, M. Wennesland a repris la parole, cette fois-ci en personne. Avant de remercier ses collègues et interlocuteurs à l’ONU, en Israël et en Palestine, il a fait part de sa « frustration » face à l’absence de résultats de l’action conjuguée du Conseil de sécurité et de la communauté internationale en vue d’un cessez-le-feu et de la libération des otages. « Il est difficile de traiter de manière impartiale avec les deux parties », a-t-il déploré, ajoutant que « l’incapacité à résoudre ce conflit de manière politique a mené à une impasse ».
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT, Y COMPRIS LA QUESTION PALESTINIENNE
Exposé
M. Muhannad Hadi, Coordonnateur spécial adjoint et Coordonnateur résident au Bureau du Coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, a dit prendre la parole au nom de M. Tor Wennesland, Coordonnateur spécial en titre, expliquant qu’il ne pouvait être présent. Il a donc lu le texte de M. Wennesland.
Commençant son discours par un premier bilan de la grave situation dans la région, à Gaza et au Liban, M. Wennesland y lance un appel au cessez-le-feu et à la mise en place de cadres politiques et sécuritaires, en vue de la réalisation d’une solution à deux États.
Détaillant le contexte à Gaza, le Coordonnateur spécial s’alarme de la continuation des violences à l’approche de l’hiver. Alors que quelque 44 000 Palestiniens et 1 700 Israéliens et ressortissants étrangers ont été tués au cours des 13 mois du conflit, 101 Israéliens sont toujours détenus dans des conditions effroyables, déplore-t-il.
Ceci n’empêche pas une actuelle intensification « dévastatrice » des opérations de l’armée israélienne dans le nord de la bande, constate le Coordonnateur spécial. Il évoque notamment la mort récente de 36 Palestiniens dans la frappe d’un immeuble à Jabalia el Balad, ainsi que de 65 Gazaouites lors de frappes aériennes le 16 novembre. De même, il a mentionné les déplacements massifs de population, rappelant que depuis la reprise des opérations terrestres de l’armée israélienne le 6 octobre dernier, plus de 100 000 personnes ont été déplacées du nord vers le sud de la bande de Gaza. Enfin, il s’inquiète du pillage massif de fournitures humanitaires par des groupes armés palestiniens.
Sur le plan humanitaire, le Coordonnateur spécial lance un appel à la cessation des attaques contre le personnel et les convois humanitaires. Le niveau de l’aide autorisé à entrer à Gaza est largement insuffisant, constate-t-il. Pourtant, le succès de la campagne de vaccination contre la poliomyélite, dont plus d’un demi-million d’enfants ont bénéficié, montre ce qu’il est possible d’accomplir une fois réunies les bonnes conditions.
Face à une aide humanitaire essentielle au point mort, M. Wennesland exhorte Israël à remplir ses obligations en facilitant le passage de l’assistance dans toute la bande de Gaza, et appelle toutes les parties à respecter les règles de sécurité en matière d’acheminement. Finalement, il s’inquiète de l’érosion potentielle du territoire de Gaza, notamment du fait de la création par l’armée israélienne de ce qui semble être des zones tampons situées sur des terres agricoles. Il s’inquiète aussi des appels de certains ministres du Gouvernement israélien en faveur de l’implantation de colonies à Gaza.
M. Wennesland juge tout aussi inquiétante la dynamique en cours en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est et le niveau de la violence, que ce soit celle des forces israéliennes lors d’affrontements avec des Palestiniens armés, celle des attaques de colons israéliens contre les communautés palestiniennes en Cisjordanie, ou celle de la politique israélienne d’expulsion et de démolition de structures appartenant à des Palestiniens et d’expansion des colonies. Relevant que certains ministres israéliens appellent désormais ouvertement à l’annexion de la Cisjordanie occupée, le Coordonnateur spécial rappelle une nouvelle fois que l’annexion constitue une violation du droit international et doit être fermement rejetée.
Pour M. Wennesland, il est crucial de soutenir l’Autorité palestinienne politiquement et financièrement. Dans ce cadre, il s’inquiète de l’expiration prochaine de la dérogation qui permet au système bancaire israélien de coopérer avec les banques palestiniennes. Il appelle donc à la cessation de l’utilisation de ce renouvellement comme une menace d’instabilité économique, aux côtés d’autres mesures unilatérales qui compromettent la stabilité budgétaire de l’Autorité palestinienne.
Rappelant qu’il s’agit de son « dernier exposé devant le Conseil », M. Wennesland fait part ensuite de quelques « réflexions finales ». Il se montre très pessimiste, voyant dans les derniers développements dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, « un risque imminent de perdre les cadres dans lesquels nous opérons depuis 1967 et 1973, lorsque le Conseil de sécurité a adopté les résolutions visant à jeter les bases d’une paix juste et durable ».
M. Wennesland souligne aussi le rôle essentiel des Nations Unies et du Bureau du Coordonnateur spécial pour protéger les cadres que la communauté internationale et les parties elles-mêmes ont identifiés comme la base d’un avenir meilleur. Exhortant le Conseil et les États membres à se « prémunir contre cette situation et à éviter les pièges que nous connaissons trop bien », il appelle à traiter Gaza et la Cisjordanie dans leur ensemble, faisant partie intégrante de la vision d’un État palestinien indépendant et éviter de répéter les divisions politiques et administratives du passé; nous devons préserver l’Autorité palestinienne et ses institutions. « Nous devons créer l’espace pour une solution politique, pas violente », assène-t-il.
À défaut, et si les forces cherchant à saper la solution à deux États réussissent, « l’effondrement des principes et des structures institutionnelles pertinents auront un effet d’entraînement qui pourrait s’étendre largement au-delà du Moyen-Orient », avertit encore le Coordonnateur spécial.
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